Cheick Omar Maïga « Gilbert » s’attachait profondément et sincèrement à ce qu’il aimait : sa famille, ses amis, son métier et ses responsabilités.
Au petit matin du mercredi 1er septembre 2021, la triste nouvelle du rappel à Dieu de Cheick Omar Maïga dit Gilbert s’est répandue sur les réseaux sociaux comme une traînée de poudre. La famille de l’illustre disparu, les rédactions, les départements ministériels, la Haute Autorité de la Communication (HAC), les associations professionnelles des médias et de la communication, les amis, les aînés, la SOTELMA… Tous partageaient le même désarroi. Personne ne se résignait à accepter la disparition du «Segal», ainsi qu’on l’appelait au ministère chargé de la Communication.
En cette période douloureuse, nos pensées vont à ses enfants et à sa famille à qui il était très attaché. A Nénette, l’aînée des enfants, qui porte le prénom de sa grand-mère paternelle et dont le diplôme conquis de haute lutte à HEC de Paris remplissait de fierté Gilbert. A Fadima affectueusement surnommée par son père «Chérie d’amour». A Abidine dont le surnom «Jos» vient de l’amitié que Gilbert vouait à l’ancien Premier ministre français, Lionel Jospin. A ses frères qui étaient surtout et avant tout ses complices, Mahamane et Ibrim Maïga qui gardent de leur aîné le souvenir d’un homme «serviable, humble, généreux et empathique». Et à notre sœur Lala Mahamane Haïdara, épouse d’amour de Cheick Omar.
Tous ont pleuré le disparu. Tous le pleurent encore et le pleureront toujours. Gilbert était pour ses enfants un père exemplaire, attentionné et dévoué. Lala nous confiait un jour, «Alhouss, je te le jure, tu peux tout reprocher à Gilbert, sauf qu’il ne s’occupe pas de ses enfants».
Ses amitiés et ses états de service
L’homme était fidèle en amitié. Peuvent en témoigner Habib Drabo, l’un de ses tous meilleurs amis et Sidiki Nfa Konaté qu’il considérait comme «son frère». Ce dernier disait de lui qu’il était «son petit» pour lui avoir été confié par «leur» maman, Néné Satourou Tall. Quand le groupe de Gilbert et de ses amis se retrouvait, l’atmosphère était conviviale et joyeuse entre ces hommes qui se chahutaient et se chambraient inlassablement.
Identifié sous le numéro de matricule 447/70 E, fonctionnaire de classe exceptionnelle, Docteur en Sciences de l’Information et de la Communication (Université de Paris IV Sorbonne/Centre d’Etudes Littéraires et Scientifiques Appliquées- CELSA), Cheick Omar Maïga a été conseiller technique au ministère en charge de la Communication de 1992 à 2003, avant de connaître une carrière internationale à Yaoundé (Cameroun) au Fond des nations unies pour les populations (FNUAP).
De retour au pays, en 2009, après le décès de son ami Alpha Amadou Dieudonné Sow, Gilbert prend les rênes du Secrétariat général du ministère jusqu’en 2013. Après une interruption d’environ deux ans, il reviendra encore au département et à nouveau comme Secrétaire général. Fonction qu’il quitta une deuxième fois en 2020 pour occuper le poste de président du Conseil d’administration de la Sotelma. Poste qui a été son dernier.
Une intelligence inégalée
Gilbert avait un fonctionnement particulier. Très vif et à la limite speed dans son travail, il ne tolérait pas de ses collaborateurs qu’ils «traînent» avec un dossier. Un jour de 2011, notre aîné a tenu à lui seul en haleine une réunion de cabinet en présentant et en commentant l’ensemble des dossiers inscrits à l’ordre du jour du futur Conseil des ministres. Je ne lui avais pas caché qu’il m’avait bluffé.
«Segal, lui avais-je dit, j’étais loin de penser que tu lisais les dossiers». Avec son fameux petit sourire en coin, il m’a rétorqué : «Le jeune, il n’y a pas un dossier qui entre ici que je ne lise pas. Saches que je suis le dernier filtre avant le ministre. Donc, je dois avoir la mémoire du contenu de chaque dossier» ! Gilbert était d’une intelligence exceptionnelle. A telle enseigne qu’un jour, alors qu’il s’impatientait devant des débats qui traînaient en longueur, Sidiki Nfa Konaté (alors ministre de la Communication) lui fit remarquer :«Gilbert, tout le monde n’a pas ton intelligence» !
Gaoussou Drabo, pour qui Gilbert avait un profond respect et une grande estime, disait de lui qu’il était «irréprochable» en tant que jeune frère. Pour moi, et pour bien d’autres chargés de communication des départements ministériels, Gilbert a été un formateur, un vrai coach dans l’élaboration des stratégies et plans de communication pour les ministères. Ces dix dernières années ont vu tous les ministères se doter de plans de communication élaborés lors de séminaires et de retraites regroupant les acteurs publics de la communication.
Sur le conseil de Gilbert et sous l’impulsion de l’actuel Premier ministre Dr Choguel Kokalla Maïga, une équipe de grands professionnels aux solides références en matière de communication a travaillé sur un document dénommé «Stratégie de la communication du Gouvernement de 2015 à 2018». Ce document qui s’apparentait à un bréviaire avait été adopté par le Conseil des ministres, mais a peiné à être mis en œuvre. Gilbert en était malade, car il considérait inexcusable cette léthargie.
Gilbert et nous
Pour certains, Gilbert était mon mentor, pour d’autres un complice. J’assume volontiers la prétention de figurer parmi ses jeunes frères chouchou. Il m’appelait affectueusement «le jeune» ou «le Général». Sur le plan professionnel, j’ai appris beaucoup de lui. Un jour, il m’a chahuté en me disant qu’il lui était arrivé de regretter de m’avoir bien formé. «Et pourquoi, Segal ?», me suis-je étonné. «Parce que tu me concurrences sur mes propres terres», me fit-il savoir avec son ton goguenard inimitable.
La fréquentation du Segal était sans doute l’antidote le plus efficace contre l’ennui. Car Gilbert était d’un commerce agréable. Cultivant tout naturellement l’humour, doté d’une mémoire quasi infaillible, il avait dans sa besace une multitude d’anecdotes. L’une des préférées qu’il ne se lassait pas de répéter portait sur un épisode qui se situait au début des années 1990. C’était à l’occasion d’une réunion de cabinet tenue sous l’égide du ministre de la Communication de l’époque, Me Boubacar Karamoko Coulibaly. Certains conseillers techniques avaient ouvert un feu nourri des critiques à l’encontre du Directeur général de la Radiodiffusion et télévision du Mali, Cheickna Hamalla Diarra.
Au point que ce dernier finit par perdre patience. Il éleva à son tour la voix pour lancer une phrase qui est restée célèbre dans les annales du conseil de cabinet. «Les conseillers techniques en cravate, sous l’ombre de leur ministre, sont prêts à manger du directeur de la RTM tous les matins», avait-il réagi. La virulence de la sortie estomaqua le ministre Boubacar Karamoko Coulibaly qui s’exclama «Hé Cheickna» ! A quoi il lui fut répondu par son interlocuteur «Absolument, Monsieur le Ministre» !
Docteur sous les arbres, mais la vie du bon côté
L’autre anecdote dont je me rappelle se situait quand Gilbert était journaliste à L’Essor. De retour de Paris, avec son doctorat, il avait élu domicile sous les arbres de la cour du service. Un chauffeur, en passant lui lança ironiquement : «Docteur, toi avec tes gros papiers là, prie qu’il ne pleuve pas, sinon les arbres ne pourront rien pour toi» ! Vint ensuite un de ses chefs, lui également de passage. Gilbert attira l’attention de l’intéressé sur le fait qu’il n’était pas venu au service ces trois derniers jours. Le chef prit une mine faussement étonnée. «Ah bon ? Personne ne s’en est rendu compte», s’exclama-t-il !
Gilo, comme l’appelait son ami Mahamane Hamèye Cissé, était un homme élégant qui parlait un français châtié. Toujours tiré à quatre épingles, avec comme accessoire inséparable son stylo Mont Blanc, Gilbert prenait toujours la vie du bon côté. Comme il le disait lui-même, «je suis un épicurien» ! En dépit de son tempérament explosif ou peut-être à cause de lui, Gilbert ignorait la méchanceté et la rancune. Je l’ai connu et côtoyé. C’était un homme généreux et empathique.
Dors en paix, grand frère Gilbert. Qu’Allah pardonne tes péchés et t’accueille dans son Paradis éternel. Amin !
Alfousseiny Sidibé
Journaliste