« L’Afrique mérite de meilleures questions pour de meilleures réponses à son développement »

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Usine de parpaings à Bamako, au Mali, en octobre 2018. MICHELE CATTANI / AFP

Les situations économiques des 54 pays africains sont trop diverses pour leur appliquer les mêmes réformes, plaide le financier franco-gabonais Mark A. Doumba.

Tribune. L’Afrique ne se pose pas les bonnes questions. Ce serait même son problème majeur face au développement. A force de ne pas choisir de priorités, de vouloir tout faire à la fois, beaucoup de pays n’ont pas réussi à enclencher une dynamique de croissance soutenue et inclusive.

Depuis des décennies, la litanie est la même. Economistes, intellectuels et hommes politiques n’ont de cesse de répéter que, pour développer le continent, il « suffirait » de s’attaquer aux infrastructures publiques, d’améliorer les institutions, de réformer le système d’éducation, de renforcer le dispositif de santé, d’éliminer le secteur informel, d’améliorer le climat des affaires, d’optimiser la recette fiscale… Evidemment, a-t-on envie de répondre, en oubliant que ce schéma de pensée a guidé l’agenda de développement des dernières décennies sans pour autant permettre à l’Afrique subsaharienne de générer des gains de productivité et de croissance inclusive pour les populations du continent.

Selon les chiffres de la Banque mondiale, le revenu réel moyen par habitant en monnaie locale entre 1980 et 2017 n’a augmenté que de 1,02 % par an. Alors, il faut se rendre à l’évidence : quelles que soient les urgences, il n’est pas possible de tout réformer à la fois. Une économie est optimale quand les décideurs arrivent à orienter les ressources humaines et financières, limitées, vers les pistes d’actions qui auront plus d’impact. Des actions qui doivent libérer la croissance et, par ricochet, desserrer l’étau sur tous les autres paramètres.

Lever les barrières à l’investissement

C’est sur cette base que repose le diagnostic de croissance conçu par Ricardo Hausmann, Dani Rodrik et Andres Velasco, professeurs d’économie dans les universités de Harvard et du MIT (Massachusetts). Plutôt que d’élaborer un nombre incalculable de mesures économiques et politiques à appliquer, les concepteurs de stratégies de développement gagneraient à en identifier les plus forts leviers et à lever de manière urgente les barrières à l’investissement privé et à l’entrepreneuriat.

Et, en la matière, les questions sont nombreuses. D’abord, le faible niveau de l’investissement privé et de l’entrepreneuriat dans un pays est-il dû à un faible rendement de l’activité économique qui ne motive pas la demande d’investissement, ou est-il dû à la cherté des taux d’intérêt qui limite l’offre d’emprunt ? Ensuite, le faible rendement de l’activité économique est-il dû au déficit d’infrastructures de base ou du capital humain, ou bien à l’incapacité de s’approprier le rendement généré à cause de carences de marché ou de distorsions créées par certains gouvernements ? Les taux d’emprunt élevés sont-ils dus à une insuffisance d’épargne nationale auprès des banques locales ou bien à un rationnement du crédit par le secteur public aux dépens du secteur privé ? Nombreux sont les préalables à définir avant d’adopter une stratégie.

En Afrique, l’entrepreneuriat et le taux de participation du secteur privé ont pris de l’ampleur au cours des dix dernières années. Avec un déficit structurel de 13 millions d’emplois par an, selon la Banque africaine de développement (BAD), les jeunes diplômés et travailleurs sont poussés, pour une bonne part, à s’engager dans des activités entrepreneuriales. Et ce plus par besoin de subsistance que par conviction, vocation ou capacité à transformer le paysage social et économique. Ces entrepreneurs manquent souvent de savoir-faire dans la filière choisie, d’accès à la commande ou au financement. Ils sont également souvent confrontés à des structures de marché monopolistiques, réglementées et difficiles d’entrée sans parrainage. Ces raisons expliquent en partie les abstentions, le fort taux de dépôts de bilan des entreprises ainsi que leur faible contribution à la croissance du PIB local, qui est encore essentiellement tirée des activités des multinationales dans les secteurs extractifs.

Part marginale

Malgré la multitude des contraintes énoncées, la problématique de l’offre de financement reçoit, probablement indûment, la plus lourde part de responsabilité de frein à l’entrepreneuriat et à l’investissement privé en Afrique. Pour en avoir la certitude cependant, il est essentiel que les décideurs économiques et politiques de chaque pays se penchent sur les questions suivantes. La contrainte de financement est-elle liée au coût du capital ? Si oui, ce problème est-il lié à un faible taux d’épargne dans les banques locales, ou à un ratio élevé des réserves obligatoires que les établissements financiers doivent déposer auprès de leurs banques centrales ? Si la réponse est négative, le coût du capital est-il le symptôme d’un système bancaire défaillant et caractérisé par un manque de concurrence entre les banques locales ? Est-ce la cause des charges de structure et des marges de bénéfice élevées des banques qui se répercutent sur la clientèle, ou est-ce plutôt dû aux taux élevés des prêts improductifs qui reflètent le caractère particulièrement risqué du demandeur de crédit ? Les réponses à ces questions varient selon les pays.

Dans la même logique, le faible niveau de l’investissement privé et de l’entrepreneuriat se caractérise-t-il par l’échec de certains gouvernements à établir des mesures micro et macroéconomiques appropriées ? La carence se trouve-t-elle dans l’absence de titres de propriété ou de propriété intellectuelle ? Est-ce la corruption ? Ou est-ce l’absence de stabilité fiscale, monétaire et financière ? Les pays dans lesquels il existe une faible capacité à sécuriser un investissement par l’acquisition de titres de propriété et de propriété intellectuelle faillissent à attirer des investissements structurants à long terme et à forte intensité technologique et industrielle. Ces pays ont donc vocation à être marginalisés ou à bénéficier de flux d’investissement inconstants et relativement moins productifs. Ceci explique certainement la raison pour laquelle l’Afrique subsaharienne ne représente qu’une part marginale des flux d’investissements directs étrangers mondiaux, ne captant que 2,1 % du total en 2017.

Dans une autre mesure, les pays dont les difficultés ont comme origine l’instabilité macroéconomique et fiscale nécessitent un ensemble de prescriptions qui diffèrent des symptômes précédemment évoqués. Ces pays ont besoin de concentrer leurs efforts sur la stabilité de leur taux de change, sur la gestion de leur compte courant, sur leur taux d’inflation et sur le rationnel fiscal.

Méthode et écosystème

En identifiant la cause principale des contraintes d’accès au financement bancaire, il est possible pour les décideurs d’apporter un remède au problème d’intermédiation financière des banques, ou de développer des mécanismes de contournement. Ceci explique l’éclosion d’un nombre croissant de sociétés de capital-risque, de capital-investissement, de fonds souverains et de pension pour pallier les carences des forces du marché d’une part, et les défaillances des gouvernements en matière de réglementation d’autre part.

Cependant, il existe également un grand nombre de cas où l’entrepreneur et l’investisseur ont accès au financement, mais sont soit confrontés à l’absence d’opportunités d’investissements viables, soit à la difficulté à s’approprier le retour sur investissement à cause de l’inefficience des facteurs de production : infrastructures, main-d’œuvre qualifiée, droits de protection de l’investissement et droits de propriété.

En somme, il est crucial que les décideurs économiques évaluent la méthode d’identification des contraintes au développement dans leur propre écosystème. Car les pays du continent méritent de meilleures questions pour apporter de meilleures réponses. Ce faisant, il y a de fortes chances que de nouvelles solutions de développement émergent pour faire face aux défis de croissance des économies en développement, en Afrique et partout ailleurs. Il est crucial que la croissance africaine des cinquante prochaines années dépende plus de la qualité des politiques économiques que de la croissance démographique et des super-cycles des matières premières.

Marc A. Doumba est un financier franco-gabonais, directeur général d’Enovate Capital, une holding d’investissement basé à Dubaï, et directeur de la rédaction d’Africa Policy Journal à l’Université de Harvard (Cambridge, Massachusetts).

Marc A. Doumba

Source: www.lemonde.fr

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