Janjo à Edmond Ousmane Traoré, Un Homme comme il n’en existe que rarement

11

J’ai mis du temps à t’écrire cet hommage parce que je n’en ai pas eu la force. Chaque fois que j’ai tenté d’écrire quelque chose, ma plume s’est arrêtée. Il m’a fallu sept (07) ans pour y arriver. Sept (07) ans, tu t’imagines !

Depuis un 8 avril 2010. Un mois terrible ! J’ai été la dernière personne à te voir la veille, le soir du 07 avril. T’en rappelles-tu ?

«Ordure, décharge municipale !» Pourquoi tu ne m’as pas mis dans la confidence ? Comment faire confiance à un Traoré ? Tu es vraiment une  «ordure, une belle ordure», «mon ordure à moi», plus que «ordure», une «décharge interétatique». Nous partagions un vocabulaire qui nous était familier… Une sorte de complicité intellectuelle et affective.

Ce soir du 07 avril, nous nous sommes retrouvés comme tous les soirs à refaire le monde. Nous avions parlé de la situation du pays, du monde et de la déchéance de notre société, des dérives de l’humain…

A peine sorti de ta maison, vers les alentours de minuit, une coupure  soudaine d’électricité. C’était devenu une habitude en ce mois de canicule. Nous nous sommes arrêtés et tu m’as proposé de nous asseoir devant ta maison, en attendant le retour du courant. Une curieuse conversation s’est alors engagée entre nous. Tu m’as parlé de ton aversion profonde pour l’obscurité. Elle te rappelait celle de la tombe, disais-tu !

Tu m’as parlé de la solitude de la tombe. Je me suis rappelé de l’enterrement d’un de tes amis d’enfance, dans son village lointain sur la route de Garalo, dans le cercle de Bougouni. Tu m’avais dit avoir été frappé par le silence accablant du lieu où il reposait désormais. Tu m’as dit que tu préférerais reposer un jour dans le cimetière de Niaréla.

Les alentours étaient bruyants. Pas de solitude. Les Sotramas y passaient tout le temps avec le vacarme de leur klaxon. Depuis, à chaque fois que je passe à proximité, je klaxonne, comme pour te réveiller de ton sommeil éternel.

Etrange soirée quand j’y repense. Le lendemain quand on m’a informé de ton décès, je n’y avais pas cru. Un terrible poisson d’avril ? Non, c’était la triste réalité. J’en étais foudroyé. Je suis rentré aussitôt à la maison et je suis resté cloitré dans ma chambre, l’esprit vide. Curieuse sensation d’absence, de solitude extrême…

Quand je me suis décidé à aller te voir, j’ai refusé qu’on enlève le drap qui couvrait ton corps. Je ne voulais pas garder de toi l’image d’une rigidité corporelle.

Nous avons perdu toi et moi, des parents, des amis, des camarades… Dernièrement mon épouse Haby… Paix à ceux qui sont morts, douleur à ceux qui leur survivent ! Vanité et insignifiance de l’humain face à son destin…

Je me rappelle au centimètre près, des endroits, au croisement de ta rue et de la mienne où nous nous pouvions rester de longs moments à causer et à nous raccompagner l’un et l’autre, du fauteuil où je m’asseyais chez toi chaque soir, du tien chez moi, de tout comme si c’était hier…

Au fil des années notre complicité était devenue plurielle. Comment comprendre cette amitié entre un «communiste attardé» selon ton expression et un «féodal incorrigible» selon la mienne ?

En fait la solidité de notre amitié reposait sur notre attachement respectif aux valeurs de nos terroirs respectifs: amour de la vérité, haine de l’injustice, solidarité humaine, loyauté. Bien qu’ayant été tous deux, à l’école occidentale, nous sommes restés assez ancrés dans nos cultures et valeurs fondamentales de civilisation.

Je me rappelle des propos tenus par des parents venus du fond du Bafing te rendre hommage.

J’en avais été émerveillé. Des vieux de l’âge de nos parents qui ont salué ton sens de la famille, ta générosité d’esprit et de cœur, toi le jeune bâtisseur de ponts entre les générations… J’ai bu leurs discours jusqu’à la dernière goutte. Moi, le «communiste» j’étais fier d’avoir pour ami toi, le «féodal» !

Nous n’étions pourtant pas politiquement du même bord. Je te traitais souvent de «chien méchant» du CNID ou de Mountaga Tall. J’étais souvent étonné de ton engagement actif tardif en politique, toi qui as eu pour père Tidiane Faganda Traoré, un illustre militant politique dont la force de conviction, l’engagement et l’honnêteté  étaient reconnus par tous.

Je me rappelle  de ton arrestation et de ton emprisonnement suite à une marche de l’Opposition.

Tu avais été précisément ciblé. Il fallait régler ton compte. Je me rappelle de tes larmes quand on t’a accusé à tort d’avoir jeté des cailloux contre les forces de l’ordre. Pure indignité pour le «féodal» que tu étais !

Il fallait t’humilier, toi, l’opposant politique du moment. On a poussé l’acharnement jusqu’à accuser ton jeune frère, maire d’une Commune de détournement de deniers publics. Il en a été, lui aussi, brisé à jamais. Il fallait te rabaisser le caquet.

Immense tragédie ! Méchanceté gratuite! Des vies broyées ! Dérives politiciennes qui nous ont conduits dans les impasses actuelles.

Ton désengagement ultérieur du champ politique ne m’a pas non plus surpris quand tu t’es aperçu du double jeu et du revirement de certains de tes compagnons politiques d’alors. Le temps des convictions était révolu, place à l’opportunisme. Il fallait aller au festin du pouvoir.

Tu n’étais pas de cette étoffe. Cela nous a rapprochés et davantage ancrés dans les principes et valeurs qui étaient les nôtres. Mais aussi dans nos amertumes…

Quand j’interroge le présent, dans la solitude qui est parfois la mienne, une consolation me vient à l’esprit, la chance que tu as eue de n’avoir pas été témoin de la déchéance actuelle de notre pays, de toutes les trahisons et bassesses qui nous ont amenés à saccager l’héritage que nos ainés nous avaient laissé, par cupidité, par lâcheté collective. Nous sommes devenus presque un peuple de «gueux»!

Je ne suis pas un griot pour chanter ta mémoire.

Toi, Traoré, je te fais Diarra. Même s’il est vrai qu’aujourd’hui bien des Diarra sont devenus moins que des Traoré. Les hommes de conviction et de principe sont devenus rares. Etrangers qu’ils sont dans leur propre pays. Le désastre est total.

Il reste à espérer que des parcours de vie tel que le tien et celui d’autres patriotes puissent un jour faire germer de nouveau l’espérance.

Alors j’écris un Janjo pour toi. Tu as accompli ta part de devoir. Chantons des exemples comme le tien pour que les actuelles et nouvelles générations puissent se rappeler les leurs et ne pas continuer à trahir le pays et ses racines.

Repose en paix cher ami, mon «ordure» de lumière !

Pr Issa N’DIAYE

 

Commentaires via Facebook :

11 COMMENTAIRES

  1. Merci Professeur
    En vous lisant j’ai eu les larmes aux yeux , votre amitié avec tonton feu Edmond Ousmane Traoré , était belle et sincère , ce qui est très rare de nos jours. Les gens doivent prendre exemple sur vous , car maintenant c’est le matériel qui prime sur l’amitié , ce qui est vraiment dommage .

    Merci pour cette belle leçon de la vie , et longue à vous Professeur

  2. c’était mon beau frère et alors un “mari” que j’adorais. Il a rendu notre cycle agréable à l’ENSUP mes amies et moi. Dors en paix Ousmane le gros

  3. 1- Toujours un plaisir de lire le Professeur Philosophe, simplement de la “SAGESSE” et de l'”Amour de la SAGESSE”.
    2- On aura su également au passage dans un style dont vous aviez seul le secret qu’un N’Diaye est aussi un Diarra et de là juste une reconnaissance du mérite de M Traoré, disons du grain de haricot que vous vous êtes toujours disputé!

  4. GRAND MERCI DE LA FAMILLE POUR CES TEMOIGNAGES COMBIEN TOUCHANTS . ILS SENTENT LA MARQUE DES GRANDES AMES ET RASSURENT EN MEME TEMPS. NOUS PRIONS ALLAH TOUT PUISSANT POUR LE REPOS DE TOUS LES NOTRES ET CEUX DES AUTRESL
    FRATERNELLEMENT.

  5. Merci prof!
    Vôtre race s’éteint et ce grand pays avec.
    Un peuple sans un socle moral solide disparaît.
    Nous le constatons quotidiennement.
    On dirait que cette «déchéance actuelle de notre pays »est irréversible.

  6. Merci mon frère Issa N’Diagne pour cet oraison d’amitié sincère. Au fait, ton écrit semble suggestif pour ceux qui n’ont pas connu l’aîné de Saint Clair, ancien maire de la commune II du District de Bamako dont tu fais allusion. Edmon était ton bourantiè car ta femme est KEÏTA, une vraie malinké.
    Edmond le TITAN, le modèle de Républicain dont la jeune génération doit s’inspirer. TITAN, parce qu’il était grand d’esprit même s’il ne chaussait que rarement les chaussures fermées . La pointure de ses pieds étaient du 46 ou 47 et les souliers trop serrés l’amenaient à claudiner.
    Edmond voyait le monde en malinké, la droiture, je veux dire en dehors de toute tricherie. Je me rappelle encore de ses rires sarcastiques à certains faucons du CIND dont maître TALL lui même, Dadié TOURE etc..les responsables de ce parti lors du saccage de l’Assemblée Nationale en 1993. Edmon, sympathisant de Parti du soleil levant, avec sa voix de Stantor fustigeait l’agissement des responsables du CNID et ceux de l’AEEM, ZARAWANA et autres qui se réfugiaient chez une dame militante du CIND (inspectrice des Affaires Sociales) et dont le tonton membre d’honneur. Ce viel Inspecteur de Police qui gardait encore es stigmates de sa détention à Taoudenit, parce que condamné pour son amitié avec Tiekoro Bagayoko. Le domicile de la dame très liée à maître TALL était pourtant le Grin de mon aîné Edmond ce féodal incorrigible malgré sa divergence dans le combat pour la justice. Edmond était résolument contre la violence dans les manifestations politiques. Son esprit d’ouverture et d’amabilité à le dépeindre sont à ajouter à ses qualités d’ami. Il était pour le bien de la République.
    Diaaaa, il existe un autre force plus véridique que toute passion politique.

    Pour la République.

    VIVE LA RÉPUBLIQUE

  7. Edmond fut mon prof de roman africain à l’Ensup et il sentait le roman et savait le décortiquer…

  8. Merci pour cette belle ode à mon Grand-père Edmond qui aimait à m’inviter à siroter le café et à parler de belles lettres! Merci pour ce majestueux hommage à celui qui tous les 14 juillet ne manquait pas de m’appeler, lorsqu’il regardait le défilé emblématique des Saint-Cyriens sur les Champs Elysées! Merci Professeur pour ton “Ordure”, pour notre “Ordure”…

  9. Merci mon professeur, j’ai pas connu Ousmane sur le champs, car je ne suis pas quelqu’un d’engagé. Mais Ousmane je les ai connus lui et son épouse, des personnes très gentilles et amies de tout le monde. Ousmane dors en paix à la suite du professeur que j’ai connu aussi quand j’étais jeune lycéen et lui jeune prof fraîchement sorti de l’ENSUP.

Comments are closed.