Décédé le 10 novembre dernier, l’Etat et le peuple maliens ont rendu un vibrant hommage au « soldat de la démocratie malienne », Général d’Armée Amadou Toumani TOURE (ATT). Même si les avis sont partagés par rapport à son concept de « gestion consensuelle » du pouvoir, lui, de son vivant en a fait sa méthode de gouvernance. Ceci tant au plan politique mais aussi pendant la gestion de la 3è rébellion dans le nord du Mali en 2006. Invité à l’UNESCO à Paris en mai 2009 dans le cadre de la semaine africaine, ATT a été sollicité pour expliquer sur une tribune internationale, son expérience de consensus par rapport à la solution qu’il a envisagée non seulement au plan politique mais aussi face au défi de paix tant recherchée au Mali. In memoriam, nous publions l’article compte-rendu de ladite conférence internationale où ATT a expliqué son expérience en matière de consensus.
ATT A L’UNESCO : GESTION DES CONFLITS, CAS DU MALI
« Gouverner ensemble, dans le respect de nos différences »
Les rideaux sont tombés sur les manifestations de la semaine africaine qui s’est déroulée du 25 au 29 mai 2009 à Paris. Organisée par l’UNESCO, l’organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture, la matinée du dernier jour de la semaine a été marquée par une conférence sur le thème : « culture de la paix, l’expérience malienne de la gestion consensuelle du pouvoir de 2002 à 2007 et la crise qui a secoué une partie du nord-Mali à partir de mai 2006. » Invité par l’UNESCO pour aborder ce thème, le président de la république M. Amadou Toumani TOURE a saisi l’occasion pour exposer l’expérience malienne en matière du consensus politique et le règlement pacifique des crises. L’événement a mobilisé une grosse partie de la diaspora malienne de France. Le Mali à l’honneur dans un haut lieu du savoir comme l’UNESCO, ceci ne passe pas inaperçu. Les maliens ont su magnifier leur culture par le discours, l’animation musicale orchestrée par l’ensemble instrumental du Mali de France et l’accoutrement des uns et des autres en basin brodé.
A l’ouverture de la conférence, dans leur discours de bienvenue, le directeur général de l’UNESCO M. Koichiro MATSUURA et le président du groupe africain auprès de l’UNESCO M. David D. HAMADZIRIPI ont salué les efforts du chef de l’Etat en faveur de la promotion de la démocratie et la paix.
L’exposé du chef de l’Etat était axé sur points majeurs : d’une part le consensus politique sous son premier mandat de 2002 à 2007 et d’autre part la gestion de la crise du nord de mai 2006.
« GOUVERNER ENSEMBLE DANS LE RESPECT DE NOS DIFFERENCES »
D’entrée de jeu, à propos de la gestion consensuelle du pouvoir, ATT a rappelé qu’après son élection en 2002, qu’il a proposé à la classe politique malienne, une gestion consensuelle du pouvoir dont la philosophie essentielle, tient en cette formule : « gouverner ensemble, dans le respect de nos différences. » La singularité de cette expérience, précise-t-il, résidait dans le fait qu’elle ne découlait d’aucune crise post-électorale. « C’était une démarche consciente et volontaire, sur la nécessité d’une mise en commun des efforts des forces politiques, sociales et associatives pour le développement du Mali », a-t-il ajouté.
Tout ou presque, poursuit-il, a été dit sur ces différents conflits, mais il retient pour sa part que l’enjeu du pouvoir a été toujours un élément déterminant des contradictions politiques. « En ce qui me concerne, et s’agissant du Mali, j’ai souhaité que le pouvoir soit plus un facteur de cohésion que de division et cela dans le respect de toutes les libertés fondamentales » a-t-il ajouté.
Faut-il rappeler à l’époque certains observateurs ou analystes africains trouvaient cette méthode de gestion consensuelle du pouvoir comme une façon d’affaiblir sinon d’embrigader l’opposition. Ce qui constitue une menace pour la démocratie.
ATT s’en défend dans en expliquant ce qu’il entend par consensus politique. « …Le consensus politique ne signifie pas unanimisme encore moins monolithisme. Le consensus implique la notion de compromis plutôt qu’une opinion adoptée à l’unanimité ; il ne signifie pas forcément que tout le monde est satisfait du résultat, mais suggère plutôt que tout le monde juge le résultat acceptable et que la majorité soit satisfaite. …Le consensus politique au Mali, est, nous semble-t-il, une tentative avancée, dans la construction de ce nouveau système politique en devenir en Afrique : les larges coalitions gouvernementales. L’expérience malienne a regroupé l’essentiel des forces politiques autour de la vision d’un président de la république qui n’a pas de parti politique. » En somme pour le chef de l’Etat, il ne fait aucun doute que la formation de larges coalitions politiques opérationnelles, dans l’exercice du pouvoir, constitue un remède à l’érosion accélérée, des capacités politiques de l’Etat. En citant l’illustre homme d’Etat sénégalais Léopold Sédar Senghor, il ajoutera que le consensus a eu également comme vertu, de sortir le Mali des oppositions crypto-personnelles.
CONFLIT AU NORD MALI
S’agissant de la récente crise du nord dans notre pays, rappelons qu’elle a éclaté sous le régime du consensus politique avec l’attaque le 23 mai 2006 du camp militaire de Kidal, dans le nord du Mali par un groupe armé qui se fera connaître plus tard sous le nom « Alliance du 23 mai pour le changement. » Selon le président de la république, ce recours aux armes par une partie très minoritaire de la communauté touarègue représentait un défi pour lui d’abord en tant que soldat de formation qu’il a été, puis pour le président de la république qu’il est mais aussi pour le médiateur qui est intervenu dans la résolution de plusieurs conflits en Afrique (République centrafricaine, République démocratique du Congo, Rwanda et au Burundi).
Aux premières heures de la mutinerie, lui qui a prôné la modération et la retenue sur tous les théâtres de conflits, il lui est apparu important de rechercher un nouveau consensus national sur la compréhension et la gestion de cette crise de la même manière que le consensus a prévalu au plan politique dès 2002. En effet selon ATT, il fallait éviter tout amalgame pouvant nuire à la cohabitation et au brassage entre les communautés nationales. Le dessein caché de ceux qui ont décidé de prendre les armes n’était-il pas de provoquer une fracture entre le nord et le sud ? S’interroge-t-il. D’où il a affirmé que le peuple malien est à la fois blanc et noir et que le consensus national souhaité devait aussi se faire sur l’engagement à trouver une solution pacifique à la crise.
Au-delà du cadre national, le chef de l’Etat a en outre abordé la dimension transfrontalière de cette insécurité au nord de notre pays. « Le trafic de cigarettes, explique-t-il, d’armes et de munitions, la traite des humains avec les réseaux criminels d’immigration clandestine, la présence de salafistes, sont autant de menaces transfrontalières. L’économie de la drogue qui a déstructuré les sociétés situées dans le Sahara, bouleversé les hiérarchies sociales et favorisé l’émergence de milices armées est un danger encore plus redoutable. »
Ainsi le Mali, en accord avec les pays concernés a lancé l’initiative ‘une conférence sahélo-saharienne sur la paix et le développement.
Cette rencontre se penchera sur des thèmes tels que la coopération dans la lutte contre les trafics en tous genres et la gestion de la bande saharienne, la promotion d’un développement local pour offrir aux populations et surtout aux jeunes des opportunités d’emploi et d’épanouissement. Le président de la république a par ailleurs témoigné et salué l’implication personnelle de son homologue algérien M. Abdelaziz BOUTEFLIKA et exprimé sa reconnaissance au Guide de la révolution libyenne M. Mouammar KADHAFI pour son engagement humanitaire.
LES ENSEIGNEMENTS A RETENIR
En somme avant de terminer son exposé, le chef de l’Etat a avancé quelques idées qui paraissent à ses yeux importants à retenir. D’abord, affirme-t-il, la volonté de rechercher une solution politique à la crise doit s’adosser à une capacité de réponse militaire crédible. Ensuite c’est la combinaison intelligente des deux qui permet de faire face à un conflit de basse intensité en veillant à ce qu’il ne dégénère pas en conflit ouvert. Puis deux facteurs essentiels du succès demeurent le niveau d’engagement personnel du chef de l’Etat dans la gestion de la crise et la contribution de chaque acteur à la solution. « En conclusion, l’enseignement majeur de l’expérience de la gestion consensuelle du pouvoir et du règlement de la dernière crise du nord-Mali, pourrait se résumer en ces mots : en démocratie, le fait majoritaire suffit pour gouverner, mais l’ouverture à d’autres forces politiques renforce les bases du système politique dans nos pays. S’agissant des conflits, le fait militaire peut apporter des solutions de court terme, mais la mobilisation des institutions, des forces politiques, des réseaux sociaux et communautaires, la concertation avec les voisins sont un gage irremplaçable de paix plus durable. »
La conférence a pris fin par la visite des stands d’exposition installés dans le cadre de la semaine africaine ainsi qu’un point de presse.
Au demeurant cet exposé du président de la république dans son volet « gestion de la crise du nord Mali » nous paraît une démarche juste, pondérée et efficacement opérationnelle tant dans la forme que dans le fond. Sur la forme le discours est parfaitement maîtrisé : pendant son intervention de près d’une heure, il n’a jamais utilisé même une seule fois les mots ou expressions : « rébellion », « rebelles », « rébellion touarègue » « conflit touareg », « bandits armés ». Il a plutôt employé les termes : « mutinerie », « hostilités » « conflit de basse intensité », « crise du nord-mali », « nos frères et sœurs du nord ». Ceci nous rappelle la même prudence et l’’importance du choix des mots chez le responsable du bureau de presse de l’armée, le colonel Abdoulaye Coulibaly qui nous a expliqué lors d’un entretien téléphonique, qu’il n’y a pas de « rébellion touarègue » au Mali mais plutôt des bandits armés.
Cette communication maîtrisée a permis de ramener le conflit de sa dimension ethnique à sa dimension purement sécuritaire. Sur le fond le savant dosage entre la négociation et l’usage de la force militaire a permis de stabiliser la zone même si cette accalmie reste fragile.
Quant au volet de son intervention consacré au consensus politique, nous pensons que l’usage de celui-ci doit être une exception notamment en période de crise et non une règle d’emblée après les élections. La démocratie pluraliste étant consacrée par la constitution il appartient absolument à la majorité de gouverner sous le contrôle d’une opposition et avec l’arbitrage du peuple. Entre le compromis et la compromission il n’y a qu’un pas et en le franchissant c’est la démocratie et la transparence qui seront fortement menacées. E. DELOCHE n’écrivait-il pas : “le compromis est l’ennemi de la performance”.
Bakary TRAORE, Paris le 30 mai 2009
ENCADRE
GESTION DE LA CRISE DU NORD
« Il n’y a pas eu de violation de droits de l’homme », dixit ATT
En achevant sa visite à l’UNESCO, le président de la république a accepté de rencontrer les fonctionnaires internationaux maliens à la Francophonie et à l’UNESCO. La rencontre qui s’est déroulée en présence de nombreux compatriotes, a vite débouché sur un point de presse. Des questions ont porté sur le rôle des femmes et des jeunes franco-maliens dans le développement de notre pays.
Cependant relativement au thème de la conférence, « gestion des conflits : le cas du mali », nous avons attiré l’attention du président de la république afin qu’il donne la position de l’Etat malien au sujet du dernier rapport annuel d’Amnesty International Mali publié la veille de la présente conférence. En effet ce rapport classe le Mali parmi les 157 pays où il y a eu de graves violations de droits de l’homme cette année. « La persistance du conflit, précise le rapport, entre l’armée et un groupe armé touareg dirigé par Ibrahim Ag Bahanga a entraîné la mort d’au moins cinq civils, dont certains ont péri dans des explosions de mines terrestres. »
Dans sa réponse le chef de l’Etat a avoué de ne pas avoir lu ce rapport Amnesty International et qu’il le fera une fois à Bamako. « S’il y a des points où nous nous sommes trompés, affirme-t-il, s’il y a des points où nous avons failli, nous aurons l’honnêteté de les reconnaître et nous allons également apporter des corrections. Mais si nous avons également trouvé des faits qui ne correspondent pas à la réalité, nous aurons également le courage de les dénoncer et de remettre l’information à bon compte. »
Il n’y a pas eu de violation de droits de l’homme dans le cadre des opérations qui ont été menées par l’armée au nord du Mali. Le président de la république a précisé que la consigne fondamentale qui était donnée à nos unités qui montaient au nord était de ne jamais tuer un civil, de ne toucher à rien et de faire la guerre à celui qui tire sur vous (ndlr celui qui tire sur les soldats de l’armée). « Dans le cadre des opérations pour ce qui concerne le Mali, je n’ai pas appris que même un seul civil a été agressé. Raison pour laquelle d’ailleurs toute la communauté touarègue a adhéré aux solutions envisagées. » a-t-il ajouté avant de terminer par une boutade comme à ses habitudes : « à 157 pays, nous ne sommes pas loin du compte » !
Bakary TRAORE, Paris le 30 mai 2009