Il est aujourd’hui inutile de faire la genèse du conflit dans la région de Mopti ; par contre, il est utile que l’on se souvienne que le conflit s’est véritablement installé dans cette partie du Mali suite à des assassinats ciblés sur des personnalités connues et reconnues. Ce que les autorités ont considéré comme un incendie d’une chaumière se transforme inexorablement, au gré des évènements, en un inextinguible feu de brousse. Désormais, même les larmes du Yamé n’arrivent plus à contenir cette tragédie qui, si elle n’est pas circonscrite à temps, conduit à une catastrophe aux conséquences incalculables. Qu’est-ce qui arrive au peuple de Yambo Ouologuem ? d’Amadou Hampaté Bâ ? de Nagabanou Tembely ? Qu’est-ce qui arrive au patrimoine de l’UNESCO ? Qu’est-ce qui arrive à cette partie du Mali qui reste, je continue de le croire, un modèle vibrant de notre vivre-ensemble ?
« La première victime de la guerre, c’est la vérité », disait Kipling. Au Mali, nous avons évité de voir cette réalité en face pour nous contenter de considérer l’assassinat de Théodore Somboro comme un vulgaire fait divers. Que l’on se souvienne ! C’est à partir du macabre sort qui a été réservé à cette personnalité connue, reconnue et respectée du Pays Dogon que l’on a vu naître des milices dans le centre du pays. Non pas par soif de vengeance, mais pour empêcher que des hommes se réclamant de l’époque de l’Inquisition ne viennent détruire ce que construisirent, des siècles entier, parfois au prix du sacrifice ultime, des générations entières de célébrités, d’humbles et d’anonymes. Ainsi, au lieu de chercher à éteindre le petit feu de paille, des intellectuels, des parlementaires, des manipulateurs professionnels, des sangsues et autres pêcheurs en eaux troubles ont pactisé, au su et au vu de tout le monde, avec le Diable pour tirer les ficelles de ce que les adeptes des raccourcis ont tôt fait de désigner par conflit ethnique. C’est la pire idiotie qu’il me soit donné d’entendre depuis que je suis sur cette terre des hommes.
Leurs sordides manœuvres rappellent une certaine Blitzkrieg expérimentée par les nazis au siècle dernier et, bien avant ces derniers, par un certain Samory Touré qui ne voulait laisser aucune possibilité aux colonnes du capitaine Gouraud de le marquer à la culotte.
Qu’il soit dit à haute et intelligible voix que les intellectuels et autres notabilités sur lesquels on pouvait logiquement compter ont été, pour l’essentiel, des traîtres à la cause du vivre ensemble et de la convivialité qui constituent le ciment de la nation malienne.
Les solutions à la petite semaine sorties de leurs cervelles de moineau sont pires que le problème qu’ils feignent de résoudre. La preuve, c’est qu’ils s’évertuent à éteindre un début d’incendie avec du kérosène, la main sur le cœur, comme pour proclamer urbi et orbi leur bonne foi.
Le Septentrion malien passe à la trappe ; le centre préoccupe puisqu’il constitue le dernier verrou avant le Sud. Avant Bamako. Il faut se secouer et comprendre, sans tarder, que « l’enfer a déjà ouvert ses portes, libérant les créatures les plus ignobles, les plus hideuses et les plus corrompues » qui n’auront de cesse de s’attaquer aux fondements de notre nation, ainsi que l’écrirait Carl Zuckmayer dans son injonction.
Les réseaux sociaux, la mauvaise communication, les fake news et autres prophéties de cassandre
Comme dirait Umberto Ecco : « Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles ».
Le communicologue que je suis serait malhonnête de nier le fabuleux apport des nouveaux médias à la société de l’information et du savoir. Toutefois, je m’interroge à haute voix : avons-nous bien approprié ces outils ? En faisons-nous le meilleur usage possible ? Donnons-nous seulement la peine de regarder chez nos voisins pour copier les meilleures pratiques ? Il va sans dire que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », et dans un Mali en proie à un conflit asymétrique, les conséquences sont des plus désastreuses. Du jour au lendemain, nous avons vu pousser, comme des champignons, des experts dignes des professeurs de Harvard. Ils enseignent tout. Ils connaissent tout. Certains ont été invités à la table de Jésus et du prophète Mohammed (PSL). D’autres, dépositaires de la science infuse, ont décliné un rendez-vous avec Dieu le Père préoccupés qu’ils avaient à réaliser un Facebook live ou quelque autre prestation sur Whatsapp ou Instagram. Au bout du coup, leurs prestations qui étaient supposées compétiter aux Grammy Awards ne se réduisent qu’en une litanie de vulgaires injures, dénigrement, déni de la réalité et chapelet de haine et de peur.
Pendant que nous excellions dans l’autodénigrement, dans l’autoflagellation et dans l’autodestruction, les terroristes, eux, n’ont pas perdu du temps. Ils ont instauré dans nos différents terroirs si paisibles des khalifats qui distillent la terreur, la méfiance et la peur de l’autre. Ces bandits qui ne sont en réalité que des vestiges archéologiques sortis des sarcophages sans âge ne respectent qu’une seule loi, la leur : l’obscurantisme, la barbarie et le goût du sang des innocents.
En voilant nos faces pour ne pas voir la réalité et en nous terrant dans nos conforts égoïstes, nous nous sommes rendus complices d’une œuvre satanique de démolition de notre civilisation. Par la même occasion, nous avons amplifié l’audience des radios « mille collines » et journaux de l’époque de la ruée de l’or sur le nouveau continent où les caïds étaient « Wanted alive or dead ». Face à certains des idéologues de l’ombre de ce conflit de la bêtise, Goebbels le tribun et Hitler le manipulateur apparaissent comme de vulgaires apprentis sorciers qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez.
La théorie du complot, les stratégies terroristes, les irresponsabilités notoires…
Ceux-là que nous avons applaudis il y a peu comme de véritables sauveurs sont aujourd’hui hués. Le bouc émissaire idéal est tout trouvé. Des manifestations sont courantes pour désavouer la force Barkhane, les éléments de la MINUSMA ainsi que toutes les forces étrangères présentes au Mali qui cristallisent la colère et le courroux du citoyen. On en vient à plaindre tous ces couples qui ont gentiment prénommé leurs rejetons Damien Boiteux, François Hollande par respect pour leur sacrifice et par admiration pour leur sens de l’Etat. Je ne peux être suspecté de défendre quelque force étrangère sur le sol malien, mais en même temps, il m’est difficile de ne pas constater que, de plein gré, nous avons accepté de planter des tiges dans nos yeux. Aujourd’hui, je ne sais pas s’il faut en pleurer ou en rire mais nos autorités d’alors savaient pertinemment que dans un monde capitaliste, aucun pays n’engage son armée dans un autre pays pour des raisons humanitaires. Aucun chef d’Etat lucide ne peut accepter de sacrifier des femmes et des hommes pour sauver un pays fut-il menacé de disparition par une horde de djihadistes moyenâgeux. Qu’on se le tienne pour dit : les raisons de toute intervention sont d’abord et avant tout économiques. Quelques fois, nous sommes même obligés d’accepter la main tendue du diable pour souffler un peu en attendant la tornade. Au Mali, la mission salvatrice espérée nous a réveillés avec des bombes et des coups de canon. Non pas sur les terroristes seulement mais également sur des innocents qui n’ont rien demandé.
Quant à la force de l’ONU, nous ne pouvons pas cracher dessus mais de ma modeste mémoire d’homme, je ne connais pas deux pays au monde où les casques bleus ont pu assurer la protection des populations. Ces derniers ont toujours un sacré alibi pour regarder les populations se massacrer entre elles en arguant du fait qu’ils n’ont pas un mandat pour tirer sur des méchants or « pour un soldat qui se bat, la différence entre la réussite et l’échec, c’est sa capacité à s’adapter à son ennemi », affirme Sutherland.
Si cette dernière règle n’est pas respectée, tout le reste n’est qu’inflation sur les produits de premières nécessités accessibles seulement aux gros salariés. Avec toutes les forces présentes au Mali, même les prostituées ont augmenté leur tarif.
Et pour mieux comprendre l’intervention de toutes ces armées étrangères au Mali, il faut simplement recourir au « triangle dramatique » ou « triangle de Karpman ». Ce triangle est un « des jeux psychologiques » de manipulation de la communication. Comme explique son auteur dans son article Fairy Tales and Script Drama Analysis, ce jeu malsain met en évidence un scénario relationnel typique entre victime, persécuteur et sauveur. Mettant l’homme face à sa destinée pour mieux contrôler, la communication est perturbée lorsque les protagonistes adoptent ces rôles plutôt que d’exprimer leurs émotions et leurs idées.
Pour mieux expliquer, nous pouvons faire appel à certains auteurs à l’instar de Sandrine Gelin et Khuê-Linh Truong, André Moreau, Pierre Agnese et Jérôme Lefeuvre qui se sont penchés sur le sujet. Nous caricaturons ici leur enseignement selon les rôles de la victime, du sauveur et du persécuteur.
La victime attire le sauveur qui veut la sauver. C’est donc un rôle de choix pour attirer l’attention sur soi quand on sait bien en jouer. C’est un rôle qui appelle quelqu’un à être persécuteur, une attente qui sera remplie ou non par l’entourage. Le plus souvent, la victime a un problème de dépendance.
La position de la victime est « Pauvre de moi ! » La victime se sent victimisée, opprimée, impuissante, sans espoir, honteuse et semble incapable de prendre des décisions, de résoudre des problèmes, de prendre plaisir à la vie ou d’obtenir des idées. La victime, si elle n’est pas persécutée, cherchera un persécuteur et également un sauveur qui sauvera la journée, mais perpétuera également les sentiments négatifs de la victime.
Le sauveur a un rôle très gratifiant d’un point de vue narcissique mais qui place l’autre en incapacité. Il attend un persécuteur pour justifier son existence et une victime à sauver. L’entourage pourra suivre ou ne pas suivre dans cette pièce de théâtre.
La ligne du sauveur est « Laissez-moi vous aider ». Un facilitateur classique, le sauveur se sent coupable s’il / elle ne va pas à la rescousse. Cependant, son sauvetage a des effets négatifs : il garde la victime dépendante et donne à la victime la permission d’échouer. Les avantages découlant de ce rôle de sauvetage sont que l’attention du sauveur à lui-même est supprimée. Quand il / elle concentre son énergie sur quelqu’un d’autre, cela lui permet d’ignorer sa propre anxiété et ses problèmes. Ce rôle de sauvetage est également très important, car leur intérêt principal réside dans l’évitement de leurs propres problèmes déguisés en préoccupation pour les besoins de la victime.
Le persécuteur ou bourreau agit sur la victime. Si le persécuteur tente de nouer cette relation avec une potentielle victime, celle-ci pourra réagir différemment : adopter une position de victime ou ne pas se laisser faire.
Le persécuteur insiste : « Tout est de votre faute. » Le persécuteur contrôle, blâme, critique, oppressant, est en colère, fait preuve d’autorité, est rigide et supérieur.
Ces lignes dignes de célèbres psychothérapeutes peuvent expliquer la situation actuelle. Chacun peut considérer les autres acteurs comme il veut mais l’évidence est que le Mali est dans la position de la Victime. Et, c’est mortifère et absolument contre-productif d’autre plus que la victime semble ne pas réaliser son vrai statut et continue de faire comme si de rien n’était.
Le piège communautaire…
C’est la dernière trouvaille des bienpensants ; ils ont vite fait d’opposer Dogons et Peulhs ; Bambara et Peulhs ; Dogons, Bambara, Bozo et Peulhs…. Et que sais-je encore !comme si, du jour au lendemain, l’architecture civilisationnelle bâtie au fil des âges pouvait s’écrouler aussi facilement qu’un château de cartes. Les ennemis de notre peuple sont à l’œuvre ; il ne faut leur donner ni arguments ni minutions pour les conforter dans leur entreprise de destruction. Il nous faut puiser des ressources insoupçonnées enfouies en chacun de nous pour faire échec à leur basse manœuvre. Chacun de nous est Peulh, Dogon, Bozo, Bamabara, Sonrhaï, Touareg… et ce brassage est notre meilleur argument pour mettre en déroute les ennemis déclarés de notre pays. Secouons-nous un peu ; transcendons nos intérêts immédiats et pensons à notre pays et, en toute simplicité, les solutions sauterons à nos yeux. Quelle que soit l’issue de la crise au centre du Mali, elle interpellera notre capacité à gérer efficacement les conflits qui jalonneront la marche de l’Etat-Nation que nous sommes, que personne ne nous conteste mais que des entités malintentionnées voudraient voir mise à mal sur l’autel de leur sombre dessein. Plaise à Dieu, le Mali sera le cimetière des aventuriers !
Drissa KANAMBAYE
Université Catholique de Louvain (Belgique)
Bel article qui dit tout. Merci mon frère dri pour cette plume
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