Le Mali est une langue de terre sur laquelle l’histoire a écrit, puis effacé, puis réécrit un inlassable roman, celui des premiers empires africains qui sont les nôtres.
Comment, nous africains pouvons-nous être indifférents à la dure sanction de la CEDEA0 contre le Mali, ce frère de toujours, ce voisin.
Difficile pour nous d’imaginer que cette sanction puisse être considérée comme une partie de la réponse à la crise politique, dans laquelle le Mali se débat depuis des décennies avec des institutions républicaines inexistantes et une unité nationale réduite à un slogan vide.
Le Mali n’a menacé aucun voisin.
La situation du Mali n’exige nullement une telle sanction et aucune convergence des intérêts des pays de la CEDEAO ne la dicte, simplement rien ne s’y est opposée…
Sans doute, nos sages de la CEDEA comme Macky Sall et Alassane Ouattara doivent bien regretter cette terrible et injuste décision dont les conséquences sont dramatiques pour le peuple malien.
La CEDEAO ne peut pas porter, plus dur coup au Mali, puisqu’elle sait qu’une intervention militaire au Mali, sur un champ de bataille méconnu de ses armées, demande beaucoup d’équipements, de moyens de renseignements et de logistique. Ce que ses armées n’ont pas.
Cependant cette manière, de la CEDEAO, de mettre en jeu les vies de millions de maliens épuisés par des années de guerres contre des groupes armées, contre la Covid et contre le sous-développement pour obtenir un agenda politique de retour à un ordre démocratie historiquement faible, est incompréhensible.
En 1919, le Président américain, Woodrow Wilson disait à propos de ce type de sanctions : « en appliquant ce remède économique, pacifique, silencieux et meurtrier, nul besoin de recours à la force ».
Rien n’est plus dangereux pour les pays de la CEDEAO que de se désintéresser de la crise malienne, en fermant leurs frontières.
Un écroulement de l’Etat malien aura de lourdes conséquences quant à la dissémination des groupes armées dans toute l’Afrique et la dislocation des pays limitrophes.
Un tel séisme ne peut épargner l’Europe dont une partie de son avenir se joue sur son flanc Sud.
La France qui avait en 2013, sauvé Bamako d’une déferlante djihadiste, en quittant le Mali, abandonne la protection de ses citoyens et encourage – au détriment de l’avenir des intérêts de l’Europe – l’arrivée de partenaires russes et chinois en Afrique.
Les succès tactiques enregistrés ces dernières années dans la lutte contre les bandes armées au nord du pays, n’ont pu être transformés en victoire stratégique, du fait d’un manque de vision des dirigeants politiques qui n’ont pas su saisir l’opportunité de négocier en position de force.
Le changement qui est intervenu à la tête de l’Etat malien, pourrait dessiner une voie d’espérance qui, si elle est soutenue, aiderait les maliens à élaborer la solution politique qui leur a toujours manqué.
On ne peut moralement demander aux maliens de se resigner indéfiniment à leurs souffrances et à leur désespoir. Quand l’Etat est défaillant, l’armée reste le dernier détenteur de la légitimité nationale.
Aussi, aider aujourd’hui le Mali, c’est renforcer l’avenir de la stabilité des pays sahéliens et au-delà.
Si la CEDAO veut donner du sens à sa mission, elle doit penser aux conséquences désastreuses à court, moyen et long terme de sa décision de sanction du peuple malien et revenir rapidement sur celle-ci.
Il n’y a pas un africain qui n’ait pas été choqué par la brutalité de cette sanction. Nous sommes tous maliens !
La crise au Mali est complexe et dure depuis trop longtemps. Il y a un sentiment d’abandon, de marginalisation, de persécution de certaines ethnies et communautés par les autorités centrales.
Cette situation est exploitée par les groupes armées qui pour mieux s’y dissimuler ont choisi la socialisation auprès des populations.
Une stratégie de réconciliation nationale, offrant une porte de sortie politique et économique aux groupes armés acceptant la négociation, accompagnée d’une autonomie large de l’Azawad et d’une plus grande intégration économique, politique et culturelle des différentes communautés et ethnies, est la voie à conseiller à nos frères maliens.
Le Mali est malade de son incapacité à élaborer une telle solution politique, combinant négociation et répression des plus radicaux jusqu’au-boutistes, puisque la négociation à tout va peut être considérée comme une faiblesse et la répression toute seule a prouvé ses limites.
Les guerres contre les bandes armées dans différentes régions du monde ont montré les limites de l’utilisation de la force et la nécessité d’une négociation politique.
Les exemples des guerres en Irak, Afghanistan, Yemen et dans d’autres pays sont là pour le confirmer.
Aujourd’hui, il y a un vide politique au Mali qui probablement a motivé la mauvaise décision de sanction de la CEDEAO.
Le gouvernement de transition actuel, n’a pas encore la légitimité suffisante pour être considéré comme un interlocuteur crédible, aux yeux de la communauté internationale ou des Touaregs dont les revendications historiques sont devenues inaudibles, depuis l’arrivée dans l’Azawad des djihadistes.
Ces revendications justes ne sont pas portées par un chef charismatique indiscutable ni par une idéologie fédératrice pouvant transcender les divergences entre les différents groupes Touaregs, ce qui ne peut faciliter des négociations.
D’où la nécessaire constitution d’un gouvernement de large union nationale qui est le seul à pouvoir prétendre à une certaine légitimité, même si l’histoire nous enseigne son manque d’efficacité, conséquence de blocages, pour s’accorder sur un schéma de résolution de crise.
A cela se superpose un contexte régional et international assez complexe.
L’Algérie, la puissance militaire régionale frontalière du Mali sur 1300 km, ne veut pas d’une crise durable dans ce pays, ni d’une intervention militaire étrangère dans toute la région, puisqu’elle ferait oublier à la communauté internationale, pour un certain temps la cause sahraouie et les camps de réfugiés de Tindouf, chers aux algériens dans leur stratégie de lutte d’influence régionale face au Maroc.
L’Algérie a aussi ses citoyens Touaregs dans la zone pétrolière du Sud, elle a toujours été impliquée dans les négociations entre les autorités maliennes et les Touaregs de l’Azawad. Ce qui la préoccupe c’est l’avenir de la stabilité de sa propre région Touareg.
Elle ne peut accepter un Etat Touareg à ses frontières, pouvant donner des idées d’autonomie ou de rébellion à ses populations du Sud.
L’Algérie a également besoin pour la réussite de sa nouvelle stratégie de conquête des marchés africains, via la construction d’autoroutes traversant les pays du Sahel (Mauritanie, Mali, Niger), d’un Mali stable et sécurisé.
Le Maroc a intérêt, quant à lui, à ce que la crise malienne perdure, éclipsant de facto la question Sahraoui.
Dans la guerre internationale contre le terrorisme, l’occident n’a plus besoin du piège malien qui, durant huit années, a déjà attiré un maximum de djihadistes qui ont été combattus sur un même front par l’Armée française. Eu égard à la position géographique centrale du Mali dans le Sahel, cette intervention militaire a stoppé l’avancée djihadiste et renforcé la stabilité des pays de la région.
L’Europe, dans son inaction habituelle, a laissé la France s’enliser au Mali, dans une totale indifférence.
Pour les Etats Unis, totalement focalisés sur la Chine, l’Afrique ne constitue pas, dans l’immédiat, un enjeu économique et politique de premier plan.
L’ONU s’est arrimée à la CEDEA.
Néanmoins, avec le soutien de la communauté internationale, le voisin Mauritanien, reste aujourd’hui le meilleur arbitre pour le règlement de la crise malienne.
Ould Amar Yahya
Economiste, Banquier, Financier