La transition politique au Mali: Entre réalités et concessions

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Pendant que certains Maliens se demandent qui détient le vrai pouvoir, d’autres s’interrogent sur la volonté et la détermination réelles de l’Armée à sauver le nord-Mali. Des interrogations qui nous mettent au cœur du débat de la transition politique de notre pays. Cela n’aura pas  échappé aux fétichistes des anniversaires et voilà que le 22 avril, ils ont fait leur compte et décompte qui frisent presque le cynisme : 22 mars 2012-22 avril 2002, un mois jour pour jour depuis l’intervention du capitaine Amadou Haya Sanogo et ses frères d’armes. Un mois et que retient-on ?

Que le Mali s’est retrouvé dans un double gouffre ce 22 mars 2012 mais a vite réussi à se relever.

La nature même du pays, terreau de vieilles civilisations, et carrefour de cultures riches et tolérantes a fait que les fils et filles, les femmes et hommes, les jeunes et vieux ont vite relevé la tête pour que le pays ne sombre pas dans le chaos que les Maliens eux-mêmes ont regardé chez d’autres et souvent chez des voisins proches. Le Malien est un homme de paix, le Mali est l’un des pays les plus pacifiques et les citoyens de ce pays feront tout pour que leur pays ne sombre pas. Disons que s’il y a quelque chose à ramener au premier plan pour résumer ce mois, c’est bien cela : le concours collectif national pour rebondir. Le capitaine Amadou Haya Sanogo et le CNRDRE ont donné le ton dès le soir du sommet de la CEDEAO d’Abidjan le 27 mars en prenant acte des résolutions de l’organisation sous régionale. Puis ils ont accepté de recevoir l’envoyé du médiateur, qui au détour de plusieurs allers-retours entre l’hôtel Salam et le camp Soundjata Keita a pu trouver un terrain d’entente avec le CNRDRE à travers l’engagement solennel du 1er avril et l’accord cadre du 6 avril.

      Ce qu’il y a ici à noter, c’est bien l’attitude prompte des militaires maliens à aller dans le sens de ne pas faire subir directement aux populations un embargo sous régional brandi par la CEDEAO mais aussi de montrer que l’Armée malienne a des qualités républicaines malgré tout le pêché d’Israël qui entoure tout coup d’état dans le monde du 21è siècle. Le capitaine Sanogo l’a martelé : on peut comprendre que le coup d’état soit condamné, mais si lui et ses camarades l’ont fait c’est bien que c’était l’ultime, l’unique issue possible pour empêcher le peuple et la nation maliens de ne pas connaître un chaos total dans son axe nord-sud. Et donc pour ce peuple, dont eux militaires sont issus, ils sont prêts à toutes les concessions. C’est ce qui est fait pendant ce premier mois post 22 mars qui a vu la rencontre de Ouaga suivie de la nomination de Cheick Modibo Diarra à la primature. Un homme consensuel, neuf et novateur comme l’a exigé le CNRDRE qui tient à ce que le Mali connaisse un tournant décisif et positif après ces moments difficiles.

La mission de la transition: retrouver le Nord

On a entendu deux critiques qui reviennent de manière récurrentes à l’égard des membres du CNRDRE jusque là : ils comptent rester longtemps et ne s’intéressent pas au Nord. Ces critiques critiquables méritent tout de même un profond respect et doivent nous aider à avancer. Car elles ont leur place pour maintenir une certaine pression sur Kati. Mais on n’a pas besoin d’être dans le secret du camp pour savoir que le capitaine et ses camarades savent que leur destin malien, s’ils en veulent un, se joue ici et maintenant. Et fort heureusement le président du CNRDRE semble en être conscient si l’on se fie à une phrase qu’il aime rappeler lors des interviews qu’il accorde à la presse : il faut aider à reconstruire un mur qu’on a cassé. On sent dans la mine de nos militaires un certain remords, un certain reproche pour leur acte du 22 mars. Eux, une armée d’un pays vitrine démocratique du continent, eux toujours à l’avant-garde des opérations d’observation de l’ONU sur d’autres terrains et sous d’autres cieux, eux dont on vante le style républicain et le professionnalisme dans la construction d’une famille militaire africaine éprise de paix, les voilà commettre l’irréparable et l’intolérable. Rien que pour tout cela, le capitaine et ses frères d’armes savent qu’ils n’ont pas à tabler sur un visa long séjour dans les arcanes du pouvoir et qu’ils devront dès que possible rentrer au camp. Les coups d’état peuvent et pourront toujours intervenir dans l’Afrique d’aujourd’hui, mais leurs auteurs ne sauront jamais perdurer au pouvoir. C’est le cas au Mali.

Seulement l’opinion nationale sait aussi qu’une marge doit leur être accordée pour participer et aider à redresser le pays sur le plan institutionnel et sécuritaire  au regard des dispositions des accords avec la CEDEAO pour une sortie de crise. Le comédien suisse Bernard Haller a eu l’humour de dire que ” les coups d’état se terminent toujours pas des tas de coups “. Gageons que le Mali de 2012 qui vit un coup d’état ne verra pas ses fils se donner des tas de coups. C’est cela qu’une certaine frange de la classe politique et de l’opinion internationale ont semblé avoir comme impression : que les auteurs du coup d’état du 22 mars ont entamé de tas de coups sur les autres parties. Au CNRDRE on semble s’en défendre même si les méthodes utilisées dans les interpellations de la nuit du 16 au 17 avril ont souffert d’une forme juridique formelle au départ. On a craint le pire pour le processus de normalisation mais osons espérer que ce n’est qu’une parenthèse malheureuse qui s’explique par la situation du moment.

Alors la deuxième critique c’est bien que les militaires maliens semblent oublier le Nord-Mali en proie à toutes sortes d’exactions de la part des groupes armés sans scrupules et bafouant toutes les conventions du droit humanitaire, alors même que le CNRDRE a motivé son action du 22 mars par le manque de moyens pour combattre et défendre l’intégrité territoriale.

Nous pensons que cette motivation est fondée mais pour autant soyons réalistes : l’intervention de l’armée ne pouvait qu’exprimer l’ire générale de nos hommes en uniforme mais cela ne donnait pas le prix en espèces du réarmement matériel et moral pour repartir sur le front. Cela ne pouvait être automatique. Et comme un malheur ne vient pas seul, Tombouctou et Gao ont fini par tomber dans l’escarcelle des bandits et rebelles.

Le mal est fait, les populations du Nord-Mali et tous leur compatriotes en souffrent et nous le sentons, nos militaires ne peuvent être indifférents. Mais dans l’imbroglio crée à Bamako, le vide institutionnel a détourné les regards du Nord et l’analyse est vite faite : l’ordre doit être instauré à Bamako avant d’aller au Nord. Aller au Nord veut dire faire la guerre et libérer les populations et nos terres. Dans le contexte actuel, faire la guerre veut dire aussi exposer de millions d’otages aux mains de l’ennemi. Alors osons croire que nos forces se préparent. Pendant que la situation institutionnelle se normalise l’armée se positionne et dans la plus grande discrétion. Faites un tour à Sévaré et vous le saurez. Ensuite dans l’état actuel des choses on n’a pas besoin d’être militaire pour savoir que la meilleure chose à faire à notre armée pour réussir sa tache de libération et de restauration de l’intégrité territoriale est de la doter de moyens aériens. Eh oui c’est le soutien aérien. Sur ce plan, ce n’est pas un secret défense, le Mali ne peut aujourd’hui bomber le torse qu’avec deux vieux appareils hélicoptères de guerre, vétustes et complètement dépassés. Des appareils à l’usure après les combats de Tessalit, de Kidal et de Gao et qui n’ont pu suffire pour contrer l’assaut des assaillants. Ils sont presque hors usage. Aujourd’hui c’est pourquoi l’armée nationale  demande beaucoup plus de l’aide internationale en matière de logistique aérienne. D’autres moyens sont fort demandés et presque acquis mais les stratèges militaires restent d’excellents muets. Les hommes sont là pour l’offensive terrestre. Les membres du CNRDRE qui ont le destin militaire de notre pays en main ont leurs idées, et en, militaires ils savent que c’est seulement à l’action sur le terrain et dans une phase de libération  amorcée que le peuple les attend et les jugera. Et de leur coté on semble attendre que le ministère de la défense aie un titulaire valable pour commencer la bataille et gagner la guerre. Cet homme sortirait de leurs rangs et serait leur choix. Alors à partir de là aucune erreur ni aucune perte de temps ne seront tolérées. Car chaque jour qui passe est un jour de gagné pour la gloire des occupants et un jour de souffrance pour nos populations.

Qui détient le pouvoir?

Lorsque le CNRDRE et l’Armée feront face à la situation au nord, la classe politique pensera qu’elle aura pleinement le terrain politique et l’expression entière du pouvoir. De plus en plus on se demande qui détient le pouvoir à Bamako, surtout la presse internationale, apte à faire une analyse de surface et jamais prompte à comprendre les pays et les hommes en de telles circonstances. Au Mali un coup d’état a été fait qui a ébranlé l’ordre constitutionnel et changé le rapport de force. Pourquoi denier la force de l’Armée aujourd’hui qui est à la base de l’ébranlement constitutionnel ? Pourquoi aussi denier les larges concessions faites par cette armée pour établir l’ordre constitutionnel ? Le pouvoir aujourd’hui au Mali est détenu par le président intérimaire par lequel le respect de la constitution du 25 fevrier1992 est une réalité, par le Premier ministre de transition à travers lequel l’accord cadre est respecté, par les forces vives qui ont le monopole de la rue et de l’opinion publique et à travers lesquelles le peuple est respecté, par le CNRDRE qui est partie prenante et partenaire de la CEDEAO dans tout le processus de transition et dans l’exécution de l’accord-cadre et à travers lequel la partition de l’Armée est respectée et se fait.

Le pouvoir malien est aujourd’hui à Kati, à Koulouba, à la cité administrative et dans la rue. C’est le caractère exceptionnel du moment qui le veut.

Reste maintenant aux hommes d’affiner en permanence leurs positions, leur égo pour mettre le pays au dessus et avancer.

Le débat du dimanche dernier sur l’ORTM l’a démontré : chacun ira de son interprétation de la mixture juridique que nous offrent la constitution et l’accord cadre et cela comptera jusqu’à la fin de la transition. Alors mieux vaut accepter ce fait et rouler pour une seule chose : le Mali, rien que le Mali en acceptant les réalités qui s’imposent à nous et en cultivant l’art des concessions,  voire des compromissions.

Abdou Maiga

Communicateur free-lance,

Yirimadio, Bamako

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3 COMMENTAIRES

  1. Il faut renaitre du cendre après on verra; Toute nation qui veut se dévélopper doit s’enrichir des echecs pour avencer. J’ose esperer que les Maliens que nous sommes tireront tous les enseignements de cette crise pour épargner à notre pays de tel sort.
    Le pays à besoins de tous ses fils mais pas forcement dans le Gouvernement car il est trop restreint pour faire place à tous regroupements.

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