La démocratie au Mali : Une révision constitutionnelle est mieux indiquée en début qu’en fin de mandat

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La démocratie, une quête universelle des peuples a vu son vent soufflé en Afrique vers les années 1990. Le concept de gouvernance qu’évoque ce mot magique a des origines lointaines sur lesquelles nous n’allons pas nous attarder. Sa définition la plus simple est bien ‘’le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple’’. Bien qu’ayant traversé les âges avec des applications diverses, nous n’avons pas encore fini de trouver la meilleure forme de sa traduction concrète. De la Grèce antique à nos jours, tout y passe à telle enseigne que tout le monde s’en réclame bien que les faits avérés au niveau des sociétés révèlent de part et d’autre des divergences essentielles. C’est dire que jusqu’à présent, il n’y a pas de culture universelle de la démocratie.

Cependant, ce qui nous parait fondamental dans le fait démocratique pour chaque peuple est que dans son application il puisse permettre au peuple de :

choisir en connaissance de cause son mode de gouvernance ;

choisir librement ses dirigeants qui resteront soumis à tout moment à sa critique, voire à sa sanction ;

apporter satisfaction à l’essentiel des besoins de la société à partir de programmes préalablement soumis à compétition de manière transparente, et contrôlables en amont et en aval;

trouver à tout moment et en toute circonstance la dynamique de son équilibre interne à partir de règles clairement établies, etc.

Quel a été le parcours de la démocratie au Mali de 1991 à nos jours? C’est pour trouver une réponse à cette interrogation que nous allons consacrer les pages qui suivent. Par cette veine, nous voulons rendre hommage au Journal Le Scorpion à l’occasion de son vingtième  anniversaire.

A cause des nombreuses ambigüités que l’on observe dans son application à travers le monde, il nous parait nécessaire de nous fixer certains principes sans lesquels il serait difficilement être question de démocratie.

L’instauration de la démocratie dans un pays évolue suivant un processus dynamique qui permette à chaque instant au peuple concerné d’espérer un peu plus. Ce processus doit obligatoirement tenir compte de la satisfaction des besoins essentiels mis en avant et acceptables au niveau de sa culture;

La démocratie ne peut se construire sans confrontation des manières de voir, des manières de faire et de garantie d’alternance. Cette alternance doit découler d’évaluation de bilans présentés loyalement au peuple, afin de lui permettre de tirer à son profit les conséquences requises ;

  Le processus de démocratisation ne peut s’accommoder de travers tels que l’achat des consciences, les trafics d’influence, la marchandisation de la citoyenneté ;

Le pouvoir démocratique ne doit à aucun moment s’arroger le droit d’hypothéquer l’avenir de la société, à partir d’actes compromettant son indépendance, quel que soit le résultat immédiat que de tels actes puissent procurer ;

La démocratie ne peut pas être du couper coller, c’est dire qu’en démocratie, toute option qui ne peut tenir compte de la culture locale ne peut être viable.

 C’est dire qu’à chaque instant, le pouvoir démocratique doit pouvoir être le reflet de la conscience du peuple, en traduisant en actes concrets l’ensemble de ses préoccupations en fonction de ses réalités propres, de ses capacités de distribution et d’absorption, autrement dit en l’aidant à résoudre ses problèmes.

Ces quelques principes mis en avant, sans exclure qu’il puisse en avoir d’autres, nous allons vers l’analyse des comportements et des résultats caractéristiques du processus de démocratisation au Mali.

Tout a commencé un 15 octobre 1990 par la marche d’un groupe de jeunes qui, bien qu’en nombre restreint, a tenu par sa détermination, à clamer haut et fort ce que tout le monde pensait bas.

L’acte posé à l’époque par le groupe à Moussa KEITA, Association des Jeunes pour la Démocratie et le Progrès (AJDP), bien que réprimé, a ouvert la voie à la naissance en cascade de diverses associations légalement constituées. Chaque association, qu’elle soit identifiée politique ou syndicale, exprimait au  moins l’une des préoccupations non satisfaites du peuple par le pouvoir politique de l’époque. Trois journaux indépendants créés avec hardiesse à savoir : La Roue, Aurore et Les Echos, servaient de porte-voix aux associations qui ne pouvaient s’exprimer librement à travers la presse publique.

D’actions en réactions, de manifestations en répressions, les positions ont fini de se radicaliser à partir des choix politiques majeurs faits par le Barreau, l’Union Nationale des Travailleurs du Mali et d’autres corporations qui se sont alignées aux côtés de la dynamique populaire instaurée.

La suite, nous la connaissons car le 26 mars 1991 est venu s’imposer comme le couronnement des actions entreprises après l’intrusion de l’armée cette fois-ci au côté du peuple.

Le 26 mars 1991, à partir des discours quotidiens distillés avant son avènement, des griefs et des insuffisances reprochés au régime défunt et à ses ténors, devait en principe présagé d’un avenir meilleur. Un légitime espoir venait de naitre chez nos concitoyens pour lesquels le nouvel ordre naissant, trouverait une solution à l’ensemble de leurs préoccupations.

Quelles étaient ces préoccupations ?

Résumé, l’ensemble de ces préoccupations tournait autour de la gouvernance du pays pour laquelle les fortes attentes se sont exprimées autour de l’assainissement de la gestion publique, le retour à nos valeurs fondamentales de société dont ; l’honnêteté, la droiture, la loyauté, l’équité à partir de laquelle devait s’effectuer une bonne distribution des ressources du pays.

La nécessité du travail bien fait devait faire recours au principe de l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, gage d’une meilleure expression de la gestion démocratique du pouvoir.  

La transition qui s’est installée à partir du 26 mars, au lieu d’être un pouvoir de codification, de normalisation et de règlementation, s’est avérée être un terrain de chasse pour l’accès rapide au pouvoir. Le climat de suspicion, de méfiance et de manipulations de toute sorte, a pris le pas sur le minimum de confiance requis pour aboutir à un véritable climat de démocratisation.

Déjà, à partir de ce moment, le présumé adversaire politique devenait subitement l’ennemi à abattre, pour montrer certainement aux yeux du public, que le côte à côte d’hier n’était qu’illusion. Le cadre de gestion de la transition malienne, bien que citée en exemple, s’est finalement révélé être un vrai champ de guérilla et de manifestation de forces, à l’intérieur duquel ceux qui croyaient en quelque chose se sont avérés naïfs et dupes. La course vers le pouvoir avait bien commencé chez certains des ténors de la transition.

Seul Dieu, vrai témoin de toutes les scènes, pouvait savoir ce qui se tramait dans les coulisses. La gestion des dix neuf premières années des affaires, a cependant largement édifié sur la réalité.

Cette réalité c’est quoi :

C’est d’abord l’émergence des forces politiques instables et fragiles, donc manipulables à souhait. Il en est résulté la composition par affinité ou jeux d’intérêts qui, d’effritements en création ou recomposition, ont passé de la trentaine de partis politiques à l’époque, à cent trente aujourd’hui, voire plus;

C’est le taillage du pays en pièces, chacun voulant avoir sa part, comme dira l’autre la viande de l’éléphant sur laquelle chacun se donne le droit de prélèvement ;

C’est la naissance de multiples frustrations au niveau du peuple qui, au lieu de voir ses problèmes résolus, a assisté à leur amplification. Comme si les hommes qui ont pris en main les affaires lui lançaient à la figure que ceux qui les ont précédés s’en sont mal pris. Le sentiment largement partagé aujourd’hui est que l’objectif réel de la révolte populaire des années 90-91, était plus tôt de bousculer un pouvoir et prendre sa place, autrement dit, du pousses-toi que je m’installe ;

C’est l’accentuation effrénée de la spéculation foncière, faisant qu’au lieu d’une juste répartition des terres, nous avons assisté à leur extrême marchandisation, permettant aux nouveaux maîtres des lieux, de se procurer comptes bancaires, immeubles, champs et espaces de jouissance ;

C’est l’inconscience systématique dans la gestion de l’école publique, faisant ainsi volontairement ou par insouciance, qu’une grande majorité de notre jeunesse s’est transformée en laisser pour compte. L’éducation de qualité est désormais réservée aux enfants des nantis avec la possibilité, soit de commencer sur place avec un enseignement privé taillé sur mesure, soit d’aller directement étudier à l’extérieur ;

C’est l’exposition au quotidien aux pauvres citoyens de ce pays pourtant de braves, des signes criards d’enrichissements illicites. A qui se plaindre ?, où se plaindre ?, car il sera jeté à la figure de ces braves dépouillés, de fournir la preuve du caractère illicite d’actes sournois et intellectualisés commis dans les profondeurs du ‘’ni vu, ni connu’’ ;

C’est la prolifération tous azimuts de l’assistanat social au lieu et place de la solidarité qui est un socle important de notre culture. Pourquoi ? Parce que d’une part l’assistanat permet de mettre en évidence la différence et multiplie en la circonstance les redevables.

C’est l’entretien au quotidien du culte de l’individu en lieu et place de celui de l’organisation, rendant notre société fragile et vulnérable à deux niveaux essentiels: l’absence d’évaluation réelle du passage d’un mode de gestion et le manque de continuité dans le processus de développement du pays ;

C’est la défection chaque jour croissant du citoyen à l’intérêt de la chose politique. Après que les prédateurs de l’économie nationale aient investi le terrain politique, la chose politique s’est effacée au profit du jeu politicien. La recherche de militants est devenue une voie trop longue pour bâtir le durable. Il faut aller à l’achat des électeurs et dans cet exercice, tout est permis en sorte que la grande majorité de nos concitoyens ne se sentent plus concernés. Il n’est plus nécessaire pour les partis politiques de se constituer des bases. Il leur suffit de collecter le maximum d’argent en attendant les périodes des élections. Une question reste alors à poser : que faut-il faire pour amener nos compatriotes à s’intéresser à leurs sorts au lieu de se contenter du sort qu’on leur réserve ?

 

C’est l’hypothèque permanent que l’on ne cesse de faire peser sur l’avenir du pays parce que sensible aux chants de sirènes qui nous font croire que nous sommes meilleurs partout alors qu’en fin de compte, notre présence est marginale. A quelle fin cet auto-satisfécit constant sachant qu’à l’intérieur, les gens vivent mal et que leur avenir n’est pas des plus reluisants ? La réponse, nous la trouvons certainement auprès de ceux qui continuent à infantiliser ce peuple. Leur discours reste le même pour ceux qui, n’étant pas des leurs, voient la réalité comme eux et sentent autrement le supplice de leurs concitoyens. Alors, ils seront relégués au rang d’aigris, d’éternels insatisfaits et isolés si possible. Pourvu que le démocratisme continue. Il ne saurait pourtant continuer car toute hypothèque identifiée peut être génératrice de révolution, et si elle devait se produire cette fois-ci, elle sera une vraie, les forces du mal étant désormais identifiées ;

 

C’est la disette chronique que connaissent les populations, non pas forcément à cause de la pénurie, eu égard aux volumes de production annoncés chaque année, mais à cause du caractère anarchique de la commercialisation qui tient très peu compte du pouvoir d’achat des maliens. Trop d’intermédiaires dans le circuit de commerce tue son efficacité.

Les acquis, nous en avons quelques uns bien que fragiles et vulnérables. Nous citerons entre autres :

La liberté de la presse, bien soumise par moment à des turpitudes qui ne se justifient pas. Le Mali dispose aujourd’hui d’une masse critique d’organes d’information qui, bien organisée avec des ressources humaines bien formées, permettront de recueillir et de distribuer l’information où qu’elle se trouve ;   

Le domaine de la santé où quelques progrès peuvent être constatés, le dernier en date étant l’avènement de l’Assurance Maladie Obligatoire. Cette reforme aurait dû intervenir beaucoup plus tôt, dans la mesure où un exemple vivant de mutualisation de la santé au niveau des enseignants, laissait présager qu’une telle action pouvait être de bienfaisance ;

La construction de routes qui, bien que parmi les terrains de prédilection de l’enrichissement illicite, a permis de désenclaver extérieurement le pays ;

La construction de certains édifices publics parmi lesquels les infrastructures sportives et la cité administrative. Par contre, beaucoup d’autres infrastructures apparaissent comme des machines à sous. En tout cas, toutes ne se justifiaient pas au regard des disponibilités et du caractère brûlant et stratégique de certains problèmes du pays ;

L’ouverture politique aurait pu être un acquis si la création des partis politiques avait un rapport cohérant avec les clivages idéologiques possibles. Nous avons beaucoup plus tendance à observer la prolifération des groupes d’intérêts économiques que des partis politiques.

Que faut-il faire maintenant pour que la démocratie soit réelle au Mali ?

Commencer par aller vers l’orthodoxie de la chose politique qui se synthétise ainsi : un parti= une idéologie + un projet de société+ la codification de son fonctionnement ;

Mettre l’accent par l’éducation et la formation à l’émergence du militantisme politique. En même temps, sanctionner lourdement la marchandisation de la chose politique. Le marketing politique ressemble à une scène de théâtre organisée par laquelle l’homme apprend à vouloir faire refléter l’image qu’il n’est pas, à dire ce qu’il ne peut pas faire, donc à tromper en longueur de journée. Ceux qui s’y adonnent sont des politiciens et non des hommes politiques ;

Etre plus regardant par rapport au panier de la ménagère et du pouvoir d’achat des chefs de ménage ;

Rompre avec le népotisme et la mauvaise distribution des ressources du pays. Il est actuellement courant au Mali d’observer que de simples chefs de projets puissent toucher quatre à cinq fois plus que leur ministre, à fortiori les directeurs de services qui engendrent ces projets. On dira que c’est leur chance mais non, c’est généralement là où on rencontre les copains et les coquins ;

 Réformer une fonction publique avec un seul statut et une gestion des carrières des fonctionnaires. La différence de traitement ne doit venir que des primes allouées en fonction de la technicité et des risques liés à chaque profession ;

Accorder plus d’importance à l’organisation plus tôt qu’à l’individu quelle que soit sa hauteur. Le Chef de l’Etat n’a aucune chance de voir pérenniser les acquis de son mandat s’il se veut acteur de tout. Autrement, son successeur viendra commencer avant toute chose par faire disparaitre son image. Il est courant de constater dans notre pays que des mauvaises solutions abandonnées après des études et analyses sérieuses, se voient mises en avant comme innovatrices. C’est là où est mise à l’épreuve l’honnêteté intellectuelle de nos démocrates sincères et patriotes convaincus  qui, au lieu de laisser porter un projet par son initiateur, préfèrent le confier à un des leurs.  Combien de fois notre pays a perdu par cette pratique ?

La démocratie n’est pas une idéologie. Ce n’est pas non plus une doctrine politique. La démocratie est la culture de comportements par laquelle il est fait place à chaque citoyen pour s’épanouir dans un cadre organisé. La démocratie ne peut pas se confondre avec l’anarchie, au même titre que la liberté individuelle qui s’arrête là où commence celle des autres.

Notre démocratie a été mal entamée et, par l’anarchie qu’elle a engendré, il parait plus raisonnable de s’assoir et de s’entendre sur des grands principes permettant d’entrainer un redécollage cohérant. A l’état actuel des choses, il n’y a d’acquis pour aucune organisation, car susceptible de s’effriter au moindre remous.

La démocratie ne se transpose pas car, pour chaque peuple, obligation est faite de tenir compte de sa culture.

Enfin, la démocratie doit pouvoir renforcer la nation. Elle ne rime donc pas avec l’anarchie identitaire et la propension au sectarisme auxquelles nous assistons. Ces deux fléaux, porteurs du séparatisme, ne peuvent aucunement se confondre avec la décentralisation.

A propos des échéances électorales à venir, nous avons ici une des preuves qui justifient des inquiétudes chaque fois qu’elles approchent. Le constat à ce niveau est clair, personne n’en fait son problème au niveau de ceux qui sont aux affaires. Mieux, les avertissements des forces d’opposition restent toujours ignorés.

Pourtant, depuis les élections consensuelles de 1992, le fichier électoral a toujours posé problème. Nous ne pouvons pas ignorer la débâcle électorale de 1997 qui a donné naissance à une grave crise politique dans le pays. L’enseignement qui en a été tiré a conduit à un recensement administratif à caractère électoral (RACE) dont le suivi au quotidien et les révisions successives auraient pu déjà conduire à un fichier fiabilisé.

Dans la pratique, une mauvaise implication des partis politiques (niveau de leur représentation dans les commissions administratives très bas) explique en partie son manque de fiabilité devenu récurrent.

Le recensement administratif à caractère d’état civil (RAVEC), acte majeur à saluer devait nous conduire pour 2012 à des élections propres. Aujourd’hui encore, les discussions sont en cours pour savoir quel fichier prendre.

La solution ne peut se trouver que dans un consensus à trouver à partir du cadre de dialogue instauré entre les chefs de partis et l’Administration territoriale depuis 2001.

Approximativement et suivant les chiffres fournis par l’administration territoriale, les résidents maliens en Côte d’Ivoire font environ cinq pour cent de la population estimée du pays ( un peu plus de 14 millions du RAVEC et 700 mille en Côte d’Ivoire).

Pourquoi ne pas minimiser le risque du faux en fusionnant les deux pour les élections de 2012 ?

Par ailleurs, la prudence nous commande de laisser tomber le référendum pour trois raisons :

Une révision constitutionnelle nous semble mieux indiquée en début de mandat qu’en fin de mandat ;

Le fichier qui doit servir au référendum doit être également celui des élections de 2012 ;

Toute révision constitutionnelle devra être associée à une sérieuse revue de notre système démocratique qui n’a pas l’adhésion de la grande majorité des maliens, parce que certainement ne le comprenant pas. Si la démocratie consiste à faire prendre les vraies décisions par le peuple, il faudra bien que ce soit en connaissance de cause.          

Bou TRAORE, Ingénieur des Constructions Civiles-  Bamako

 

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