L’accès au poste de “juge international” : Une vision erronée au Mali

0

III .être juge a la cour  africaine de justice et des droits de l’homme dispositions pertinentes du  statut de la cour annexe  au protocole adoptele 1er juillet 2008 :

 

Dr Salifou Fomba

CRITERES DE SELECTION :

Article 4 intitulé Qualifications des juges : “La Cour est composée de magistrats indépendants, élus parmi les personnes connues pour leur impartialité et leur intégrité, jouissant de la plus haute considération morale, et qui réunissent les conditions requises pour l’exercice, dans leurs pays respectifs, des plus hautes fonctions judiciaires, et / ou qui sont des jurisconsultes possédant une compétence notoire et une expérience en matière de droit international et / ou des droits de l’homme”. Commentaire : ce texte est intéressant à un double titre ; d’abord il reprend la même distinction entre critères d’ordre général ou nécessaires mais non suffisants et critère à la fois nécessaire et suffisant, c’est-à-dire le seul qui exige la compétence véritablement technique ; ensuite et cela est nouveau par rapport aux textes précédemment étudiés, il introduit un système  de sélection des juges sur une base soit cumulative soit alternative des deux catégories de critères avec l’emploi de la formule “ et / ou “. Article 6 intitulé Liste de candidats : “Aux fins de l’élection, le Président de la Commission établit deux listes alphabétiques des candidats présentés : i) une liste A contenant les noms des candidats possédant une compétence et une expérience reconnues dans le domaine du droit international ; et ii) une liste B contenant les noms des candidats possédant une compétence et une expérience juridique, judiciaire ou académique reconnues dans le domaine du droit international des droits de l’homme”. Commentaire : ce texte appelle les remarques suivantes  1°- il s’inspire du système de double liste adopté dans le cas de la CPI, 2°- la liste A concerne le droit international public général et la liste B le droit international des droits de l’homme, ce qui correspond à la division bicamérale de la Cour telle que prévue à l’Article 16 intitulé sections de la Cour, 3°- en ce qui concerne la liste B, le texte contient une nouveauté qui consiste dans l’appréciation du critère d’expérience sur un triple plan alternatif, à savoir juridique, judiciaire ou académique, ce dernier critère traduit une reconnaissance et une valorisation de la fonction de professeur de droit international. Compétence de la Cour – Article 28 intitulé compétence matérielle : “La compétence de la Cour s’étend à toutes les affaires et à tous les différends d’ordre juridique qui lui seront soumis… et ayant pour objet : a) l’interprétation et l’application de l’Acte Constitutif, b) l’interprétation, l’application ou la validité des autres traités de l’Union et de tous les instruments juridiques dérivés adoptés dans le cadre de l’Union ou de l’OUA, c) l’interprétation et l’application de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, de la Charte africaine des droits et du bien- être de l’enfant, du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme ou de tout autre instrument juridique relatif aux droits de l’homme, auxquels sont parties les Etats concernés, d) toute question de droit international, e) tous actes, décisions, règlements et directives des organes de l’Union, f) toutes questions prévues dans tout autre accord que les Etats parties pourraient conclure entre eux, ou avec l’Union et qui donne compétence à la Cour, g) l’existence de tout fait qui, s’il était établi, constituerait la violation d’une obligation envers un Etat partie ou l’Union, h) la nature ou l’étendue de la réparation due pour la rupture d’un engagement international”. Commentaire : Ce texte appelle les remarques suivantes : 1°- la Cour est compétente pour les différends juridiques nés de l’interprétation et / ou de l’application du traité fondateur de l’UA, ainsi que des autres traités et instruments juridiques dérivés adoptés dans le cadre de l’UA, 2°- elle est compétente pour les différends nés de l’interprétation et / ou de l’application de tous les traités africains relatifs aux droits de l’homme, ainsi que d’autres instruments juridiques pertinents, 3°- elle est également compétente pour l’interprétation et / ou l’application du droit communautaire de l’UA, 4°- sa compétence couvre aussi toutes questions prévues dans tout autre traité qui est conclu entre les Etats ou avec l’UA et qui contient une disposition de renvoi à la compétence de la Cour, 5°- Enfin la compétence de la Cour s’étend à trois catégories classiques de différends  juridiques relevant du contentieux général de la responsabilité de l’Etat, à savoir : toute question de droit international ; l’établissement de la violation d’un engagement international ; la nature ou l’étendue de la réparation due ; à noter que la rédaction des alinéas d), g) et h) de l’article 28 est quasi identique à celle des alinéas b), c) et d) du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour internationale de justice de la Haye.

DROIT APPLICABLE :

Article 31 : “ … la Cour applique : a) l’Acte constitutif de l’UA, b) les traités internationaux, généraux ou spéciaux, auxquels sont parties les Etats en litige, c) la coutume internationale, comme preuve d’une pratique générale, acceptée comme étant le droit, d) les principes généraux de droit reconnus universellement ou par les Etats africains, e) sous réserve des dispositions du paragraphe 1 de l’article 46 du présent Statut, les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations ainsi que les règlements, directives et décisions de l’Union comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit, f) toute autre loi pertinente à la détermination de l’affaire”. Commentaire : 1°- l’article 31 est rédigé dans des termes pratiquement identiques à ceux de l’article 38 du Statut de la Cour internationale de justice, 2°- quelques différences d’ordre terminologique apparaissent : emploi du terme “traité” au lieu de “conventions” au b) ; emploi du mot “universellement” et ajout de l’expression “ou par les Etats africains” au d) ; 3°- une nouveauté apparaît sur le fond avec l’extension du champ matériel de la catégorie “moyen auxiliaire de détermination des règles de droit” aux actes relevant du droit communautaire dérivé de l’UA au e).

CONCLUSION :

1°- il apparaît clairement que les dispositions du Statut portant création de la CAJDH sont “taillées sur mesure” pour nous les spécialistes de droit international, 2°- il faut savoir qu’en vertu de l’article 5, les candidatures au poste de juge seront présentées dans un délai de 90 jours à partir de la date d’entrée en vigueur du Protocole portant Statut de la Cour, 3°- celle-ci aura lieu 30 jours après le dépôt des instruments de ratification de 15 Etats membres de l’UA. A noter qu’à ce jour on est loin d’atteindre ce chiffre, et qu’il est heureux de constater que le Mali a ratifié le Protocole depuis le 13/08/2009 et déposé son instrument de ratification depuis le 27/08/2009, 4°- il faut espérer que les Etats africains attachent suffisamment d’importance à la nouvelle Cour, et qu’ils se feront le devoir d’accélérer le processus de ratification du Protocole, afin de diligenter l’élection des juges, 5°- pour ma part, je suis l’évolution de ce dossier avec beaucoup d’intérêt !

IV. ETRE JUGE A LA COUR DE JUSTICE DE LA CEDEAO :

Pour en revenir à l’histoire évoquée dans l’introduction, je voudrais rappeler d’abord les faits, avant de soulever la question et y apporter la réponse juridique.

LES FAITS :

1°- On est en 2000 et je suis Conseiller Technique au Ministère des Affaires étrangères, département dirigé par S.E Modibo SIDIBE, 2°- le 12 avril le Secrétaire Exécutif de la CEDEAO écrit au Président de la République S.E Alpha Oumar KONARE pour lui demander de communiquer les noms de deux personnalités aux fins de nomination des juges à la Cour, 2°- dès réception du dossier à son niveau, le Directeur des Affaires juridiques du Ministère des Affaires étrangères m’approche et suggère de proposer mon nom au Président de la République, estimant que j’avais le profil requis, tenant par ailleurs compte du fait que j’avais déjà fait un mandat de 5 ans à la Commission du droit international de l’ONU à Genève, sans oublier que j’avais déjà cumulé     15 ans d’expérience en tant que professeur de droit international, et que j’avais également été membre et rapporteur de la Commission d’enquête de l’ONU sur le génocide au Rwanda, 4°- après avoir donné mon accord de principe, je prépare rapidement un dossier de candidature que je fais parvenir au Ministre, non sans peine, un week-end presque entre deux avions, 5°- le lundi matin, le Ministre me retourne mon dossier annoté comme suit : “le Gouvernement a déjà choisi ses candidats, seuls les magistrats peuvent être candidats”.

LA QUESTION ET LA REPONSE :

La question posée : elle est simple et directe à savoir si dans quelle mesure l’affirmation du principe du monopole exclusif des magistrats est fondée en droit. La réponse juridique est donnée par l’Article 3 paragraphe 1 du Protocole de 1991 relatif à la Cour de justice de la CEDEAO comme suit : “La Cour est composée de juges indépendants choisis parmi des personnes de haute valeur morale, ressortissants des Etats membres, possédant les qualifications requises dans leurs pays respectifs pour occuper les plus hautes fonctions juridictionnelles, ou qui sont des jurisconsultes de compétence notoire en matière de droit international et nommés par la Conférence”. Commentaire : 1°- il est évident qu’il n’est écrit nulle part dans ce texte que les magistrats seuls peuvent être candidats, 2°- il est tout aussi évident que les jurisconsultes ayant une compétence notoire en droit international peuvent bel et bien postuler, 3°- il est surtout évident et indéniable que mon titre de jurisconsulte avéré était déjà clairement établi à l’époque !

CONCLUSION :

1°- mon intention n’est pas ici de critiquer personnellement le Ministre des Affaires étrangères de l’époque, S.E Modibo SIDIBE ; je suis convaincu qu’en réalité il n’était pas bien imprégné de ce dossier, sauf à considérer qu’on a fait une gestion hautement politique de ce dossier ! 2°- je reste convaincu que S.E Modibo SIDIBE est un grand Intellectuel et un grand Homme d’Etat pour qui j’ai beaucoup de respect. Je lui dois surtout : a) de m’avoir appelé à ses côtés durant 4 ans, sans considération politique aucune, étant entendu que je n’ai d’ailleurs jamais eu de coloration politique, en qualité de Conseiller Technique au Ministère des Affaires étrangères, b) de m’avoir fait confiance en m’accordant le privilège de conduire la délégation des experts du Mali à l’Assemblée générale de l’ONU à New York durant 4 ans, me donnant ainsi l’occasion de représenter le Mali à la 6ème Commission chargée des questions juridiques, c) de m’avoir donné l’opportunité d’apporter ma contribution à une réflexion approfondie en vue d’élaborer une politique nationale rationnelle et efficace à l’égard des Organisations Internationales ; que S.E Modibo SIDIBE trouve ici  avec l’Ambassadeur Farouk CAMARA, l’expression de ma profonde et sincère gratitude !

CONCLUSION GENERALE :

1.         Les choses sont plus simples qu’il n’y paraît, à savoir : a) que chaque juridiction internationale est chargée de dire tel ou tel droit, en réalité dans les cas étudiés, il s’agit soit du droit international général, soit du droit international spécial, b) que dès lors les juges internationaux sont tout simplement des personnes qui connaissent bien en théorie et / ou en pratique ce tel ou tel droit ; ce qui constitue donc le seul critère valable, c) le problème c’est que les Etats veulent tout politiser jusque et y compris la formulation de ces fameux critères de sélection des juges depuis la référence historique de la Cour internationale de justice de la Haye.

2.         A partir de là, il apparaît qu’il ne sert pas à grand-chose, en restant dans la logique actuelle du modèle de la Haye, qu’un candidat remplisse même pleinement les critères théoriques et / ou pratiques d’accès aux plus hautes fonctions judiciaires au plan national, à condition d’ailleurs que ceux-ci soient connus et établis, alors même qu’il n’a pas ou n’aurait pas la maîtrise technique du droit que la Cour qu’il convoite est statutairement chargée de dire ; il faut considérer qu’un tel juge serait “malheureux” et “à plaindre” même s’il demeure vrai que l’on devient forgeron en forgeant !

3.         A la limite et en caricaturant, on peut dire que le problème se ramène à l’équation suivante : a) “le juge international dit le droit international tandis que le juge national dit le droit national”, b) étant entendu que cette répartition de principe des tâches doit être nuancée selon que l’accent sera mis sur le dualisme ou le monisme comme critère de définition du lien entre les deux ordres juridiques.

4.         Il est temps que l’on comprenne au Mali : a) que les maliens doivent se débarrasser définitivement de leurs complexes et de leurs blocages psychologiques ou culturels – égoïsme stérile, personnalisation exacerbée, surpolitisation etc., b) que la promotion des cadres maliens sur le plan international fait partie de la notion d’intérêt national et des objectifs de politique extérieure ; qu’en conséquence le Gouvernement doit s’en convaincre et mettre en place une véritable politique nationale, à condition de ne pas tomber dans les travers de la politique politicienne, c) qu’au-delà de la personne des candidats c’est le Mali qu’il faut voir ; qu’il est donc temps de voir le Mali en Grand et de voir Grand pour le Mali !

5.         Il est clair que la question de l’élaboration d’une véritable politique nationale pour la promotion des cadres est suffisamment importante pour faire l’objet d’une analyse approfondie. Faute de pouvoir me livrer à cet exercice ici et maintenant, je voudrais simplement citer deux cas concrets dont j’ai été personnellement témoin en ce qui concerne les stratégies utilisées par certains pays pour faire élire leurs candidats au poste de juge à la Cour internationale de justice de la Haye : a) envoyer spécialement le candidat en poste à l’Ambassade à New York avec un double mandat : primo, mettre son expertise technique au service de son pays, et secundo, préparer minutieusement et sans précipitation par une pénétration en profondeur du milieu juridique et diplomatique onusien, son élection à la CIJ, b) pendant que le candidat exerce son mandat de membre de la Commission du droit international de l’ONU à Genève, le nommer Ambassadeur à la Haye, au siège même de la CIJ pour y préparer calmement son élection, c) les stratégies sont variées ; plus proche de nous, qui n’a pas constaté ou entendu parler des prouesses d’un pays comme le Sénégal dans ce domaine , d) le Mali devrait se mettre enfin à la bonne école !

– Professeur de droit international à l’Université de Bamako

– Ancien membre et Vice- Président de la Commission du droit international  de l’ONU à Genève

– Ancien membre et rapporteur de la Commission d’enquête de l’ONU sur le génocide au Rwanda.

Fait à Bamako, le 13 mai 2013

Salif FOMBA

Commentaires via Facebook :