In memoriam Adam Thiam, le meilleur éditorialiste de tous les temps

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La seule relation qui nous lie est sa création artistique qui a nourri ma tendre jeunesse lorsque j’étais encore étudiant très loin du Mali. Après la prière, pour moi la lecture de l’éditorial du jour écrit par Adam Thiam était un rituel que je m’étais imposé. De quoi je me même, chronique de vendredi aux in memoriam, etc., il avait le secret de donner du charme à l’intitulé de ses éditoriaux qui attiraient par leur titre avant même de découvrir leur contenu.

Il fut sans nul doute le meilleur éditorialiste de tous les temps, du moins du Mali contemporain. Pour preuve, il a été la plume de plusieurs Présidents du Mali y compris le plus brillant parmi eux Alpha Oumar Konaré. Pour avoir été aussi l’éditorialiste le plus prolifique, avec environ 2000 éditoriaux, chroniques et décryptages, il reçut, en 2016, la médaille de Chevalier de l’Ordre National des Arts et des Lettres de la République Française des mains de l’ambassadeur de la France au Mali. Cette reconnaissance dénote de la proportion, de la contribution de l’homme à la promotion de la langue française qui va au-delà du seul Mali ou de la seule France.

Adam Thiam n’était pas aussi très francophile à la base au regard de sa formation, avec une maîtrise en anglais obtenue à Dakar, en 1978, il obtiendra ses autres diplômes de spécialisation en Angleterre et aux États-Unis. Donc il était plutôt mu par l’amour de l’écriture et du journalisme et sa propension à éclairer sur des sujets qui lui tenaient à cœur.

Journaliste, consultant-chercheur et artiste

C’est pourquoi Adam Thiam était un journaliste, pour moi un artiste d’envergure internationale qui appartenait à tout le monde francophone dont l’œuvre appartient désormais à la postérité dans cette communauté de destin linguistique. Le dernier individu à demeurer dans une société de masse semble être l’artiste. Notre affaire est la culture, ou plutôt ce qui arrive à la culture soumise aux conditions différentes de la Société et de la Société de masse. Aussi notre intérêt pour l’artiste n’est-il pas tant axé sur son individualisme subjectif, que sur ce fait qu’il est, après tout, le producteur authentique des objets que chaque civilisation laisse derrière elle comme la quintessence et le témoignage durable de l’esprit qui l’anime (Arendt, 2017: 257).

Sans être un proche de Adam Thiam, ni appartenir à la grande famille des journalistes, je me sens être attaché à sa production et à son génie artistique. Je me sens dans une sorte d’obligation morale de lui retourner la monnaie de ce qu’il fit pour nous toute sa vie durant.

D’une part, car il fut inlassable dans la rédaction des éditoriaux à la mémoire des personnalités disparues, qu’elles soient des hommes politiques, des artistes ou dans d’autres domaines d’activités. Les derniers en date étaient des hommages rendus à l’ancien Président Amadou Toumani Touré (ATT) et à l’honorable Soumaïla Cissé. De la même manière que vous portiez tous les trois le Mali et la région de Mopti dans vos cœurs, j’espère que vous alliez vous retrouver dans le paradis autour d’un thé chaud à la menthe et du lait frais pendant que vous discutaillez en fufuldé tout en plaidant la cause du Mali auprès de certains anges qui seront prochainement en mission de leur créateur dans ce pays.

D’autre part, car nous partageons la même vocation, c’est-à-dire la recherche de la vérité. Adam Thiam était d’une culture générale incommensurable. Le natif de Kéniéba dans la région de Kayes avait une très grande aisance à parler de la politique, la musique, la diplomatie, du sport, des questions sécuritaires et économiques de même que de la science, des technologies ou encore de la vie des Celtes, Mayas, Aztèques, Nambikarawas, Dogon, Kel-tamachek, Berbères, Zoulous, Bushmen, etc. Il faisait partie de ceux qui connaissent par cœur notre passé récent par son vécu personnel, la pratique du terrain à travers ses activités en tant que travailleur dans le monde des ONG, dans les années 80 et 90, et plus récemment ses multiples consultations pour Oxfam, UNICEF (Fonds des Nations unies pour l’enfance, PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), la Banque mondiale, les coopérations françaises et norvégiennes, SNV, etc. Au cours d’une discussion, d’ailleurs la seule que nous eûmes, en 2019. Il me disait qu’avec certains anthropologues qu’ils ont eu à alerter dans un rapport, depuis 1988, sur le danger de voir une crise sécuritaire surgir un jour dans la région de Mopti à cause de la pauvreté extrême et le manque de perspectives pour les populations.

Adam Thiam était aussi une sorte de courroie de transmission, une sorte de trait d’union entre ceux qui ont obtenu leur premier diplôme, dans les années 70 et la nouvelle génération. Son départ pour le royaume des ombres est une fois de plus la preuve qu’une époque est en train d’être révolue au profit d’une autre bien que nous aurions voulu aimer qu’il reste parmi nous à nourrir et éclairer nos esprits par sa prose que l’on pourrait qualifier d’inénarrable.

De la franchise de ses analyses à la concession mesurée

Pour garder notre obligation de discernement face à l’œuvre de Adam Thiam, il fut le journaliste du peuple, dans le sens où il ne se fâchait avec personne en général, il ne voulait d’ailleurs fâcher personne, il aimait tout le monde. Bien qu’il essayât d’être très mesuré et équilibré dans ses propos, s’il se sentait dans l’obligation de porter les gangs, il critiquait un système, une institution, une façon de faire, la population de façon générale, mais jamais un individu, même s’il s’avisait à critiquer un individu, c’était sur un ton et une allure très diplomatique à ne pas heurter la sensibilité des partisans de cette personne. Par exemple, sur des questions de civisme, d’éducation et salubrité, de santé publique, il n’hésitait pas à frapper tout le monde avec le même bâton sinon à interpeller sur la responsabilité collective.

Dans le même sens, il eut le courage de dénoncer clairement le fait que la Cour Constitutionnelle ait enlevé plus de cinq cent mille voix au candidat Soumaïla Cissé pendant le premier tour de l’élection présidentielle de 2002. Il note aussi dans son in memoriam à Soumaïla Cissé, que ce dernier était l’un des hommes politiques les plus compétents, mais paradoxalement l’un des politiques les plus querellés.

De même en 2016, lorsque le Mali était sanctionné par les Nations-Unies pour non-paiement de sa contribution, Adam Thiam préfère ironiser sur l’incongruité de la structure en charge qui n’a pas pu régler le problème pour raison d’erreur dans le numéro de compte et non de fustiger l’incompétence des autorités politiques de l’époque. C’est pour cette raison que beaucoup d’entre nous parmi le bas peuple qui le lisaient régulièrement lui reprochaient de ne jamais prendre de position tranchée contrairement à un Chahana Takiou par exemple qui défend ses positions même s’il les sait controversées ou dans une position d’être seul contre tous.

Pour ma part, j’avoue que j’étais surtout séduit par le charme et la beauté artistique de l’œuvre de Adam Thiam plutôt que le fond, hormis les informations révélées le plus souvent par ses éditoriaux.

La culture concerne les objets et est un phénomène du monde ; le loisir concerne les gens et est un phénomène de vie. Un objet est culturel selon la durée de sa permanence ; son caractère durable est l’exact opposé du caractère fonctionnel, qualité qui le fait disparaître à nouveau du monde phénoménal par utilisation et par usure. Le grand utilisateur et consommateur des objets est la vie elle-même, la vie de l’individu et la vie de la société comme tout. La vie est indifférente de la choséité d’un objet; elle exige que chaque chose soit fonctionnelle, et satisfasse certains besoins (Arendt, 2017: 266).

Adam Thiam, à travers ton œuvre, tu as été un grand serviteur de la langue française, de la culture à travers la presse écrite. Ton savoir-faire a été non seulement mis au service de l’État malien au plus haut niveau, de plusieurs organisations internationales et locales, mais aussi au service de la culture à l’instar de toute autre œuvre artistique.

Nous espérons de tout cœur que tu continueras à produire dans le paradis avec d’autres artistes comme Djibril TamsirNiane, Amadou Kourouma, Amadou Hampâté Bah et autres tout en admirant les chansons de Fantani Touré et de Oumou Khaltoum. Car, comme tous ceux-ci, pour paraphraser Hannah Arendt, les œuvres artistiques ou les objets culturels servent pour en rendre témoignage, le passé tout entier remémoré des pays, des nations, et finalement du genre humain. À ce compte, le seul critère authentique et qui ne dépende pas de la société pour juger ces choses spécifiquement culturelles est leur permanence relative, et même leur éventuelle immortalité. Seul ce qui dure à travers les siècles peut finalement revendiquer d’être un objet culturel. Hélas, tu n’auras plus ce temps de la retraite pour te permettre de mettre ensemble certains de tes textes pour en faire des livres.

Malgré tout, ton œuvre par son immense qualité culturelle perdura, car tu as su inspirer la jeune génération de journaliste au Mali par ta façon de faire singulière. Merci, Adam Thiam pour le service rendu à la culture, que ta demeure soit le paradis, le roi des éditorialistes maliens!

Dr Sidylamine Bagayoko, Maître de Conférences, Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako-ULSHB- courriel: sidylamine01@gmail.com, Tél.: 76 42 76 09

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