L\''art politique et ses labyrinthes (suite et fin) :Le syndrome tunisien et l\''Afrique

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Au regard de l’histoire, autrement dit avec le recul si nécessaire aux jugements sereins, il est permis d’affirmer que l’Afrique indépendante a souvent produit des leaders de haut vol, de qualité indiscutable. Ceux-là ont été non pas seulement dans les discours et l’élan d’ambitions personnelles majeures, mais dans leur tréfonds même, sincèrement préoccupés par la pauvreté et le destin véritable de leurs peuples.

La psychologie d’un dirigeant qui a marqué de son empreinte son pays pendant une période relativement longue mérite toujours d’être décryptée tant soit peu :

 

Dans le cas de figure, l’homme, organisé et travailleur était d’un naturel plutôt froid. Ainsi, plus introverti que communicatif, très secrètement vigilant même aux épiphénomènes sociaux les plus insignifiants, il apparaissait avec constance jaloux de son emprise. Tout devait rester sous sa férule pour un pays qui petit à petit s’est habitué à s’y blottir avec respect. Dès lors que le pouvoir par essence dit-on généralement a besoin de distance voire d’un minimum d’aura de mystères pour s’imposer et être craint, un tel tempérament constituait à l’évidence un terreau approprié.               

Impressionné depuis longtemps déjà par la réussite économique de Ben Ali et de son pays tenu de sa main de fer, quel observateur lointain (que nous sommes tous) avait mesuré à sa juste hauteur le degré de désespérance du peuple tunisien ? Erreur  d’optique. Car en réalité, rien dans l’art de gouverner, ne vaut la liberté pour un peuple.

 

Ce peuple là et ses jeunes (diplômés) sans travail par milliers souffraient dans leur chair cependant  que le pays dit "éminemment émergent” était encensé de toutes parts. Que de leçons à tirer ?

Lorsque le destin vous a confié (sans que vous soyez forcément le meilleur de tous les Tunisiens pour autant) la destinée de tout le peuple, que ressentez-vous dans votre tréfonds interne devant le spectacle de milliers de maîtrisards en histoire ou autre matière se faisant – las d’un chômage chronique – bergers ou vendeurs d’orange à la sauvette au carrefour des routes ?

      

Que vous ne trouviez pas de solutions vraiment  appropriées au problème (planétaire aujourd’hui) du chômage passe encore.

       Mais à condition que vous ne transfériez pour vous-même une tonne et demie  d’or, quatre cent quatre vingt millions d’euros en Suisse et 3 milliards d’euros (biens totaux) en France.

Une telle voracité tient peut-être quelque chose de la pathologie. Les médias, à gorge déployée, commentent des possessions du clan : entreprises rachetées, biens immobiliers sans nombre, banques, aéronautique. Cette omniprésence tentaculaire était connue des milliers de jeunes  en déshérence absolue malgré des critères académiques.      

Nous nous devons tous d’être de bonne foi, réalistes et vouloir du bien au prochain : un Président doit être à tout moment à l’abri des besoins d’argent car ce serait un non sens qu’il en fût autrement.

    

   Mais diantre ! Quel ménage au monde a besoin réellement d’une tonne et demie d’or surtout lorsqu’on est issu d’un peuple qui accumule tant de misères ?

      

Quelle désillusion du monde entier de découvrir que derrière le chef méthodique, compétent pour des progrès économiques, rigoureux on ne peut plus se cachait un personnage cupide à l’excès et peu honnête. Cette dimension de l’escroquerie de si haut vol, c’est, en l’occurrence, l’autre face de Janus. On se demande sur quelle planète on vit finalement.

      

Les labyrinthes, dans l’art de gouverner sont tels que l’observateur le plus avisé y perdrait son latin. Au propre déjà, il y a des labyrinthes en effet qui sont si secrets et si bien agencés qu’un chat n’y retrouverait guère ses petits malgré ses instincts hors normes. Il en va de même sur notre continent pour quiconque tient à voir tout avec clarté dans les arcanes de la politique.

 

Si les peuples voisins de la Tunisie ayant une idée à peu près claire de la hauteur des richesses nationales disponibles, des contraintes et des difficultés objectives nationales trouvent, en observant la gouvernance en place que les choses sont normales, l’onde de choc tunisienne les épargnera. A contrario, il semble déjà que certains peuples pauvres mais à pays riches se sentant plus ou moins écrasés par les difficultés du quotidien commencent à avoir des idées et les gouvernants des frissons. L’effet domino ne s’étend t-il pas en effet ça et là  de façon instantanée ? Le goût des libertés publiques gagne inexorablement du terrain.

 

Mais si à Tunis, l’armée a refusé une répression massive pour étouffer et vaincre l’insurrection, il n’est pas dit qu’il en serait pareil partout. Et les terrifiantes convulsions égyptiennes en cours en sont une preuve éclatante.

 

Dans le monde arabe, là où certains régimes ont un caractère dictatorial avec souvent des despotes usés mais se croyant en début de carrière et de perspectives, l’ère des peuples semble avoir sonné comme pour rétablir le bon coté de l’histoire.      

L’histoire a démontré que quand des populations coléreuses montent au créneau avec constance, il est difficile de maintenir le couvercle sur la marmite. Les effets ravageurs du séisme social tunisien sur des populations soudainement éveillées sont à prendre au sérieux dans l’optique de la satisfaction de leurs desideratas en général légitimes.

 

Quant aux Tunisiens si admirés de tous aujourd’hui, ils apparaissent, ivres de liberté certes. Mais il reste que les autorités de remplacement du despote en exil doré sachent vite enclencher des créneaux créateurs d’emplois pour les jeunes. Hélas le pays est dépourvu de richesses du sous-sol. Il recèle  d’un peu de phosphate mais qui est bien exploité et économiquement rentable.

 

L’élevage nomade des moutons est appréciable et pratiqué dans le sud. Le cheptel bovin par contre est très peu nombreux. La responsabilité politique de l’élevage et son suivi suprême d’un œil avisé et exigent sont confiés, non pas à des novices toujours en essaie mais à des connaisseurs ayant fait leurs preuves en le domaine. Car les critères de talent, de détermination patriotique pure et de capacité de création prévalent sur tout autre critère d’allure sous-jacente.

 

       C’est pourquoi, malgré son faible niveau numérique, l’élevage global participe énergiquement à sa propre modernisation et au renflouement croissant de l’économie. Un exemple concret prouve que la " routine tranquille " là bas  n’est pas la caractéristique du secteur qui a ainsi vision véritable et ambition hardie et palpable : avec quatre fois moins de bovins que le Mali, le pays engrange quinze fois plus de devises avec ses cuirs et peaux que les maliens avec les leurs.

 

       L’agriculture, elle, est compétitive et creuset d’exportations très porteuses notamment vers les pays autour de la méditerranée : agrumes, tomates, olives, oignons et dattes de qualité extra des pourtours des oasis.

       On le voit, l’orthodoxie du travail en tous domaines ne se conjugue avec aucun laxisme, toute chose qui a permis d’établir la réputation flatteuse du pays.

       Beaucoup moins riche et moins doté par la nature que ses voisins (qui ont pétrole et gaz en foison), le pays parvient, critères de modernité pris en compte, à leur tenir cependant la dragée haute.

      

Son plus grand défi est et demeure la réussite de la création d’emploi.     

C’est seulement à partir de ce volet là que le mirobolant élan du renversement du régime super autocratique trouvera un second souffle plus durable. Autrement, le projet oxygénant de libération serait en partie inassouvi dans son essence même.                  

Partout en Europe, en Afrique, dans les journaux, le Président déchu était entrevu comme un orfèvre, un homme tout puissant dans son pays.  

Lorsque les libertés des populations sont comprimées alors qu’il ya éclat scintillant dans le secteur économique, la nuée porte néanmoins un inévitable orage.

 

Le Roi Midas a ainsi perdu sa magie. Sans qu’on le sache donc, la logique de ce meneur d’hommes à poigne était une logique buissonnière et la brusquerie d’événements indomptables a ôté le voile.

Une fuite honteuse pour un personnage respecté et qu’on  croyait connaître !

Il a fallu de quelques jours de colère et furie collective pour qu’un solide château bâti et renforcé avec maîtrise plus de deux décennies durant, s’écroule comme s’il était de cartes.

 

Tout puissant le Président tunisien jusqu’alors ?

Pour répondre à cette interrogation, il faut sans doute avoir à l’esprit cette idée de Tocqueville – historien puis éphémère ministre des Affaires étrangères en France il ya un siècle et demi – qui disait ceci :

 

" Il n ya que Dieu qui puisse, sans danger, être tout-puissant. Il ne risque aucun lendemain qui déchante ".  

                             

Mantalla COULIBALY

 

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