La Convention de Kampala et la protection des personnes déplacées internes au Mali

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La Convention de l’union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala du 23 octobre 2009), les Principes directeurs des Nations Unies de 1998 relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays, tels que reconnus par les États Membres en 2005, constituent le cadre international visant expressément les besoins et les droits des personnes déplacés internes.

La Convention de Kampala a été adopté le 23 octobre 2009 à Kampala, lors d’un sommet spécial de l’Union Africaine. Premier instrument continental juridiquement contraignant pour les Etats concernant la protection et assistance aux personnes déplacées internes. Régit les déplacements provoqués par un large éventail de causes: Conflits, violences, violations des droits de l’homme; Catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme; Projets de développement. Les Principes directeurs sur le déplacement interne regroupent dans un document les principales règles du droit international, tirées du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, et par analogie du droit des réfugiés qui sont pertinents pour la protection dans des situations de déplacement interne. Ils énoncent les droits des personnes déplacées internes et les responsabilités des Etats et autres autorités à leur égard.

Un parcours du cadre normatif et institutionnel relatif à la protection des personnes déplacées à l’intérieur du Mali (Global Protection Cluster : mars 2017) montre que le Mali ne dispose pas de loi ou de politique en matière de gestion des personnes déplacées internes conformément aux obligations nées de la ratification par le Mali de la Convention de Kampala.

En effet, le Mali a ratifié la Convention de l’Union Africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées internes en Afrique du 23 octobre 2009 par le décret nr. 10-337/P-RM du 16 juin 2010. En ratifiant la convention de Kampala, ce document de droit international devient partie intégrante de la législation nationale par le truchement de l’article 116 de la Constitution du 25 février 1992. L’article 116 stipule que ‘’Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois’’. C’est dire donc que la Convention de Kampala peut produire des effets de droit au Mali suivant une conception moniste de la transposition du droit international en droits internes. Il faut aussi rappeler que le cadre normatif et institutionnel  malien est la rencontre d’un système de valeur codifiée, un système de réglementations légales et les engagements internationaux. La pluralité des sources de droit est donc évidente et est le résultat d’une société traditionnelle en mutation sur la base de ses traditions et coutume de réglementation sociale dont la charte du Kurounkan fuga  (en est un exemple (Mounkoro 2011:45)  et une législation moderne avec comme source la constitution, la séparation des pouvoirs, les accords et traités internationaux, et finalement la religion musulmane présente au Mali  (Keita 2018:13) depuis le 13eme siècle. C’est donc cette mosaïque  avec à ses côtés  des mesures de politiques générales et spécifiques qui donnent vie au cadre normatif et institutionnel au Mali. C’est au groupe des accords et traités internationaux que se rattache la Convention de Kampala.

La Convention de Kampala définit les personnes déplacées internes comme: Des personnes ou des groupes de personnes qui ont été forcés ou contraints à fuir ou à quitter leur foyer ou leur lieu de résidence habituel, notamment en raison d’un conflit armé, de situations de violence généralisée, de violations des droits de l’homme ou de catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme ou pour en éviter les effets, et qui n’ont pas franchi les frontières internationalement reconnues d’un État (Convention de Kampala, article 1, k ). Cette définition fait valoir deux  points importants. Premièrement, un déplacé interne est quelqu’un qui a été «forcé ou contraint de fuir». Autrement dit, le déplacement résulte toujours de circonstances extérieures impérieuses – en l’absence desquelles la personne concernée aurait choisi de rester chez elle. Deuxièmement, la personne en question n’a pas franchi «les frontières internationalement reconnues d’un État», ce qui signifie qu’elle s’est déplacée à l’intérieur de son propre pays. Il s’agit d’une définition descriptive sans valeur juridique puisque le fait d’être déplacé à l’intérieur de son propre pays ne confère aucun statut juridique particulier. Les déplacés internes sont des citoyens ou des résidents de l’État dans lequel ils se trouvent et, à ce titre, devraient jouir – sans aucune discrimination – des mêmes droits et libertés que tout autre citoyen ou résident de ce pays.

Néanmoins, le Titre 2 des Principes directeurs de l’ONU traite de la situation des groupes de personnes déplacées en interne qui sont particulièrement vulnérables et souligne qu’elles ont droit à la protection et à l’assistance requises par leur condition et à un traitement qui tienne compte de leurs besoins particuliers. Alors que le Titre 2 énonce la règle générale, plusieurs autres Principes portent sur des aspects spécifiques de l’attention particulière qui doit être accordée aux groupes vulnérables (voir, par exemple, les Principes 13, 19 et 23). En conséquence, le traitement spécial de certains groupes de personnes déplacées en interne ne viole pas le principe de l’égalité, étant donné que des situations objectivement différentes ne devraient pas être traitées de la même manière et que les vulnérabilités spécifiques doivent être prises en compte […] Plusieurs dispositions du droit humanitaire expliquent que des mesures spéciales visant à la protection des enfants et des femmes doivent être prises par les parties à un conflit. De même, les droits de l’homme traitent des besoins particuliers des catégories de personnes vulnérables, à travers des instruments spécifiques (Kalin 2008 :22-23).” D’ ailleurs la Convention de Kampala rappelle expressément dans sa préambule: la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, les quatre Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977, la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés et le Protocole relatif au statut des réfugiés de 1967, la Convention de l’OUA de 1969 régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, la Convention de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 et le Protocole de 2003 à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique, la Charte africaine de 1990 des droits et du bien-être de l’enfant, le Document de 1994 d’Addis-Abeba sur les réfugiés et le déplacement forcé des populations en Afrique (Convention de Kampala 2009 :2); et reconnait par la suite les droits imprescriptibles des personnes déplacées, tels que prévus et protégés par les droits de l’homme et le droit international humanitaire, et inscrits dans les Principes directeurs des Nations Unies de 1998 sur le déplacement interne (ibid); et par conséquence affirme la responsabilité première à respecter, protéger et mettre en application les droits des personnes déplacées, sans discrimination aucune sur le territoire de chaque pays membre de l’ Union Africaine (ibid).

Ceci rappelle la responsabilité première des Etats à assurer les droits des personnes concernées vivant sur son territoire.  La Convention de Kampala ne manque pas d’ailleurs de préciser cette responsabilité juridique (Article 5(1)) envers les personnes déplacées internes qui vivent sur le territoire d’un pays. C’est ainsi que l’ acte en question marque l’engagement des Etats à respecter et assurer le respect et la protection des droits humains des personnes déplacées, y compris un traitement empreint d’humanité, de non-discrimination, d’égalité et de protection égale par le droit’’ (Article  3.1.). Au-delà de ces principales responsabilité, l’article 3.2 de la Convention fait obligation aux Etats d’incorporer les obligations de la Convention dans le droit interne, de désigner une Autorité ou un Organe chargé de la coordination, adopter toutes autres mesures, politiques et stratégies nationales appropriées, trouver les Fonds nécessaires pour la protection et l’assistance incorporer les principes de la Convention de Kampala dans les négociations /accords de la paix. Il apparait alors que c’est la législation nationale qui constitue le fondement juridique primordial de la protection des déplacés internes dont le but et l’effet souhaité est de permettre aux personnes en question de jouir de leurs droits sur le même  pied d’égalité que les autres citoyens ou résidents habituels.  Pour traduire les effets de la Convention de Kampala le Mali devra développer un cadre approprié pour la protection des personnes déplacées internes au Mali.

1. Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger avec les mouvements armés rebelles sous l’égide de la communauté internationale a signé entre mai et juin 2015.

2. CICR : Traduire la convention de Kampala dans la pratique, exercice de bilan, janvier 2017.
3. Constitution du 25 février 1991.

4. Convention de l’union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (convention de Kampala du 23 Octobre 2009).

5. Global Protection cluster : Examen du cadre normatif et institutionnel malien relatif à la protection des personnes déplacées à l’intérieur du Mali, mars 2017.

6. Groupe sectoriel global chargé de la protection : manuel pour la protection des déplacés internes, édition provisoire 2008.

7. Journal officiel de la république du Mali, nr.30 du 20 juillet 2010.

8. Kälin W. (1998): “Guiding Principles on Internal Displacement: Annotations”, the American Society of International Law, the Brookings Institution – University of Bern Project on Internal Displacement.
9. Loi-type de l’union africaine pour la mise en œuvre de la convention de l’union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, adoptée par le sommet de l’union africaine en janvier 2018.

10. OCHA: Humanitarian bulletin Mali, July – August 2018.

11. Office of the High Commissionner for Human Rights, Geneva : Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays.

12. Personnes déplacée à l’intérieur de leur propre pays : responsabilité et action. (Guide à l’usage des parlementaires nr. 20-2013).

13. TAXIL B. : Méthodes d’intégration du droit international en droits internes, AHJUCAF, Internalisation du droit, internalisation de la justice 21-23 juin 2010.

14. Mounkoro N. S: Utvikling utenfra eller innenfra? Norsk engasjement i Mali i møte med den maliske sosiale kapitalen, Masteroppgave, Institutt for sammenliknende politikk, Universitetet i Bergen, 2011.

15. Wangari K. B.: Domestication of International Conventions: A Comparative Study of Kenya and Sweden in their Domestication of the United Nations Convention on the Rights of the Child (UNCRC), Institute of Diplomacy and International Studies, University of Nairobi, November 2013.

Dr. Nouhoum Salif Mounkoro

Enseignant-chercheur, USJPB

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