Hommage à Mangala Camara : Adieu l’artiste

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Avec le recul, mon rêve prémonitoire se nommait Mangala Camara. La veille du décès du célèbre musicien Mangala Camara, j’ai passé une folle nuit agitée. Au plus profond de mon sommeil, j’apercevais une foule de gens en larmes qui déambulait de tous côtés, des femmes en agitation. Des hommes meurtris cachant leurs émotions en marchant droit la tête haute. Peu à peu, les images n’avaient plus besoin de moi pour parler d’elles mêmes. Tout concordait vers un enterrement d’envergure. Au milieu de ces très nombreuses personnes, j’étais là assis, le cœur chargé de tristesse, perdu dans ce brouillard épais. Que se passait il me disais-je … ? Je devinais alors l’immensité du désastre. J’étais certain que j’avais perdu quelqu’un de très cher et m’interrogeais qui pouvait l’être. Dans la confusion, je réveille mon hôte venu d’Europe sans prendre conscience que je la dérangeais.  Celle-ci encore plus déstabilisée que moi me dit alors : « Laisse-moi dormir. On en parlera plus tard demain ».                                  

Désemparé, je suis resté sur ma faim. Au petit matin, dans une profonde confusion, je pris le téléphone pour appeler ma grande sœur et lui expliqua mon cauchemar. Damas comme à son habitude me réconforta longuement en me disant que ça peut arriver. Au crépuscule, l’horizon se dissipa par un appel téléphonique.

Au bout du fil mon ami Oumar Konta me fit une révélation fracassante :   

« Eros nous sommes en deuil … »        

Quel deuil, lui répondis je ?                   

T’as pas encore entendu la nouvelle ? rétorqua l’autre                            

Bamako s’enfle de la tristesse              

Quoi donc ?                                        

Ton ami vient de rendre l’âme.               

Quel ami ?                              

Mangala Camara

Pendant de longues secondes, ce fut le blanc. En ce moment, je sentis que Bafoulabé Mali Sadio avait perdu ses pères. D’abord le guinéen Kouyaté Sori Kandia et maintenant notre compatriote Mangala Camara. J’étais désorienté. Mangala venait brutalement de tirer sa révérence sans faire de bruit.  Je n’y croyais pas. Mes premiers  réflexes furent son œuvre. J’appelais immédiatement Cheick Oumar Sissoko, puis Oumar Mariko. L’un se trouvait au Burkina Faso, l’autre invité à la fête de l’humanité à Paris. Tous deux étaient aussi déstabilisés que moi. Dommage qu’ils n’étaient pas là, sinon ils allaient honorer de leur présence. Leur réaction à cette mort brutale en disait long. J’entrepris alors des recherches car Bamako sait faire fructifier des rumeurs. C’est alors que ma grande sœur m’appela peu de temps après et me dit :

Eros je me demande si tu n’es pas doté de dons de voyant.            

Ton rêve vient de se justifier. Ton ami Mangala est décédé. Les medias viennent de l’annoncer. J’ai de la compassion. Mangala était un homme bien. Je me souviens d’une nuit passée en sa compagnie chez Djeneba. C’était génial. J’en garde à présent d’excellents souvenirs. Quelle perte pour le pays. Qu’avait-il comme maladie ?

Je crois que si des liens solides unissent des hommes, certains signes ne mentent pas.                                    

Vendredi dernier, pendant que d’autres prenaient du thé ou palabraient tranquillement nous sommes allés donner Adieu à Mangala Camara dans le quartier d’Hamdalaye. Dieu sait si bien faire les choses. Lorsque j’arrivais, on ressortait le corps de Mangala pour la prière funèbre. Je n’en croyais pas les yeux. L’ami avec lequel j’avais vécu une somme de souvenirs était couché inerte. Son corps recouvert d’un tissu orné de calligraphie arabe. Ses grands pieds dépassaient de peu le cadre du brancard. Effectivement, c’était lui, le géant. L’homme à la démarche nonchalante aux pas de danses inimitables. Mangala le grand. L’artiste au grand chapeau qui se promenait modestement a vélo dans les rues de Paris habillé de sa tenue traditionnelle. On aurait cru qu’il portait en permanence le Mali sur ses épaules. Des bijoux venaient en complément pour l’illustrer à merveille. C’était tout ça Mangala le mystère, l’insaisissable. Lui qui savait si bien faire vibrer le New Morning et tout autre lieu d’animation pendant ses concerts. Le fils béni du Mali était rentré au bercail et voulait dormir dans les profondeurs du sous sol de son Mali natal. Il avait bien raison.                                                         

Mon rêve était devenu réalité. Apercevoir le corps de mon ami inanimé ne pouvait pas me laisser indifférent. Mon cœur était chargé de tristesse.  Le Mangala que je connaissais debout était couché entraîné dans le sommeil éternel. Il devenait méconnaissable. La vie soudainement m’ouvrait les mystères enfouis dans ses larges entrailles. Sa grande taille dépassait les dimensions du brancard. Lui qui m’avait accompagné pour le lancement de mon premier ouvrage s’étalait inerte dans le coffre du corbillard. Ce vendredi, je l’accompagnais pour aller s’endormir dans sa dernière demeure.           

Dans la foule, j’ai vu des amis chers du défunt même si je ne les connais pas tous. Atou était présente, Bafily également. Le corbillard avait toutes les peines à se frayer un chemin. Sur son passage les femmes pleuraient. Les gens se levaient pour saluer la mémoire de Mangala au-delà c’est un pan de la culture qui venait de s’éteindre. Une des voix  rares que le pays mettra beaucoup de décennies à répertorier. Mangala ne chantait pas pour chanter. Il chantait pour éveiller les consciences endormies. Les forces de l’ordre encadraient pour qu’il n’y ait aucun débordement.Le cortège s’étirait à l’infini. Il y avait énormément de gens en voiture, à motos et à pieds. Arrivé au cimetière, l’ultime instant où les gens redescendaient son corps couvert d’un linceul blanc dans sa dernière demeure, je fus saisi soudainement par une inexplicable émotion.                                               

Mon cœur battait à grands coups. J’avais soif et voulais à tout prix me désaltérer. Subitement, je ne cessais de réclamer à boire de l’eau. En réalité, je ne parvenais plus à maîtriser mes émotions et contenir ma douleur. A défaut d’avoir des larmes, je voulais étancher ma soif. C’était la seule manière d’extérioriser mes sentiments.                        

Adama Kouyaté l’animateur vedette de samedi loisirs était là, Manken, Camara de la Chaîne 2 et le chanteur Moulaye Haïdara. Par delà tout, mon frère et ami Mangala avait fini sa mission parmi nous. Je regrettais son départ définitif. Je me disais en même temps, qu’un jour, la mort engloutirait chacun dans son tombeau. Mais l’amour et la fidélité que je ressens et conserve dans mon cœur pour Mangala étaient le plus immenses. Dors en paix mon ami, mon frère et un jour prochain on se rencontrera inchallah au grand rendez-vous pour Sini Lahara … Que chacun avant de partir emprunte un chemin honorable comme tu l’as fait. Tu étais un ange … L’artiste du peuple. Tôt ou tard, on se rencontrera mon frère. Mais avant les semaines à venir, je prendrai le temps de dévoiler ton génie à mes compatriotes pour que chacun sache qui tu fus.                                               

Toi qui m’as soutenu lors de la sortie de mon premier livre Sadio et Maliba l’hippopotame au Musée National. Aujourd’hui, je suis persuadé que les pères de Bafoulabé Mali Sadio sont morts l’un après l’autre. Après la disparition de Kouyaté Sori Kandia, le tour est venu pour t’arracher de notre affection. Toi qui dans le morceau « Soli » invitait les Maliens à l’action en se réveillant de bonne heure au lieu de dormir ou palabrer sans interruption. Toi qui donnais bonjour à ton Mandé natal atteint de maladie en les invitant à persévérer.    

Toi l’ami de tous qui  refusais  de battre le tam-tam pour le bambara qui ne voulait pas aller dans les champs, au berger qui se lassait de conduire le troupeau. Ce même tambour tu refusais de le battre pour le Mandéka qui faisait fi de l’agriculture. Tout comme le Sarakolé qui reniait d’entreprendre le commerce. Tu savais mettre la rage dans le cœur de chaque groupe ethnique au bénéfice du grand Mali. A la fin de la cérémonie deux choses me rendirent triste. Ce furent les longs témoignages et salutations politiques. J’estime qu’il était plus facile de venir que d’envoyer des émissaires.  Merci Tièbilé Dramé. J’étais également fâché contre moi-même car Mangala m’avait demandé et redemandé d’écrire un livre sur Mandé Mori. De temps en temps, il me narrait des épisodes. Chaque fois que je voulais l’écrire, j’entamais un nouveau projet. J’étais loin de savoir que Mangala s’en irait aussitôt oubliant que ce n’est pas moi le gardien de la longévité. La meilleure façon de lui rendre hommage sera d’aller au bout de ma promesse si Dieu me confie longue vie.                               

Même si Mangala nous a quittés, il demeure toujours présent au Mali. Mes enfants s’abreuveront à ses chansons tout comme les enfants de mes enfants. Chapeau l’artiste parti en élégance … En Mangala j’ai le souvenir d’un homme de réflexion inépuisable. Eh oui le concepteur de « Miyé Miyé oyoyé » s’en est allé pour toujours. Dieu est grand, Mohamadou est son prophète. Allah Akbar. A présent, le plus grand bien que chacun peut lui rendre reste d’acheter ses œuvres. Faites très attention, les cassettes et Cd pirates envahissent le marché. Ils sont les pires ennemis de la création artistique au Mali. Seul à ce prix, Mangala Camara ne se remuera pas dans sa tombe.     

Aboubacar Eros Sissoko        

Ecrivain malien

 

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