Le Président,
A Monsieur François HOLLANDE
Président de la République Française.
Monsieur le Président,
C’est avec un sentiment contradictoire fait à la fois d’anxiété et d’espérance qu’au nom de la Convention Patriotique des Forces de Gauche du Bénin (CPFG), je vous adresse cette lettre. C’est spécialement à l’occasion du récent et premier déplacement que vous venez d’effectuer sur le continent africain en tant que Président de la République Française et des propos que vous avez tenus dans les différentes étapes de Dakar et de Kinshasa à l’occasion de la tenue du quatorzième sommet de la Francophonie.
Outre des discours sur l’Afrique comme « jeunesse du monde ou continent de l’avenir », discours sur la démocratie et le respect des droits de l’homme comme « valeurs portées par la Francophonie », la déclaration qui peut être considérée comme distinctive de votre gouvernement par rapport au régime de Sarkozy est la suivante « Le temps de la Françafrique est révolu. Il y a l’Afrique, il y a la France, il y a le partenariat entre la France et l’Afrique». Et à l’appui de votre déclaration vous avez parlé de la suppression du Ministère de la Coopération désormais remplacé par un Ministère de Développement. Soit. Je veux bien croire. Les peuples africains veulent bien croire. Mais je voudrais simplement faire remarquer que de tels propos ont été déjà servis aux Africains par le passé par des gouvernements français, notamment celui de votre modèle, François MITTERRAND sans qu’ils n’aient été suivis d’application concrète.
En effet, la Françafrique ce n’est pas un simple mot ; c’est d’abord et avant tout, un réseau d’institutions et de personnes mises en place par la France Coloniale depuis les années 60 et commises à la tâche de maintenir dans le système colonial, les anciennes colonies d’Afrique de l’Ouest et Centrale officiellement indépendantes. Toutes les activités les plus criminelles et les moins recommandables telles les massacres des peuples du Cameroun, du Rwanda, du Congo, de la Côte d’Ivoire, les assassinats ciblés de patriotes tels Félix Moumié, Ouandié, au Cameroun, Boganda en Centrafrique, Olympio au Togo, Sankara au Burkina Faso, les coups d’Etat divers et les agressions de toutes sortes ont été l’œuvre de la FrançAfrique. Aujourd’hui la Françafrique, pour ce qui est de la face émergée de l’iceberg c’est : 1°- le maintien de la monnaie CFA rattachée à l’Euro par le Trésor français et dont les 50% de réserves africaines sont à la disposition de la France qui en use comme elle l’entend, y compris prêtées avec intérêt encore à ces mêmes pays africains qui en sont les propriétaires. Autrement dit, la France garde le porte-monnaie des pays africains ; 2°- la langue française instituée dans toutes les Constitutions des anciennes colonies françaises d’Afrique comme langues officielles, alors que rien de tel n’existe pour l’anglais dans les Constitutions des anciennes colonies anglaises comme le Ghana et le Nigeria par exemple ; 3°- le maintien des bases militaires françaises sur le continent africain ; 4°- le maintien du pacte colonial consistant pour les anciennes colonies françaises d’Afrique à pourvoir la métropole française en matières premières à bas prix (café, cacao, coton, palmier à huile, arachide) et en richesses minières stratégiques comme l’uranium, le diamant, etc. et à importer les produits finis de la même métropole. La conséquence de cette situation, c’est que la plupart des pays les moins avancés d’Afrique sont d’anciennes colonies françaises.
C’est dire que votre déclaration sur la fin de la FrançAfrique demeurera un vain mot ou une nouvelle tromperie des peuples africains tant qu’elle ne sera pas suivie immédiatement d’actes allant dans le sens du démantèlement du système colonial maintenu 52 ans après les indépendances et décrit plus haut. Et à cet effet, les peuples africains n’ont-ils pas raison de douter de vous et de s’inquiéter ; d’autant plus que, plus de cinq mois après votre élection à la tête de l’Etat français, le personnel diplomatique français dans nos pays et qui sert de couverture à la Françafrique demeure celui mis en place par Sarkozy ?
Monsieur le Président,
En revisitant toute l’histoire coloniale mondiale, la France peut-elle être fière aujourd’hui de son œuvre coloniale à la manière d’une Grande Bretagne à l’égard de ses anciennes colonies telles que les Etats-Unis, l’Inde, le Canada, l’Afrique du Sud, le Nigeria ou le Ghana ; d’un Portugal par rapport au Brésil et à l’Angola, d’une Espagne par rapport aux grands Etats sud-Américains ? La France peut-elle être fière de voir ses anciennes colonies être les Pays les Moins Avancés de la planète à l’image d’un Haïti, l’Etat le plus pauvre du sous-continent américain ou des pays d’Afrique ? Est-elle fière de jouer toujours au Gendarme derrière des pays africains « Eternels Enfants mineurs » que l’on bombarde à l’envi et au nom desquels on doit parler dans les instances internationales comme actuellement le fait votre Gouvernement à l’Organisation des Nations Unies dans l’affaire malienne ?
Ces réalités, Monsieur le Président, doivent interpeller toute conscience quelque peu éprise de justice et de liberté et devraient amener tout gouvernement attaché à l’éthique et à la paix à changer de politique. C’est dire que les peuples africains ne se contenteront plus de simples professions de foi, si merveilleuses soient-elles.
C’est à des actes concrets que les peuples africains vous attendent. Ils vous attendent avec d’autant d’impatience et d’espérance qu’ils ont suivi la campagne électorale de vous-même et des forces de gauche qui ont permis votre élection à 51,7% par rapport à Sarkozy, 48,3%. Je peux parler ici des propositions notamment des « Partis et Alliances de Partis composant le Front de Gauche » conduits par Jean-Luc Mélenchon et dont l’essentiel a reçu l’appui de bon nombre de démocrates et de patriotes béninois. Il y était nettement stipulé : « La suppression des bases militaires françaises en Afrique ; la nécessité de “Rendre aux pays africains l’autonomie de gestion de leur monnaie CFA” ; Le transfert de technologie et l’aide au développement d’une industrie de transformation sur place à partir des ressources agricoles et minières …».
Une telle politique au pouvoir en France réconcilierait à coup sûr celle-ci avec les peuples africains qu’elle a asservis, soit par la colonisation, soit par la néo-colonisation.
Si comme cela se dessine, vous tournez dos à ces aspirations des peuples africains, traduites en propositions du Front de Gauche, si vous tournez dos à cette frange non négligeable du peuple français qui s’est retrouvé en elles et qui ont porté sur vous son suffrage, si donc votre déclaration de Dakar ne représente qu’un cache-sexe pour couvrir le maintien de la FrançAfrique, alors il ne restera aux peuples africains que le recours à toutes les formes de luttes patriotiques pour accomplir la mission historique, celle de se libérer du néocolonialisme français et arracher leurs droits d’êtres libres, d’êtres souverains sur la terre de leurs aïeux, l’Afrique
Avec le respect dû à votre haute fonction, je vous prie de recevoir, Monsieur le Président de la République Française, l’expression de nos sentiments patriotiques.
Cotonou, le 15 Octobre 2012.
POUR LA COORDINATION
DE LA CONVENTION PATRIOTIQUE DES FORCES DE GAUCHE
Le Président,
signature illisible
Philippe NOUDJENOUME