La prolongation du régime transitionnel ou le principe du cheval de Troie : La junte à la recherche d’expédients

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Le temps presse pour le retour de la démocratie, bien sûr, et de l’État de droit. Mais le temps presse, aussi, pour les militaires au pouvoir, car, d’après l’article 22 de la Charte, « la durée de la Transition est fixée à dix-huit (18) mois à compter de la date d’investiture du président de la Transition ». Or, depuis que Bah N’Daw a prêté serment comme premier président de ce régime d’exception, le 25 septembre 2020, seize mois se sont écoulés. Le 25 mars 2022, la Charte et toutes ses institutions seront donc caduques.

La junte a pensé régler ce problème en proposant de prolonger la Transition : le 1er janvier 2022, par la voix du ministre des Affaires étrangères, elle a annoncé à la CEDEAO son intention de rester au pouvoir encore cinq ans. Cette idée tiendrait sa légitimité prétendue des travaux des Assises nationales de la refondation, qui se sont tenues en décembre dernier. Elle est rejetée par de nombreux Maliens ainsi que des instances internationales.

Pour se tirer de cette affaire, le Colonel Assimi Goïta et sa Cour ne peuvent pas non plus compter sur la Charte, car celle-ci ne contient aucune clause autorisant sa prolongation. Les militaires cherchent à tirer profit de la manifestation populaire du 6 janvier 2022 contre les mesures de la CEDEAO. Mais à part eux, nul n’y voit un plébiscite favorable au maintien du régime ; et, de toute façon, cette interprétation ne donne pas une légitimité juridique. Le seul espoir des putschistes réside dans l’article 21 qui autorise la révision de la Charte.

La nécessaire révision de la Charte de Transition

Le régime de transition a duré. Les officiers installés au palais de Koulouba ont « saccagé » toutes les règles de droit, y compris leur Charte. Pour les voir enfin retourner dans leurs casernes, je propose un accompagnement digne au regard des services rendus à la nation. Ulysse imagina une ruse géniale : offrir aux Troyens, adversaires des Grecs, un grand cheval de bois, et y cacher des guerriers ; puis ceux-ci en sortirent et incendièrent la cité. Comme le colonel Goïta souhaite prolonger la Transition, allons dans son sens, tout en respectant la Charte, faisant d’office sa Constitution. Qu’on le veuille ou non, la Cour constitutionnelle a déjà œuvré, en mai dernier, en mettant fin à la norme fondamentale de 1992. Pour cela, il est remarquable de rappeler à l’opinion les conclusions des Assises nationales de la refondation qu’il a lui-même voulues. Puisque l’occasion se présente, il est aberrant de reporter des réformes qui aideront le Mali à sortir de la crise. Il appartient à la junte au pouvoir d’en dénouer le nœud gordien.

Étant donné que la Transition arrive à échéance en mars 2022 et qu’elle semble nécessaire pour un rétablissement de l’ordre constitutionnel, il est impérieux de la prolonger, eu égard à l’article 22 de la Charte. Puisque ladite Charte a trouvé ses limites, car n’étant plus respectée par la junte (aucun vice-président n’a été nommé), je propose de suivre la troisième recommandation des Assises nationales de la refondation, qui est « l’élaboration d’un mécanisme constitutionnel de destitution du président de la République en cas de forfaiture ou de non-respect de son serment », et de modifier le mode de désignation du président de la Transition.

Mes propositions sont donc les suivantes :

La création d’un comité indépendant pour sortir de la crise

Tout Malien souhaitant exercer la fonction de président de la Transition prolongée – telle que nous l’appelons – devrait remplir les conditions objectives suivantes :

  • être une personne civile ;
  • être malien de naissance ;
  • être intègre ;
  • être compétent ;
  • être impartial ;
  • être une personnalité de notoriété publique ;
  • être âgé de 30 à 65 ans ;
  • n’avoir jamais fait l’objet d’une condamnation ou d’une poursuite pénale.

Par ailleurs, son élection procèderait d’un Comité indépendant, composé de quatre-vingts membres répondant aux conditions de moralité et de compétence. En feraient partie des représentants :

  • du M5-RFP ;
  • des partis politiques légalement constitués ;
  • des organisations syndicales ;
  • de la société civile ;
  • des forces armées ;
  • des groupes armés ;
  • des universitaires ;
  • des autorités traditionnelles et religieuses ;
  • des Défenseurs des droits humains.

Les membres du Comité indépendant disposant chacun d’une voix sélectionneraient deux personnes, selon les conditions déjà énoncées, après réception des candidatures, et les recevraient pour s’assurer de leur intégrité, de leurs motivations, et de leur programme. Puis, les membres du Comité voteraient à bulletin secret. Le candidat obtenant le plus de voix serait élu président de la Transition prolongée : sa légitimité démocratique serait ainsi acquise.

Finalement, je propose une prolongation du régime transitionnel pour une durée de deux ans non renouvelable. Cette proposition est raisonnable au regard des règles conformes aux valeurs de la démocratie, de l’État de droit, pour restaurer le pouvoir du peuple et la justice, pour établir une Assemblée constituante en vue d’une IVe République. N’était-ce pas le projet initial du coup d’État militaire qui renversa feu Ibrahim Boubacar Keïta ?

Balla CISSÉ, docteur en droit public de l’Université Sorbonne-Paris-Nord ; avocat au Barreau de Paris et diplômé en Administration électorale de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

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