La CEDEAO au Mali : L’éternel train en retard

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Une fois de plus, elle a raté une occasion de se taire. Se taire pour la bonne raison. Car elle le fait plus souvent pour les mauvaises: ni sur la mal-gouvernance de ses États membres, ni sur les viols contre la démocratie, ni sur la prorogation des mandats anticonstitutionnels, vrais coups d’états civils, ni sur le bradage des souverainetés nationales à des intérêts étrangers, jamais sa voix ne tonne. Or, voici qu’après une lamentable médiation menée en grandes pompes, ayant mobilisé rien de moins que les cinq chefs d’état des pays les plus puissants de l’Afrique de l’Ouest, dont son président en exercice, le Nigérien Mahamadou Issoufou, c’est donc elle qui sort de son terrier pour ajouter à la longue liste de ses faillites.

Impéritie

Elle pêche par indécence en l’occurrence sans craindre de majorer les signes de son impéritie ayant fini de la décrédibiliser aux yeux de tous les peuples de l’Afrique de l’Ouest. De quoi s’agit-il ? Alors que le peuple malien se soulève légitimement, de guerre lasse, contre le pouvoir du Président Ibrahim Boubacar Keita, autiste, ayant piétiné toutes les règles du pacte électoral ayant permis voici 6 ans son avènement à la tête de ce pays Ouest africain, dont la souveraineté et l’intégrité territoriale ne sont plus qu’une farce, tout ce que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) trouve à faire est de sortir un communiqué, décalé, à contresens de l’histoire en marche, mais outranciérement comminatoire, pour le menacer de ses foudres.

On savait depuis toujours la CEDEAO n’être plus qu’une pâle copie du rêve qui l’avait porté sur les fonts baptismaux, le 29 mai 1975, quand ses pères fondateurs se limitant, contre mauvaise fortune bon cœur, autour d’un projet d’intégration économique comme dénominateur commun, l’avaient ainsi créée en mettant de côté les problématiques politiques, notamment démocratiques, dans un contexte alors marqué par le monopartisme et le règne des régimes absolutistes entre les mains de leaders omnipotents. Le projet fit illusion avec l’adoption rapide des premiers protocoles sur la libre circulation des personnes, biens et services en son sein, que l’on dut à son premier Secrétaire Exécutif, l’ivoirien Diaby Ouattara.

Puis les infrastructures routières transfrontalières, sur de longues distances, firent oublier ses silences sur les aspirations démocratiques qui travaillaient ses peuples en ces premières années de plomb correspondant à ses débuts.

 

Surplace

Fast-forward. En se projetant à la CEDEAO d’aujourd’hui, son surplace incarne son pourrissement progressif. Son inutilité et la modicité de ses moyens budgétaires qui la font survivre plus qu’exister l’ont transformée en momie institutionnelle. Elle ne sert plus à rien et ses réunions ou missions de toutes sortes n’ont qu’une conséquence qui est de raboter sa légitimité jusqu’à ne plus en laisser qu’une mince couche invisible. En dehors d’un zèle normatif pour la doter de toutes sortes de textes aussi bien pour la démocratisation, la gestion des crises dans la région, la création d’une monnaie régionale, ou encore l’institution d’une banque communautaire, d’un parlement et d’une cour de justice, rien en elle ne rassure. Elle ronronne.

Rien n’y a changé depuis qu’en 1996, après en avoir été pendant 4 ans, je fus le premier directeur de l’institution à en claquer la porte pour ne pas couvrir sa léthargie et sa seule expertise qui était de faire de ses officiels des chasseurs de per diems tandis que ses chefs d’état se savaient couverts dans une logique syndicale fondée sur l’entraide, d’abord en commençant par agir contre les pays et les peuples de la région. Ses médiations sont des échecs et elle ne prend jamais positon contre les pouvoirs en place quels que soient leurs torts.

Au Liberia, malgré les éloges autour de son opération de maintien de la paix sur place, elle a fait prolonger le conflit de plusieurs années. En Sierra Leone, seule la poigne du dictateur Sani Abacha et l’appui de la Grande Bretagne ont permis d’arrêter la descente aux enfers meurtrières de ce pays. Au Togo, la Cedeao s’est rendue complice des tripatouillages électoraux. En Côte d’Ivoire, elle s’est laissée déborder par la guerre civile jusqu’à ce que la France intervienne en se couvrant du blanc-seing de la communauté internationale. En Guinée Bissau, elle a été incapable de clarifier la situation locale et y a été une force plus de mal que de bien. Le Sénégal se distingue par les viols des décisions de sa cour de justice et par son irrespect de la communauté où il a placé à la tête du parlement communautaire l’un de ses politiciens les plus truculents.

Sur tous les plans, en un mot, la CEDEAO rime avec échec ! Elle est donc dans son rôle, son triste rôle, en ratant sa compréhension de la crise qui secoue le Mali. En y reprenant son antienne démodée qui clame son refus d’un renversement des pouvoirs élus par la rue, peu importe la légitimité des revendications qui la portent, les dirigeants de la CEDEAO sont à nouveau passés à côté de la plaque. Train de l’histoire. En vérité, ils ont raté, à nouveau, le train de l’histoire en tentant de voler au secours d’un président malien ayant perdu toute raison de se maintenir en place, honni de tous, ayant volé le scrutin pour se faire “réélire”, népotique et corrompu, et qui est devenu un danger pour la stabilité nationale de son pays.

La CEDEAO en a oublié que le principe des ordres constitutionnels démocratiquement élus n’est sacro-saint qu’à la condition qu’ils s’adossent à une pratique et à des valeurs conformes au pacte républicain les ayant permis. Tel n’est pas le cas. Or, les juristes le savent: dans le droit, la codification et l’adoption de nouvelles normes peuvent naître d’insurrections légitimes. Jusqu’à servir de réceptacles à l’émergence de nouveaux régimes politiques dont la reconnaissance, prévue en droit international, peut signer la désuétude officielle de ceux sur les ruines desquelles ils sont nés.

C’est précisément parce que les civils n’ont pas été à la hauteur des conditions dans lesquelles l’ex- Organisation de l’unité africaine (OUA), ancêtre de l’Union Africaine, avait adopté en juin 1999 à Alger une résolution forçant le retour des militaires dans les casernes que ces derniers en sortent ces temps-ci sous les vivats des foules. Comme le cas malien le prouve… Soyons donc clair: parce que les officiels de la CEDEAO, délurés et défenseurs d’intérêts de classe au vil service des pouvoirs anti-démocratiques qui, du Mali au Sénégal, de la Côte d’Ivoire à la Guinée et partout ailleurs en Afrique de l’Ouest, tiennent sous l’éteignoir, sous leurs genoux, les peuples Ouest africains et leurs ambitions d’excellence démocratique autant que de bien-être matériel, il est normal que la révolte s’organise. Le droit ne s’y oppose pas.

Partout dans le monde, aucune nation ne s’est développée sans s’être battue parfois les armes à la main. Le nouveau jour Ouest africain sera fracassant ou ne sera pas. Le vertige “Tigadegueh” (NDLR: appellation sénégalaise d’une sauce malienne à base d’arachide) ne manque donc ni saveur ni sex-appeal: c’est un modèle à copier n’en déplaise aux marginaux de l’histoire assoupis dans les palais communautaires ou nationaux. Cedeao, réveille-toi: tu es hors des clous d’une inéluctable histoire en marche. Le train est en route. À vive allure. Sur le quai, les éternels retardataires se contentent d’émettre des communiqués inaudibles, sans prise sur les voyageurs ayant la tête à un avenir autre, meilleur… Peu importe le sort de IBK, la CEDEAO est une victime collatérale de son rejet massif et populaire par un peuple malien vent debout, décidé à écrire l’histoire….

Adama Gaye

Journaliste et essayiste sénégalais,

ancien directeur de la communication de la CEDEAO

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