Depuis 2015, plusieurs articles de presse traitant de la création du Conseil Supérieur de la Diaspora Malienne (CSDM) sont parus dans la presse nationale. Deux d’entre eux ont particulièrement retenus notre attention. Le premier, publié en 2015, faisait écho d’une conférence organisée par nos compatriotes de l’extérieur, les 19 et 20 décembre de la même année. Au cours de cette conférence, le CSDM, en tant qu’organisation de la diaspora, a été révélé au public. L’auteur de l’article considérait que la mise en place de cette nouvelle structure de représentation de la diaspora créerait une situation de concurrence avec le Haut Conseil qui existait depuis novembre 1991. Suite à cet article, plusieurs autres ont traité ce sujet. Plus récemment, « Le Pays » du 27 avril dernier, a estimé que la crise entre ces deux organisations était si forte, qu’elle nécessiterait une médiation des pouvoirs publics.
Au regard de la récurrence d’articles sur le sujet et en ma qualité d’ancien Secrétaire Général du Haut Conseil des Maliens de l’Extérieur, encore établi à l’étranger, je ne peux résister à la tentation qui m’habite depuis 2015, de livrer ma part d’analyse sur cette question cruciale de la représentation de la diaspora auprès des pouvoirs publics.
Mon analyse porte sur une vue d’ensemble du Haut Conseil des Maliens de l’Extérieur dont la léthargie et l’inefficacité ont constitué le terreau fertile à l’émergence du CSDM, vu par plusieurs acteurs comme une organisation concurrente du Haut Conseil. De fait, constitué essentiellement de cadres, ayant la plupart désertés le Haut Conseil, le CSDM, de par son cap, sa vision et sa stratégie, a progressivement conquis les esprits d’un grand nombre de nos compatriotes de l’extérieur. Partant de ce postulat, il apparaît important de tenter de comprendre les raisons de cet engouement.
[ … ] Je reste persuadé qu’il n’a pas su ou pu le mettre à profit et qu’à contrario, depuis sa création le 04 septembre 2015, le CSDM a fait preuve d’efficacité au service des Maliens de l’extérieur.
Ainsi, à sa naissance, il n’était présent que dans sept pays (selon ses initiateurs) et actuellement son influence s’étendrait à la presque totalité des soixante pays de présence du Haut Conseil. En seulement deux années d’existence, il est arrivé à atteindre un bilan d’implantation que le Haut Conseil, doté des moyens légaux de l’Etat, a mis près de vingt-six ans à réaliser. Une performance qui s’explique en partie par la désaffection d’une partie de la communauté des Maliens de l’extérieur.
Désaffection engendrée par la récurrence de crises profondes de représentation au sein de ses structures de base dans les pays d’accueil. Contrairement à lui, l’organisation CSDM est dans l’action permanente de lutte et de revendications. Sa présence sur le terrain, associée à son courage dans la dénonciation, lui ont conféré une légitimité plus forte ainsi qu’une plus grande crédibilité aux yeux de ses membres. Fort de ces atouts, doit-il courir derrière la reconnaissance des pouvoirs publics, serait-elle plus importante? La question reste posée.
Mais à présent, tentons d’analyser de façon plus détaillée les raisons ayant causé la désaffection du Haut Conseil.
En tant qu’observateur, j’insiste sur certains facteurs qui apparaissent à mes yeux plus importants pour expliquer la situation actuelle du Haut Conseil. Il s’agit entre autre, du rôle de l’Etat qui assume trop ou pas assez sa tutelle, du mode de gestion des dirigeants, des conflits permanents conduisant à des scissions dans les territoires des Conseils de bases, de l’intrusion intempestive d’anciens Maliens de l’extérieur dans la gestion des affaires courantes au niveau de la Direction…etc.
Pour l’Etat, la première tentative d’organisation des Maliens de l’extérieur fut entreprise après le changement de régime politique opéré suite aux douloureux événements de mars 1991. Les autorités de la Transition organisèrent à Bamako du 04 au 11 novembre 1991 la première conférence des Maliens de l’extérieur. Elle a réuni, pour la première fois, les représentants de la diaspora. Comme précédemment évoqué, c’est cette conférence qui a abouti à la création du Haut Conseil des Maliens de l’Extérieur, association à caractère privé, représentative de la diaspora. Dans le même élan, fut créé un ministère dédié, dont la mission consistait à assurer une plus grande mobilisation et participation de nos compatriotes émigrés, à la vie politique, économique, sociale et culturelle, de la nation Malienne. Ceci en raison de leur spécificité et surtout de leur importance numérique et leur contribution au développement économique.
Poursuivant cette dynamique, les nouveaux dirigeants ont diligenté des mesures d’accompagnement allant de la facilitation de l’accès au foncier à la mise à disposition gracieuse d’un immeuble abritant le siège social avec une prise en charge par les finances publiques des factures d’eau et d’électricité.
Malgré cette forte volonté de faire des compatriotes de l’extérieur un véritable atout de développement, force est de constater que le compte n’y est pas. Ceci, en raison de l’absence de moyens financier, pour assurer la prise en charge normale des frais de fonctionnement pendant 19 ans, période durant laquelle l’Etat est resté sourd à la demande de reconnaissance d’utilité publique, mesure indispensable assortie d’une obligation financière que j’avais demandée lorsque j’assurais les fonctions de Secrétaire Général.
Il a également fait preuve de faiblesse dans son rôle d’aiguilleur, pour proposer un cadre formel d’intervention. Cette attitude, durant des années, a favorisé un mode de fonctionnement informel et hasardeux ayant parfois entrainé des actes à la limite de la légalité, notamment dans la conduite du fameux projet de création d’une hypothétique « banque des Maliens de l’extérieur », projet important et plein de sens, repris par les pouvoirs publics actuels et qui tarde à se réaliser. Ces quelques exemples démontrent la position de l’Etat, qui bien que volontariste au départ, a néanmoins été parfois absent, alors que ses fonctions de tutelle et d’accompagnement sont indispensables, car il s’agit de gérer une organisation dont l’objet concerne la vie de millions de nos compatriotes.
Quant à la responsabilité des dirigeants du Haut Conseil dans la gestion administrative de leur organisation, il est de notoriété publique que leur désignation a toujours donné lieu à des empoignades sévères qui ont généralement débouché sur des scissions conduisant à la mise en place de bureaux antagoniques se disputant leur représentativité. Ceci s’observe aisément dans les réunions statutaires qui sont presque devenues, par la force des choses, des vraies arènes de combats entre délégations rivales, s’estimant plus légitime.
Cette problématique est amplifiée par le mode d’élection des membres du bureau exécutif, à commencer par le premier d’entre eux, le président. A y regarder de près, on découvre que depuis la mise en place du Haut Conseil, tous les présidents qui se sont succédés, sont des hommes d’affaires, disposant de ressources suffisamment importantes. Les mauvaises langues prétendent qu’ils tiennent leur élection de l’épaisseur de leurs carnets de chèques. Tous, ont en commun de n’avoir présenté aucun programme pour leur élection. Les hommes qui les entourent et qui occupent les responsabilités essentielles ne sont pas mieux, n’étant pas non plus sélectionnés sur des critères objectifs d’intégrité, de disponibilité et de compétence.
Toutefois, lorsque parfois, des hommes au profil adapté ont été élus, ils ont, la plupart du temps été confrontés à des difficultés qui les ont empêchés de mener à bien leur mission. En raison de cette attitude, ils ont cédé au découragement, ont baissé les bras et fini par démissionner, comme je l’ai fait moi-même. Quant à « l’intrusion intempestive », elle concerne d’anciens Maliens de l’extérieur rentrés au pays. Pour rester en contact avec la diaspora, ils fixent leur siège dans les locaux de l’organisation. La proximité avec de «vrais » Maliens de l’extérieur qui en résulte, leur procure le sentiment de continuité de leur parcours migratoire. De plus, cette pratique leur permet d’exister sur le plan matériel, à travers des activités informelles de mise en relation avec les institutions et les acteurs économiques de l’intérieur.
Leur présence singulière et permanente au siège social de l’organisation fini par conduire à une ingérence. Car bien que n’étant plus véritablement établi à l’extérieur, ils se font tout-de-même élire comme membres des organes de l’exécutif (Bureau Exécutif et Conseil d’Administration), en usant de stratagèmes pour se faire reconnaître comme délégués à part entière de tel ou tel pays, encouragés en cela par les dirigeants officiels.
Face à ce diagnostic, que peut-on proposer ?
Après 26 années d’existence, il apparaît souhaitable qu’un vrai débat s’amorce en s’attachant plutôt à la question de l’identité du Haut Conseil et à une réelle réflexion sur les raisons pour lesquelles il s’est détourné à ce point de ses valeurs fondatrices. A mon sens, sans se départir de ses missions essentielles, le Haut Conseil, doit se recentrer sur un esprit associatif plus marqué par lequel il aura plus de facilitées à mobiliser des énergies par-delà les clivages politiques et bien d’autres considérations partisanes.
La succession de toilettage des statuts aurait dû permettre d’ériger cette organisation en une véritable institution républicaine. Bien qu’il ait tardivement bénéficié de la reconnaissance d’utilité publique, le 3 novembre 2009, après 18 ans d’attente, force est de reconnaître que le Haut Conseil ne dispose pas d’une écoute suffisante auprès de son administration de tutelle et des pouvoirs publics de façon générale. Si nous pouvons justifier cela par son propre mode de fonctionnement évoqué plus haut, il faut aussi admettre d’autres causes extérieures tenant notamment à une mauvaise définition des rapports de fonctionnalité et de dépendance vis-à-vis des pouvoirs publics. Il devient donc urgent que les membres de cette organisation se saisissent de cette question de l’évolution du statut et des rapports avec les pouvoirs publics, en un mot, du devenir du Haut Conseil.
Pour ce faire, voici succinctement quelques préconisations que nous ne pouvons ici développer en raison des contraintes liées au mode d’expression choisi.
En premier lieu, il s’agit d’imaginer un mode d’adhésion générale des Maliens de l’extérieur au Haut Conseil. Comme nous l’avons indiqué précédemment, lors de sa création, la volonté de départ était d’en faire une structure unique, ayant la valeur et le caractère d’un acte constitutionnel avec comme vocation de représenter l’ensemble des Maliens de l’extérieur. Cela doit donc se traduire par une institution paritaire et parapublique impliquant l’Etat. La reconnaissance d’utilité publique acquise est un des premiers actes allant dans cette direction. Une telle implication de l’Etat, disons-le, ne veut pas nécessairement dire présence des représentants de l’Etat dans les instances dirigeantes. Ceci doit être défini dans un cadre législatif et réglementaire impliquant les institutions de l’Etat. C’est en tout cas la seule solution, selon moi, pour donner au Haut Conseil des Maliens de l’Extérieur, à la fois une forme juridique correspondant à son « unicité » de représentation et permettant de mobiliser l’ensemble des Maliens de l’extérieur ainsi que d’obtenir des pouvoirs publics l’attention que méritent les problèmes inhérents à la circulation internationale de nos compatriotes de la diaspora.
L’organisation sous forme associative a l’avantage de laisser le soin aux Maliens de l’extérieur de s’en approprier. Mais il doit néanmoins avoir le rang d’une institution républicaine, compte tenu de sa mission, ce qui lui permet en outre d’occuper entièrement l’espace qui doit être le sien, entre service étatique et société civile organisée en associations.
Une modalité d’adhésion à la hauteur des enjeux, assurant la participation de l’ensemble des Maliens de l’extérieur à la vie du Haut Conseil.
En effet, d’une part, ce n’est pas parce qu’ils sont à l’étranger que ces compatriotes échappent totalement à la souveraineté de l’Etat du pays d’origine qui pourrait ainsi, abandonner ses prérogatives en ne s’en préoccupant pas. D’autre part, appartenir à une communauté nationale implique des droits mais aussi des obligations que seule une institution républicaine est en mesure d’assurer convenablement, même au sein d’une structure d’organisation dont les Maliens de l’extérieur se sont dotés. De fait, tout problème les concernant, relève de la souveraineté nationale. Dès lors se pose la question de savoir comment concilier la nécessité d’avoir une organisation bien structurée, représentative des associations des Maliens de l’extérieur et de l’unicité de représentation de l’ensemble de la diaspora.
Assurer l’adhésion de tout Malien de l’extérieur au Haut Conseil tout en apportant à celui-ci les ressources nécessaires pour mener à bien sa mission d’intérêt général.
Tout Malien se rendant à l’extérieur est forcément muni d’un passeport Malien qu’il achète à prix d’or. Dans le même temps, il est susceptible d’être confronté à des situations nécessitant l’intervention des autorités publiques maliennes. Le réseau international du Haut Conseil constitué de ses conseils de base, peut également être mis à contribution, à condition de disposer des moyens, des capacités d’organisation et de la reconnaissance nécessaire qui lui font tant défaut. Ceci pourrait néanmoins être obtenu, si le droit d’adhésion au Haut Conseil était intégré au droit de timbre, pour l’obtention du passeport et/ou de la carte d’identité consulaire. Un tel système assurerait l’adhésion de tous les Maliens concernés au Haut Conseil, tout en lui procurant les ressources dont il a besoin, pour accomplir sa mission.
Confier la direction du Haut Conseil à des personnes suffisamment représentatives des adhérents et démocratiquement élus.
L’adhésion automatique de tous les Maliens concernés, apporterait des ressources régulières et nécessaires au fonctionnement du Haut Conseil, mais elle est insuffisante à elle seule, pour faire de lui une organisation suffisamment opérationnelle. Il lui faudra aussi des militants de proximité, que seul le relais associatif des communautés organisées est apte à mobiliser.
Aussi, on peut admettre que les bureaux des conseils de bases du Haut Conseil aient en leur sein des délégués des communautés de Maliens de l’extérieur servant de relais avec les adhérents dans un cadre défini et cohérent. Ce qui ne veut pas dire, pour autant, que tout adhérent est forcément délégué d’une communauté organisée.
Il convient donc de combiner l’affiliation directe au Haut Conseil, à travers le passeport ou la carte consulaire et son organisation structurée permettant de mobiliser des compétences révélées depuis la base ce qui nécessite le recours aux réseaux des communautés organisées. Il appartiendra aux bureaux des conseils de base, d’intégrer, par la suite, des personnes ressources, même si ce n’est qu’à titre consultatif. Comme évoqué plus haut, un Haut Conseil des Maliens de l’Extérieur a été créé et s’est organisé, mais ses progrès nécessitent un soutien plus conséquent des institutions nationales et internationales.
De plus, l’accomplissement d’une telle mission suggère, au niveau national, l’existence d’institutions suffisamment fortes et solidement ancrées dans les préoccupations des populations. Ainsi donc, les propositions ci-dessus esquissées que j’ai de tout temps écrites et défendues dans les rencontres et les instances du Haut Conseil, lorsque j’étais Secrétaire Général, prennent appui sur les véritables besoins et ont pour seul but de concourir au renforcement technique des autorités de tutelle. Ceci, afin d’assurer une meilleure organisation et une prise en charge efficiente des problématiques de la diaspora.
Ce soutien peut aussi prendre la forme d’une assistance pour l’organisation méthodique et sérieuse « d’assises de la migration », dont pourraient découler des solutions concrètes pour améliorer ou consolider l’existant et impulser la vie d’ensemble de l’organisation du Haut Conseil et une dynamique s’appuyant sur des propositions nouvelles. Vue de cette façon, la migration Malienne peut devenir, de manière plus évidente, un atout dans le développement économique, social ainsi que la promotion et consolidation de la démocratie de notre pays. Ces finalités seront facilitées sous la bienveillante protection des autorités du pays d’origine, à travers le ministère des Maliens de l’extérieur renforcé dans ses missions et dynamisé dans ses domaines de compétence.
S’agissant de la question lancinante de rivalité entre les deux organisations antagonistes de la diaspora (CSDM et Haut Conseil), au vu du contexte actuel, il m’apparaît important de regrouper toutes les volontés, afin de concourir au renforcement du Haut Conseil et surtout d’éviter les divisions qui conduisent à une véritable déperdition des énergies, toutes devant être mobilisées autour d’une même cause : la diaspora malienne dans le monde.
Makan SIDIBE
Ancien Secrétaire Général du Haut Conseil des Maliens de l’extérieur, résidant à Paris