Rétablir l’autorité de l’État seul ne suffit pas pour stabiliser les régions du centre du Mali – les griefs et les droits des populations locales doivent aussi être pris en compte.
Le 15 octobre, 11 civils ont été tués par des assaillants venus à moto à Telly, dans le cercle de Tenenkou dans la région de Mopti. Cette attaque est intervenue deux jours après la visite du Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, venu y “affirmer le retour de l’État” dans la région.
La hausse des violences depuis 2012 a entraîné le retrait de certains agents de l’État (tels que les administrateurs locaux et les juges) de la région. L’instabilité s’est accrue et les milices communautaires d’autodéfense- notamment les chasseurs traditionnels dogons et bambaras – ont gagné de l’ampleur.
Depuis 2016, plus de 12 000 personnes ont été déplacées, 287 civils tués, 67 kidnappés et 685 écoles fermées dans le centre du Mali, en particulier la région de Mopti. La recrudescence des conflits intercommunautaires entre les éleveurs peuls et les agriculteurs dogon et bambara, les conflits communautaires internes à la communauté peule et les attaques de groupes extrémistes violents ont tous contribué à l’instabilité croissante.
Les dynamiques conflictuelles dans le centre plongent leurs racines dans les sécheresses successives et les politiques développementalistes promues par l’État
Les dynamiques conflictuelles dans cette région sont multidimensionnelles, plongeant leurs racines dans les sécheresses successives et les politiques développementalistes promues par l’État.
Les facteurs structurels, liés au bouleversement de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche à la suite de la sécheresse des années 1970 et 1980, ont déstabilisé les systèmes de production, socles sur lesquels reposent les rapports socio-économiques entre les différentes communautés.
La plupart des conflits se situent dans le delta central du fleuve Niger, dans les localités telles que Djenné, Mopti, Tenenkou et Youwarou et dans le plateau Dogon, où les ressources agro-pastorales sont au cœur de l’économie. La pression sur les terres agricoles, due à la combinaison de facteurs climatiques et à l’accent mis sur l’agriculture soutenue par l’État et les partenaires internationaux du Mali, a affecté les éleveurs, souvent issus de la communauté peule, faisant de l’accès à la terre une source de tension.
Les conflits entre les éleveurs du Delta et les agriculteurs du plateau Dogon portent notamment sur l’occupation des couloirs de passage des animaux par des agriculteurs et sur des désaccords au sujet des calendriers agricoles et de transhumance, c’est-à-dire le mouvement saisonnier du bétail pour le pâturage. En 2012, des chasseurs prétendant appartenir à la communauté Dogon ont tué plus de 20 personnes de la communauté peul, incendié 350 hameaux et emmené du bétail à la suite d’un conflit autour d’un corridor réservé aux animaux entre Koro et la frontière avec le Burkina Faso.
Auparavant, ces conflits étaient pour la plupart réglés par le biais de mécanismes communautaires, y compris les autorités traditionnelles. Ces mécanismes sont maintenant dysfonctionnels à la suite des compromissions des autorités traditionnelles— tels que les Dioros (gestionnaires de pâturages) — avec l’administration. Ces conflits deviennent également de plus en plus complexes et sont exploités à la fois par les milices et les groupes extrémistes violents.
Les groupes extrémistes violents exploitent le mécontentement des communautés vis-à-vis des acteurs étatiques
Lorsque des groupes extrémistes ont occupé la partie nord de la région de Mopti en 2012, les armes sont devenues plus accessibles aux communautés belligérantes et la violence dans la région a augmenté. Ces groupes exploitent le mécontentement des communautés vis-à-vis des acteurs étatiques tels que les juges, les gendarmes et les agents des eaux et forêts, accusés de corruption.
Les tentatives visant à apaiser les tensions entre les communautés au centre du Mali remontent à 2016. La Mission gouvernementale d’appui à la réconciliation nationale, installée en avril 2017, s’est rendue dans les localités du plateau Dogon et du Delta central pour rencontrer les communautés.
La médiation par des organisations non gouvernementales, dont certaines mandatées par le gouvernement, a abouti à un accord de cessez-le-feu unilatéral début juillet 2018. Mais il n’a pas fait l’unanimité au sein de la milice Dogon, Dana Amassagou, qui est également traversée par des clivages. En conséquence, le conflit entre les milices dogon et les Peuls dans la région s’est poursuivi.
Le 28 août 2018, 34 chefs traditionnels des villages peul et dogon ont signé un accord de paix intercommunautaire à Sévaré pour mettre fin au conflit qui les opposait. Mais, l’enthousiasme du gouvernement et des ONG engagés dans la médiation trouve difficilement des relais sur le terrain où la violence continue.
Les mécanismes traditionnels de résolution des conflits sont dysfonctionnels à cause des compromissions des autorités traditionnelles avec l’administration
L’accord met en évidence les nombreux écueils des différents processus de paix au Mali au cours des dernières années. Premièrement, il met en scène le problème de l’incapacité des signataires, en l’occurrence les chefs de village, à influencer le processus de paix sur le terrain.
Deuxièmement, bien que le processus ait bénéficié du soutien de l’association culturelle dogon, Ginna Dogon, et de Dana Amassagou après la reddition de son chef d’état-major, Youssouf Toloba, il n’inclut pas les milices à prédominance peule. Troisièmement, l’association culturelle peule, TabitalPulaaku, a dénoncé l’accord. Elle estime que Toloba et ses complices devraient être jugés par la Cour pénale internationale.
Le gouvernement cherche à intégrer certaines milices dans le cadre d’un processus de désarmement, démobilisation et réintégration, qui ne laisse pas beaucoup de marge aux victimes en quête de justice et réconciliation. Cette situation entrave le processus de paix.
La paix au Mali nécessite de passer de l’approche étroite actuelle des dialogues entre État et groupes armés à un dialogue national plus large et plus inclusif. Cela permettrait de jeter les bases d’un accord sur des principes communs pour un nouveau contrat social entre l’État et la société.
Les débats actuels sur le retour de l’État doivent inclure le type d’État auquel les populations maliennes peuvent s’identifier et accepter, et qui accorderait davantage de respect à leurs droits.
Boubacar Sangaré, Chercheur boursier, ISS Bamako
Cet article a d’abord été publié sur le site de l’Institut d’études de sécurité (ISS)