Les pouvoirs du Chef de l’Etat ne sont pas illimités. Aucun pouvoir public ne l’est de notre époque. Par la Constitution, ils sont limités les uns par les autres et par d’autres mécanismes, en vue de garantir nos droits et libertés. La Constitution est l’expression la plus solennelle de la volonté du peuple sur son être et son devenir, elle a vocation à survivre aux chefs d’Etat. Ceux-ci lui sont nécessairement subordonnés, dans la mesure où elle détermine la nature de leur pouvoir et trace le cadre d’exercice de leurs fonctions. C’est le contrat par excellence, entre eux et les citoyens, qu’ils doivent protéger contre toute violation (article 29 de la Constitution du Mali). Si l’idée leur traversait eux-mêmes la tête, ils ne peuvent que la réviser avec leurs cocontractants.
La libération des 23 détenus rebelles, survenue le mercredi dernier au nom de l’Accord préliminaire de Ouagadougou du 18 juin 2013, viole l’indépendance du pouvoir judiciaire garantie par l’article 81 de la Constitution qui stipule : «Le pouvoir judiciaire est indépendant des pouvoirs exécutif et législatif. Il s’exerce par la Cour suprême et les autres Cours et Tribunaux…».
En effet, le gouvernement de transition qui a conclu cet Accord, avait pris l’engagement réciproque dans son article 17 de libérer «les personnes détenues du fait du conflit armé dès l’entrée en vigueur du cessez-le-feu». Bien qu’il soit implicitement exclu de cette libération dans l’alinéa 2 dudit article, les personnes détenues pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes de génocide, crimes de violence sexuelle, cet engagement du gouvernement signifie matériellement qu’il se substitue au pouvoir judiciaire pour déclarer les détenus non coupables, seul motif principal en matière criminelle pour lequel le pouvoir judiciaire peut libérer un accusé. C’est évidemment un empiètement sur les prérogatives du pouvoir judiciaire. Pour éviter cela, le procureur général Tessougué a raison, le gouvernement aurait pu prendre l’engagement de les gracier s’ils étaient condamnés. Mais qu’à cela ne tienne !
Pour le nouveau gouvernement, nous sommes face à un “conflit de lois” entre une disposition d’un Accord international et une disposition constitutionnelle. Le Chef de l’Etat est garant de l’application des deux textes (article 29). Qu’est-ce qu’il faut donc faire ? Nous devons regarder dans la constitution elle-même la hiérarchie des normes. En effet, l’article 116 dit que le traité ou Accord dument ratifié ou approuvé a une valeur supérieure à celle de la loi. Mais, il est muet sur son ordre hiérarchique par rapport à la Constitution. Alors, nous regardons ailleurs. Dans la pratique, lorsqu’un texte international conclu par un Etat est contraire à la Constitution, très généralement on lie l’application du texte à la modification de la Constitution. Autrement dit, on doit modifier les dispositions contradictoires de la Constitution avant que le traité puisse produire ses effets. Tant que celle-là n’est pas modifiée, celui-ci ne peut s’appliquer. Alors, contrairement à ce que d’aucuns pensent, cela affirme la supériorité de la Constitution sur le traité, mais une supériorité implicite non expresse.
Donc, le Chef de l’Etat en garant de la supériorité implicite de la Constitution ne devait pas accepter l’application de l’article 17 de l’Accord de Ouagadougou dans sa forme actuelle, en ce qu’elle entache l’indépendance du pouvoir judiciaire. Le principe de la continuité de l’Etat ne saurait s’appliquer dans l’illégalité et l’injustice dès qu’on en prend conscience. Le principe de la légalité est nécessairement un préalable.
La libération de ces détenus est une violation de la loi fondamentale du pays par le premier de ses citoyens à un moment où l’on saluait le retour à l’ordre constitutionnel. On se rappelle que lors de son discours d’investiture, il avait promis que désormais l’exemple viendrait d’en haut. Nous en étions fiers et bien guidés. Mais, cet acte qu’il vient de poser est aux antipodes de cette déclaration. J’ose espérer que cela ne soit qu’une erreur de départ ; que ce manque de rigueur de la part de l’homme de rigueur que je respectais pour sa rigueur ne soit qu’un accident de parcours et non le prélude de la dictature. On fait tous des accidents surtout à nos débuts. Si c’est le cas, il doit avoir le courage de s’excuser devant la nation et montré que cela n’était pas délibéré. Car, il le sait, les pintadeaux ne regardent que la nuque de la pintade. S’il maintient sa position actuelle, il encourage la violation de la loi par les plus puissants contre les citoyens “lambda” qui ignorent presque tout des subtilités juridiques que nous venons d’exposer.
Une contribution de Mr Mahamadou konaté
Jeune chercheur malien CERIS-Dakar.
amanna@gmx.fr