Intérim et Transition : Que prévoit exactement l’Accord-cadre ?

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Le coup de force du 22 mars dernier aura réussi l’exploit d’avoir tour à tour mis un terme aux cahots d’un Etat en déconfiture et disloqué l’intégrité territoriale du pays en favorisant la convergence et l’avancée massive des rebelles vers le Sud. Il va sans dire que même si les motivations des putschistes étaient réelles et justifiées, nul n’était besoin de créer et d’alimenter ce chaos qui n’arrange en définitive que les ennemis du Peuple malien.

 

Le régime ATT aura effectivement mis le pays à plat, sans que l’on puisse s’en rendre compte ou plutôt, sans que quiconque n’interpelle les politiques et la société civile pour dire ‘’Attention, le pays part en vrille’’. Bien sûr, tous les ingrédients étaient là pour détecter cette déliquescence  de l’Etat, mais personne n’a véritablement réagi.  Parmi les signes avant-coureurs, on peut rappeler pêle-mêle la corruption généralisée, la détérioration des systèmes éducatif et sanitaire, le chômage des jeunes, le favoritisme, le clanisme, la cherté de la vie ou encore la culture de la médiocratie. Mais si l’on ajoute à cela la passivité des politiciens, l’inertie de l’Assemblée nationale, l’absence totale d’opposition et de débats politiques, l’apathie des intellectuels, la tendance des plus nantis à s’occuper uniquement de leur personne afin de préserver leurs acquis ou encore, le mutisme coupable des médias, on se rendra rapidement compte que tous les maliens sont coupables et comptables de la situation dans laquelle se trouvait le pays avant la date fatidique du 22 mars, car chacun avait décidé de se complaindre de la situation en pratiquant la politique de l’autruche. Il faut dire que le mot « consensus » si bien cultivé par le Président Amadou Toumani TOURE est passé par là, même si à la réflexion, ce terme apparaît complètement antidémocratique puisqu’il suppose l’absence totale de contestations et de contradictions.

Il reste tout de même que ce coup de force n’était pas vraiment indispensable et que surtout, il est tombé au mauvais moment puisque nous étions à quelques semaines des élections présidentielles, même si les plus pessimistes pensent que rien n’allait réellement changer. On peut tout aussi penser que tout allait changer puisque rien ne prouve que le nouveau Président élu allait continuer cette politique suicidaire consistant à ne jamais examiner les problèmes pour proposer des solutions, mais à essayer d’arrondir les angles pour éviter de prendre position ou pire, pour ne pas heurter la sensibilité de certains.

Mais autant tous les maliens sont coupables et comptables de la situation antérieure, autant ils sont aujourd’hui responsables de l’orientation que devrait prendre notre démocratie pour le bien-être de tous. En d’autres termes, maintenant que ″le vin est tiré, il faut bien le boire″. Et dans cette optique, il importe d’analyser de manière critique et objective les termes de l’Accord-cadre signé le 06 Avril 2012 entre le CNRDRE et la CEDEAO, afin de séparer le bon grain de l’ivraie. Cet exercice est d’autant plus nécessaire que face aux différentes interprétations qui sont faites du texte, lesquelles ne reposent en réalité que sur des considérations partisanes et intéressées, il importe de faire la part des choses et de déterminer la place et les attributions des différents organes appelés à diriger le pays pendant les mois à venir.

L’article 36 de la constitution du 25 février 1992 prévoit que lorsque le Président de la République est empêché temporairement, l’exercice de ses pouvoirs est provisoirement conféré au Premier-Ministre.

Par contre, lorsque le Président est empêché absolument ou définitivement, pour quelle que cause que ce soit, il est remplacé par le Président de l’Assemblée Nationale. Mais pour que celui-ci puisse lui « succéder », il faut que la vacance de la Présidence soit constatée. Ce constat est fait par la cour constitutionnelle, saisie par le Premier-Ministre et par le Président de l’Assemblée Nationale. En temps normal, c’est-à-dire si les institutions fonctionnent de façon régulière, le Président de l’Assemblée Nationale devenu Président de la République doit alors organiser de nouvelles élections présidentielles dans un délai au minimum de 21 jours et au maximum de 40 jours. Ce délai court à compter de la constatation de la vacance définitive de la Présidence.

Mais nul ne doute que nous ne sommes pas dans une situation « régulière ». La guerre sévit au Nord et l’exécutif est décapité. Il est logiquement impossible d’organiser des élections crédibles dans ces conditions.Par ailleurs, le mandat du Président de l’Assemblée Nationale, comme celui des autres Députés, finit en Juillet prochain. A cette date, ce dernier perdra sa qualité de Président l’institution et sera contraint de démissionner de son poste de Président de la République par intérim. Ce qui risque de créer une situation de non-droit.

Pour tenter de parer à ces difficultés,l’Accord prévoit pêle-mêle deux choses : le respect des dispositions de l’article 36 de la Constitution et la mise en place d’organes de transition, dont un Premier-Ministre nanti des ‘’pleins pouvoirs’’. Dans les deux cas, l’objectif visé est la sécurisation du Nord du pays et l’organisation d’élections libres, apaisées et transparentes sur toute l’étendue du territoire national.Mais dans la précipitation, le texte pèche par manque de précision et ouvre du coup la voie à toutes sortes d’interprétations.Les points de divergence portent essentiellement sur la place et les attributions des différents organes pendant la période d’intérim de 40 jours et pendant la transition dont la durée n’a pas été, au demeurant, fixée. Pour y voir clair, il importe de s’intéresser tour à tour à ces deux phases vers la normalisation des institutions.

1. L’Intérim

Pendant la période d’intérim, le Président de la République est bien évidemment le Président de l’Assemblée Nationale, en l’occurrence Dioncounda TRAORE et ce, conformément aux dispositions de l’article 36 de la Constitution.Des interrogations se posent cependant ici et il importe d’y apporter quelques éléments de réponse.

Tout d’abord, quels seront les pouvoirs de ce Président intérimaire ?Disposera t-il des pouvoirs d’un Président ‘’normal’’ tel que prévu par le Titre III de la Constitution ou restera t-il simplement une autorité morale ? La réponse à ces questionsn’est malheureusement pas prévue par l’Accord, celui-ci se contentant simplement d’indiquer qu’il a pour mission d’organiser les élections dans un délai de 40 jours. Toutefois, puisque l’Accord a pris la peine de distinguer la période de l’intérim de celle de la transition, il est permis de considérer que le Président intérimaire disposera de tous les pouvoirs réservés à un Président de la République.Autrement dit, il pourrait nommer un Premier-Ministre et le charger de former un Gouvernement d’intérim. Ce Premier-Ministre n’aura bien évidement rien à voir avec celui prévu par l’Accord qui lui est appelé à intervenir pendant la transition pour y exercer les ‘’pleins pouvoirs’’.

Ensuite, au-delà de sa profession de foi, Dioncounda TRAORE pourra t-il quand même se présenter aux élections présidentielles ?La réponse à cette question est bien évidemment affirmative puisque l’Accord a complètement occulté ce point. Cette lacune est fort regrettable et risque de poser bien des difficultés si d’aventure l’hypothèse se présentait. A ce propos, on ne peut que compter sur la bonne foi l’intéressé et sa disponibilité à ne pas entraver la relance de notre jeune démocratie.

Enfin, que deviendrait le CNRDRE pendant la transition ? Cet organe sera-t-il maintenu ou au contraire, disparaîtra t-il ? Là aussi, malgré le silence de l’Accord, il ne fait aucun doute que le CNRDRE ne devrait pas exister pendant l’intérim, en raison tout simplement du retour à un ordre constitutionnel normal. Autrement dit, pendant cette période de 40 jours, c’est le Président de la République et lui seul qui devra diriger l’Etat. Le moindre rôle joué par le CNRDRE dénotera à coup sûr que la volonté affichée par les putschistes de ‘’régulariser’’ la situation institutionnelle du pays n’est que du vent. Aussi, devrons-nous tous rester vigilants.

 

2. La Transition

Elle commencera après les 40 jours de l’intérim et conduira aux élections présidentielles et législatives, après la sécurisation du Nord du pays. Les rapports de force au niveau de l’exécutif changeront mais certaines réalités, à n’en pas douter, demeureront.

Dans son CHAPITRE II relatif à ‘’La mise en place d’organes de transition’’, l’Accord du 06 avril introduit un régime jusque là inconnu dans nos pays, à savoir l’administration du pays par un Premier-Ministre nanti des ‘’pleins pouvoirs’’. Ce régime qu’on peut qualifier de parlementaire n’existe en réalité que dans certains pays européens dotés d’une forte culture politique et démocratique, ce qui explique son succès et son maintien. Espérons que l’expérience que nous allons en faire pendant quelques mois ne sera pas amère.

Plus concrètement, ce ne sera plus un Président de la République qui va diriger le pays, mais un Premier-Ministre entouré d’un Gouvernement d’union nationale, qui aura pour mission d’œuvrer pour la sécurisation du territoire national d’abord et pour l’organisation des élections présidentielles et législatives ensuite.Les interrogations qui se posent à ce niveau concernent d’une part le Président de la République et d’autre part, le CNRDRE.

Pour ce qui est du Président de la République tout d’abord, celui-ci devrait en principe disparaître après la période d’intérim. En effet, sa mission consistant à organiser les élections dans un délai de 40 jours n’étant pas réalisable pour les raisons que nous avons expliquées, sa fonction devrait prendre fin à l’issue de cette période. Mais l’article 7.c de l’Accord prévoit que l’actuelle Assemblée Nationale votera une loi de prorogation du Mandat des Députés, de manière à ce qu’il continue jusqu’à la fin de la période de transition.Le Président intérimaire étant lui-même un Député, il va de soi que son mandat électif sera également prorogé. En conséquence, tant qu’il restera le Président de l’Assemblée Nationale, il demeurera le Président de la République, conformément aux dispositions de l’article 36 de la Constitution. On ne voit en effet pas comment une situation, toute exceptionnelle qu’elle soit, pourrait prendre le pas sur une Assemblée Nationale ‘’normalement constituée’’, c’est-à-dire avec un Président légitime et légitimé par la prorogation légale de son mandat.La seule raison qui pourrait justifier la perte par Dioncounda TRAORE de sa qualité de Président de la République est son remplacement, non pas un des vice-présidents de l’Assemblée Nationale, mais par un nouveau Président élu par les membres de cette institution.

Pour ce qui est du CNRDRE, il ne fait aucun doute que cet organe ne devrait pas exister sous la transition. Les auteurs de l’Accord ont beau essayé de l’intéresser à cette période de la gestion du pouvoir, à travers notamment l’article 6.e qui dispose que « Le rôle et la place des membres du CNRDRE pendant le processus de transition seront définis », il reste qu’à partir du moment où le retour à l’ordre constitutionnel est effectif et que les organes chargés de la conduite des affaires de l’Etat sont fonctionnels, le CNRDRE ne devrait plus avoir son mot à dire. Mais puisqu’il faut rester légaliste et respecter les termes de l’Accord, on est contraint d’admettre que ses membres,dont on ignore encore aujourd’hui le nombre et « leurs associés », se verraient confier certaines tâches pendant la transition. Ce qui signifie qu’il restera un organe de la transition comme les autres et non pas une entité au-dessus des autres ou encore un super gendarme. Il n’est donc pas juste de dire, comme l’a récemment fait le chef du CNRDRE ou comme tentent de nous le faire croire certaines interprétations, que le Président par intérim quittera son poste après les 40 jours et qu’à partir de cette date, le CNRDRE et la CEDEAO vont discuter pour déterminer les modalités de la transition. Une telle interprétation de l’Accord est complètement illogique.

 

Balla SEYE

Docteur en droit

Enseignant-chercheur

Avocat à la cour

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7 COMMENTAIRES

  1. Si c’est pour laisser le Mali dans la main de ceux qui l’ont plongé dans cette crise, donc les maliens ne sont pas sortis de la merde. ATT et Dioncounda c’est kiff kiff. ATT n’est pas plus responsable des problemes du Mali que Dioncounda. Seulement l’ordre constitutionnel dit que c’est le President de l’Assemblée Nationale doit remplacer le President de la republique en cas de vacance de pouvoir. Ces gens qui ont dirigé le Mali pendant 20 ans doivent degager mille fois pour faire place à des nouvelles personnes integres et patriotes. Un patriote ne pille pas son pays. Il y a 14 millions de maliens, ce ne sont pas ces dirigeants qui ont eux seuls le droit de prendre la destinée du Mali. Jeunesse du Mali prenez votre destin en main et faites la revolution comme l’a fait la bande de Sanogo au sein de l’armée. Les jeunes de tous les partis doivent mener la revolution à leur sein. Dioncounda, Soumaila Cisse, IBK, Modibo Sidibé à la touche, ils doivent degager car ce sont tous l’ancien systeme. Jeunesse malienne n’ecouter pas ceux de votre qui ont profité du systeme. Organisez vous en parti malien patriote regroupant ADEMA, RPM, URD, SADI, PARENA, CNID, YELEMA, CNAS … pour creer une generation de dirigeants propres pour le Mali. Jamais le Mali n’a été aussi bas par la faute à nos dirigeants corrompus. ATT n’est pas seul coupable.

  2. Heureusement qu il existe encore des analyste politique au Mali , merci Mr Seye vous avez résumé mes pensées et quelle bellle conclusion …franchement bravo

  3. Parfaite analyse de la situation et ce que les maliens doivent savoir il faudra du temps pour que les partenaires du mali reviennent en matière de coopération car ils observent la situation.

  4. merci Balla pour cette analyse et cette contribution. c’est difficile quand on vit avec des citoyens à grande majorité bornée et abrutie.
    vive le Mali

    • mais détrompe toi , ces de la politique
      Ce n’est pas parce que le CNRDRE a l’ambition de s’accrocher au pouvoir qu’ils font bloc aujourd’hui pour « défendre la démocratie » et protéger la légalité constitutionnelle ; c’est simplement parce que les patriotes de la junte ont refusé de jouer leur jeu, de marcher dans leurs combines, d’accepter de les laisser voler et piller le Mali, et surtout d’exiger d’eux qu’ils rendent compte. 🙄 🙄 😯 😈

      Nous souhaiterions être démentis à travers la gestion qu’ils feront des 40 jours de constitutionnalité à la tête. 😈 👿 8) 😯

    • mais détrompe toi , ces de la politique
      Ce n’est pas parce que le CNRDRE a l’ambition de s’accrocher au pouvoir qu’ils font bloc aujourd’hui pour « défendre la démocratie » et protéger la légalité constitutionnelle ; c’est simplement parce que les patriotes de la junte ont refusé de jouer leur jeu, de marcher dans leurs combines, d’accepter de les laisser voler et piller le Mali, et surtout d’exiger d’eux qu’ils rendent compte. 🙄 🙄 😯 😈

      Nous souhaiterions être démentis à travers la gestion qu’ils feront des 40 jours de constitutionnalité à la tête. 😈 👿 8) 😯 😕

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