L’article 31 du projet de réforme constitutionnelle : la catégorisation des Maliens

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      La notion de « catégorie » est centrale en droit. En effet,  le droit, pour des raisons de rationalisation, d’harmonisation, de systématisation, de discipline, est bâti  sur des catégories juridiques, c’est-à-dire « des ordonnances rationnelles et systématiques des différents rapports et phénomènes juridiques spécifiques qui ont un lien entre les différents éléments qui la composent et les traits qui la distinguent d’autres phénomènes ».  Dans cette perspective, on retrouve la catégorie des meubles par opposition à  celle des immeubles, la catégorie des contrats synallagmatiques par rapport à celle contrats unilatéraux, la catégorie des personnes par rapport à celles des choses, la catégorie des actes juridiques patrimoniaux par rapport à celles des actes juridiques extrapatrimoniaux, la catégorie des droits objectifs par opposition à celle des droits subjectifs ou encore la catégorie des droits macro-juridiques par opposition à celle des droits micro-juridiques, etc. Et de lege ferenda, la catégorie des Maliens d’origine par opposition à celle des Maliens d’origine étrangère. En tout cas, l’analyse du premier membre de l’article 31 du projet de réforme constitutionnelle adopté par l’Assemblée nationale le laisse penser. En effet, celui-ci dispose que : « Tout candidat aux fonctions de président de la République doit être de nationalité malienne d’origine (…)». Il en résulte que seuls les Maliens et Maliennes de nationalité malienne d’origine ont le droit de concourir à la magistrature suprême. A contrario, les Maliens d’origine étrangère n’auront pas le droit de lege ferenda de se présenter aux fonctions de Président de la République. De ce fait, ce texte établit une distinction entre les Maliens selon qu’ils soient Maliens d’origine ou Maliens d’origine étrangère. Pour pasticher Jean Daniel du Nouvel observateur, il y aura des Maliens de première et de seconde zones. Mais une question vient immédiatement à l’esprit : que recouvrent ces deux notions, c’est-à-dire Malien « d’origine » et « Malien d’origine étrangère » ?

         Pour répondre à cette question, il faudra faire un détour par le Code de la nationalité du Mali. En effet, celui-ci opère une césure entre les Maliens selon qu’ils soient Maliens d’origine ou Maliens d’origine étrangère. Dans cette perspective, est Malien d’origine, selon le Code de la nationalité du Mali, le Malien qui est né soit au Mali soit à l’étranger. Sont Maliens d’origine également : l’enfant légitime né d’un père malien, d’une mère malienne ; l’enfant naturel lorsque celui des parents à l’égard duquel la filiation a d’abord été établie est malien ; l’enfant naturel lorsque celui de ses parents à l’égard duquel la filiation a été établie en second lieu est malien ; l’enfant de mère malienne et de père étrangère ; l’enfant légitime ou naturel né d’une mère malienne ; l’enfant né au Mali de parents inconnus, etc. Par Malien d’origine étrangère, il faut entendre, une personne ayant  acquis la nationalité malienne par filiation, soit par mariage, soit par le droit du sol, soit par décision de l’autorité publique : naturalisation ou réintégration.

La distinction entre Maliens d’origine et Malien d’origine étrangère appelle deux observations : l’une de politique comparée, l’autre de jure ou de droit.

L’observation de politique comparée 

      A ce niveau, on peut établir un parallèle entre la distinction entre Maliens d’origine et Maliens d’origine étrangère  et le discours de Grenoble prononcé par Nicolas Sarkozy le 30 juillet 2010. Dans celui-ci, le Président de la République française proposait de retirer la nationalité française à « toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police, d’un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique ». De cette déclaration, Nicolas Sarkozy établit une distinction entre les Français de souche et ceux qui le sont devenus par acquisition. De ce fait, on pourrait parler de lepénisation des esprits car l’ancien leader frontiste, Jean-Marie Lepen, a toujours défendu la thèse selon laquelle il y aurait deux catégories de Français : les « vrais » et les « faux ».

L’observation de jure ou de droit

      A ce niveau, on peut dire que la distinction entre Maliens d’origine et Maliens d’origine étrangère violerait le principe d’égalité entre tous les citoyens. En effet, ce principe assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race, de sexe, de liberté religieuse ou de religion, etc. Toute discrimination fondée notamment sur l’origine est proscrite. Or en opérant une distinction entre les Maliens d’origine et les Maliens d’origine étrangère, les députés du palais de Bagadadji, siège de l’Assemblée nationale du Mali, ont méconnu ce principe. On doit vite s’empresser de souligner que le principe d’égalité bénéficie d’une positivité en droit malien sur un double fondement : conventionnel et constitutionnel.

Conventionnel d’abord : le principe d’égalité bénéficie d’une positivité en droit positif malien au titre des engagements et traités internationaux signés et ratifiés par la République du Mali. Ainsi, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race, de religion, d’opinion religieuse ou politique, etc.

Constitutionnel ensuite : le Mali a connu depuis son accession à l’indépendance plusieurs Constitutions dont celles de 1960, 1974, 1992 desquelles s’est dégagée une constante, à savoir le principe « de l’égalité de tous devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe ou de religion. L’article 2 de la Constitution du 25 février 1992 s’inscrit dans cette perspective : « Tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs. Toute discrimination fondée sur l’origine sociale, la couleur, la langue, la race, le sexe, la religion et l’opinion politique est prohibée ».

Une fois tranchée la question de la positivité du principe d’égalité en droit malien, on pourra apprécier la validité de l’article 31 de la Constitution par rapport au principe d’égalité conventionnel et constitutionnel.

L’article 31 de la Constitution et le principe d’égalité conventionnel : antinomie entre norme constitutionnelle et norme conventionnelle

L’antinomie se définit comme une incompatibilité entre des directives relatives à un même objet ou d’une véritable incompatibilité entre deux règles, autrement dit d’une impossibilité de les exécuter ou de les appliquer simultanément . Ainsi seraient nécessairement antinomiques l’art 31 de la future Constitution malienne et le principe conventionnel d’égalité de tous les citoyens. En effet, le premier autorise une discrimination fondée notamment sur l’origine, tandis que le second pose le principe de l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction notamment de race, d’origine, de sexe, ou de religion, ect. On se trouve donc en présence d’un conflit entre une norme constitutionnelle et une norme conventionnelle.

En cas de conflit entre une disposition interne et une disposition conventionnelle, la Constitution pose le principe de la supériorité du traité par rapport à la loi. En tout cas, l’analyse de l’article 114 de la Constitution du 25 février 1992 le laisse penser car il dispose que « les traités et accords régulièrement ratifiés ont dès leur publication une autorité supérieure à celle des lois et des règlements ». La question est alors de savoir si le principe de la supériorité conférée aux traités par l’article 114 de la Constitution du Mali s’applique aux dispositions à valeur constitutionnelle. Cette question n’ayant fait l’objet d’aucun contentieux devant les juridictions maliennes, on ne saurait donc apporter une quelconque réponse à la lumière du droit malien. Mais si on envisage la question à la lumière du droit français, on peut dire que le principe de la supériorité conférée aux traités par l’article 55 de la Constitution française ne s’applique pas aux dispositions à valeur constitutionnelle. Ainsi, en cas de contrariété entre la Constitution nationale et une convention internationale, la première l’emporte devant les juridictions. Initiée par le Conseil d’Etat ( 30 octobre 1998), la solution sera reprise assez rapidement par la Cour de Cassation dans un arrêt de l’Assemblée plénière du 2 juin 2000. Dans cette perspective, l’article 31 de la Constitution s’applique au détriment du principe conventionnel d’égalité.

L’article 31 de la Constitution et le principe constitutionnel d’égalité : antinomie entre deux dispositions constitutionnelles

L’application de l’article 31 de la Constitution débouchera inéluctablement sur une discrimination fondée sur l’origine. Or une telle discrimination est prohibée par l’article 2 de la même Constitution. De ce fait, on se trouvera en présence également d’une antinomie. On parlera alors d’antinomie entre deux normes constitutionnelles. Et il est très difficile de résoudre un conflit entre deux normes qui ont la même valeur, à savoir ici une valeur constitutionnelle. Mais on ne saurait se contenter de cette réponse car il ne doit pas y avoir un conflit sans solution. C’est pour cela qu’on fera appel à l’adage « specialia generalibus derogant ». Autrement dit, ce qui est spécial déroge à ce qui est général. De ce fait, en cas de conflit entre les articles 2 et 31 de la Constitution, le premier, norme d’ordre général, sera écarté au profit du second, norme d’ordre spécial.

La réécriture de l’article 31 du projet de réforme constitutionnelle

Cette réécriture s’impose à un double point de vue : politique et juridique.

D’un point de vue politique, on ne saurait accepter qu’un Malien soit empêché de se présenter aux fonctions de Président de la République du fait de ses origines étrangères. Car c’est au peuple de décider à qui il va confier sa confiance. Celle-ci peut être confiée à un Malien d’origine ou à un Malien d’origine étrangère. Et évitons de  tomber dans le syndrome ivoirien avec à la clef l’exclusion d’un candidat, aujourd’hui Président de la République, à l’élection présidentielle.

D’un point de vue juridique, on ne saurait accepter dans la Constitution la présence de deux dispositions contradictoires. Car la règle de droit suppose cohérence, systématicité, logique, absence de contradictions, d’oppositions. Cela postule une articulation entre les prescriptions juridiques, c’est-à-dire une interaction entre elles. Ainsi sera sauf le caractère indivisible de la règle de droit.

Proposition

De tout ce qui précède, l’article 31 de la Constitution doit être rédigé de la manière suivante : « Tout candidat aux fonctions de Président de la République doit être de nationalité malienne ; jouir de ses droits civiques et politiques et, avoir renoncé à toute autre nationalité ».

Une contribution de Dianguina Tounkara, doctorant en droit privé à l’Université Paris-Ouest Nanterre La Défense (France)
diangui@hotmail.fr

 

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