Le délitement des mécanismes traditionnels de résolution des conflits au Mali
Les populations maliennes ont toujours eu recours au dialogue et la société malienne est fortement renforcée par l’utilisation de mécanismes traditionnels et communautaires de résolution des conflits, tels que le recours aux autorités traditionnelles ou religieuses ou des pratiques culturelles comme le cousinage à la plaisanterie , qui ont permis aux Maliens, depuis des décennies à favoriser l’esprit de cohabitation pacifique entre les groupes ethniques dans le respect de la diversité et de l’esprit de cohésion sociale.
Cependant, depuis le déclenchement de la crise en 2012, et plus récemment avec son expansion dans le centre et le sud du Mali, l’efficacité et la crédibilité de ces mécanismes endogènes ont été érodées par la prolifération des groupes d’autodéfense et des groupes armés non étatiques, y compris les groupes extrémistes violents ‘djihadistes’ et les bandits, qui ont étendu leur influence en exploitant les chagrins préexistants et les conflits locaux latents liés à l’accès aux ressources naturelles.
La crise sécuritaire est en outre aggravée par la présence limitée des autorités publiques, la perte de légitimité de l’État – alimentée par des déclarations de corruption, de clientélisme et de népotisme endémiques – ainsi que par le sentiment d’exclusion économique et d’ injustice face aux nombreuses violations commises par les forces de défense et de sécurité .
Une étude de perception réalisée en novembre 2020 à l’échelle nationale par le Centre International de Recherche sur la Paix de Stockholm (SIPRI) et l’institut national de recherche Point Sud avec le soutien du PNUD, a confirmé cette tendance. Lorsqu’on leur demande quel type d’acteurs et de mécanismes est considéré comme le plus important pour prévenir et gérer les conflits au niveau local, la grande majorité des personnes interrogées, toutes régions confondues, de manière unique que les acteurs et mécanismes traditionnels et communautaires sont les plus forts, ce qui contraste fortement avec les institutions nationales, qui sont largement compris comme un dernier recours.
Pourtant, malgré le statut social reconnu et l’ancrage local de ces mécanismes traditionnels de prévention et de gestion des conflits, les médiateurs locaux deviennent progressivement la cible d’attaques et leur autonomie est de plus en plus remise en question par les groupes armés non étatiques dans un contexte d’insécurité où de nouveaux types de gouvernance et concurrents sont imposés ou alternatifs en l’absence de l’État.
Cette situation a en outre contribué à exposer certaines limites des mécanismes traditionnels de prévention des conflits, en particulier en ce qui concerne l’inclusion des jeunes et des femmes.
Pour faire face à ces défis, il apparaît nécessaire de ré-imaginer les mécanismes traditionnels de résolution des conflits, en les rendant plus inclusifs et résilients face aux dynamiques en cours, mais aussi de rendre les structures étatiques plus adaptées et redevables au contexte local.
Vers une approche hybride pour la consolidation de la paix au Mali
Dans un tel contexte, une approche hybride pour la consolidation de la paix , qui combine et réconcilie les mécanismes indigènes de médiation et de résolution des conflits avec les institutions étatiques, apparaît comme une solution pertinente afin de contribuer à l’installation d’une paix durable. Au Mali, s’est progressivement imposé au cours des années, et des efforts ont été déployés par le gouvernement, avec la communauté internationale pour mettre en place de nombreux mécanismes de soutien qui visent à restaurer le contrat social entre l’État et sa population .
Les comités de consolidation de la paix mis en place par l’État au niveau régional et sous-régional, à travers les Équipes Régionales à la Réconciliation (‘ERAR’) et les Commissions Foncières Villageoises ou de Fraction (‘COFO’) sont une illustration de cette tendance.
Les COFO ont une compétence exclusive pour traiter les litiges fonciers avant toute saisine des tribunaux. Dans un contexte de pluralisme juridique – caractérisé par l’application du droit coutumier et du droit formel – ils constituant un levier important pour assurer la reconnaissance formelle du rôle des autorités traditionnelles, tout en offrant un point d’entrée pour renforcer la complémentarité de la justice traditionnelle avec les tribunaux et les acteurs de la justice. Avec les partenaires AMEDD et AZHAR, le PNUD et ONUFEMMES ont depuis octobre 2020 accompagné leur installation et leur opérationnalisation dans les régions du Centre-Nord du Mali, tout en mettant un accent important sur leur accessibilité à la population à travers divers efforts de sensibilisation et de renforcement des capacités de ses membres.
Les ERAR ont été mis en place par le ministère chargé de la Réconciliation nationale en 2018. Bien que ce cadre soit relativement récent et ne soit pas pleinement opérationnel à ce jour, il reflète une vision ascendante de la paix, qui comprend des comités communaux de réconciliation (“CCR”) au niveau local qui servent à la fois de première réponse et de mécanisme d’alerte précoce dans la résolution et la prévention des conflits ainsi que des équipes déployées au niveau des chefs-lieux des régions. Ces équipes interviennent de manière ponctuelle pour la médiation de conflits en effectuant une analyse des conflits et en coordination avec chaque mission d’appui à la réconciliation (“MARN”) au niveau national, est chargée de soutenir le ministère dans la coordination,
Afin de protéger la vision du Ministère chargé de la réconciliation nationale, le PNUD a en outre soutenu une institution dans ses efforts depuis 2020 visant à mettre en place sa stratégie de cohésion sociale et de réconciliation nationale concertée qui cherche à harmoniser et à rationaliser les infrastructures de paix présente au Mali.
Dans le cadre de son nouveau programme quinquennal : programme d’appui à la stabilisation du Mali à travers le renforcement de l’État de droit (PROSMED), le PNUD Mali entend renforcer cet appui en renforce la capacité institutionnelle du Ministère chargé de la Réconciliation Nationale à piloter, suivre et coordonner les interventions des différents acteurs nationaux et internationaux présents au Mali, tout en redynamisant les infrastructures de paix existantes sur le terrain.
Ce soutien visera à accompagner les autorités maliennes afin qu’elles puissent tenir leur promesse de restaurer la présence et la confiance en l’État sur tout le territoire national, tout en soutenant et en exploitant les capacités locales préexistantes pour la prévention et la résolution des conflits.
Auteur : BENEDICTE STORM
Analyste Programme Gouvernance Démocratique / PNUD Mali