Gouvernance au Mali : Comment sortir du marasme économique ?

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Au-delà des concepts et des théories économiques, la présente contribution a pour objet de participer au débat actuel sur la reprise économique de notre pays. Personne ne conteste aujourd’hui le constat selon lequel notre pays connaît l’une des plus graves crises de son existence, tant sur le plan politique, institutionnel qu’économique qui se traduit par une crispation du climat social.

 

Etienne Faka Sissoko
Etienne Faka Sissoko

Au moment où il est question d’évaluer le bilan économique du président IBK pendant cette première année de son quinquennat, les propositions ci-dessous ont pour but, d’aider les politiques à décider d’une orientation économique rigoureuse de relance économique. L’élection du président IBK était certes pour l’amélioration des conditions de vie des Maliens, en garantissant le panier de la ménagère, mais surtout la priorité était plus politique qu’économique. Il s’agissait de la restauration de l’intégrité du territoire, la fin de l’impunité, une nouvelle gouvernance. Bref, montrer aux Maliens que le temps de l’impunité, du népotisme, de la mauvaise gouvernance et du laisser-aller dans la gestion des affaires publiques, était révolu. Plus que tout, il s’agissait de montrer à nos concitoyens que sous l’ère IBK, l’autorité de l’Etat, la lutte contre la corruption et la délinquance financière, la gabegie, l’instauration de l’Etat de droit, la promotion des plus méritants, étaient devenus plus que jamais le socle et le credo pour un Mali émergeant.

 

Force est de reconnaître, qu’un an après, l’espoir suscité a laissé place à la désillusion. Après un an de tâtonnement et de pilotage à vue dans la gestion des affaires, ils sont aujourd’hui plus d’un, les économistes et analystes politiques qui estiment que le décollage économique pour une croissance économique durable et soutenue, source de création d’emplois et de bien-être social, n’est pas au rendez-vous. Les choix de politiques économiques du président IBK et de ses différents gouvernements ne respectent nullement les normes d’un pays en crise. Mais, au contraire, font croire qu’au Mali, tout va bien, que tout va même très bien. Pour relancer notre économie dans le contexte actuel, nous n’avons que deux alternatives :

 

Mettre l’accent sur les gros investissements à travers la construction d’infrastructures. Ce qui paraît impossible actuellement avec la suspension de l’aide des partenaires techniques et financiers, mais surtout avec la faiblesse du taux de recouvrement des impôts et taxes et la faiblesse du bassin fiscal pour mobiliser des ressources.

 

Ou la seule alternative qui nous reste, est la relance par la consommation. Donc, par la revalorisation des salaires, la rationalisation des dépenses, la définition sans ambiguïté des priorités, la création d’un cadre propice à l’émergence de petites et moyennes entreprises. Il ne s’agit nullement d’imposer à notre pays une sorte d’austérité, mais d’être rationnel dans les dépenses et dans le choix des priorités. Pour y arriver, un certain nombre de mesures et de choix économiques s’imposent.

 

 

Réduire la taille du gouvernement

Le gouvernement actuel est pléthorique et inefficace. Il faut donc réduire la taille de moitié. En effet, un département coûte en moyenne un peu plus d’un million de Fcfa par jour soit un peu plus de 33 millions par mois et par département ministériel pour une efficacité douteuse. Ramener la taille du gouvernement à 16 membres, nous permettra de dégager une marge positive de quelques milliards du budget à injecter dans les investissements et dans le panier de la ménagère.

 

 

Economie sur les caisses de souveraineté de la Présidence, de la primature et de l’Assemblée nationale

Sur le réseau Malilink, une intéressante réflexion sur le budget du Mali 2014 par Abdoul Karim fait ressortir que le Mali peut et doit rationaliser ses dépenses pour faire face aux défis du développement. Mais il semble que le président IBK malien a créé un système qui favorise la prédation. Tous ceux qui ont un pouvoir de décision sont agglutinés aux mamelles de l’Etat. Le seul changement possible est de désargenter l’Etat et permettre aux communautés locales de gérer ces fonds au prorata de leurs populations en rendant opérationnelle la décentralisation et la déconcentration. Je vous livre selon la même réflexion quelque chiffres sur les fameuses «caisses noires» et autres fonds dans le budget de 2014 rectifié.

 

Assemblée nationale : Dépenses Matériel-fonctionnement des services – 1. 000. 000. 000 Fcfa. La dotation est destinée à la prise en charge des dépenses liées : à l’achat de matériels de fonctionnement des services, aux frais d’alimentation du personnel d’intendance et de sécurité du domicile du président, à l’achat de matériels et mobiliers de bureau des services, aux autres dépenses de souveraineté, de solidarité et de formation, aux fonds spéciaux.

 

Primature : Autres dépenses – 593 996 000 Fcfa. La dotation est destinée à la prise en charge : des fonds spéciaux du Cabinet de la Primature (dépenses de souveraineté), des frais de consultations juridiques, de l’abonnement à la presse et à internet, des dépenses relatives aux frais d’imprimés et d’impressions, de l’achat de produits d’entretien et d’alimentation des services de la Primature, de l’achat d’articles d’habillement et articles chaussants, des primes d’habillement et de risque des éléments de la Sécurité rapprochée, de diverses dépenses.

 

Présidence : Subvention aux organismes publics – 100 000 000 Fcfa. La dotation est destinée à la prise en charge de certaines dépenses de souveraineté. Autres Dépenses : 1 073 520 000 Fcfa. Cette inscription est destinée à la prise en charge de certaines dépenses sociales non prévues par les fonds spéciaux.

 

Ministère des Affaires étrangères : Autres dépenses de matériel – 64 590 000 Fcfa. L’inscription est destinée à la prise en charge des dépenses liées : à l’achat de produits alimentaires (café, thé, sucre, lait, etc.), à l’achat de matériel d’entretien et de nettoyage de bureau (insecticides, grésil, déodorants), aux frais de souveraineté du ministre, de son buffet et aux appuis aux associations, à l’achat de divers matériels et fournitures de bureau.

 

Ministère de l’Administration territoriale. Autres Dépenses de Sécurité – 100 000 000 Fcfa. La dotation de ce chapitre est destinée à la prise en charge des frais de missions (indemnités de déplacement) et autres dépenses de souveraineté. Il y a également une partie du budget appelée “charges communes”. Une enveloppe de 12 milliards de Fcfa sert, entre autres, à donner des primes aux ministres ou des indemnités quand ils quittent le gouvernement. Ces fonds doivent être purement et simplement supprimés surtout dans un contexte où on change de gouvernement tous les six mois, avec, à chaque fois, une trentaine de ministres.

 

Rationnaliser les sessions de l’Assemblée nationale

Le budget annuel de l’Assemblée nationale est de 9 632 863 000 Fcfa en 2014; en 2006, c’était 6 095 074 000 Fcfa. Un député malien coûte en moyenne plus de 5 millions de Fcfa par mois, soit 65 529 680 Fcfa par an et par député. Les salaires engloutissent presque 2 milliards par an. Mais à cela, il faut ajouter les indemnités de session pour les députés – 810 millions Fcfa par an ou 5,5 millions par député ; dont des indemnités de logement. Les voyages des députés sont de 3,72 milliards Fcfa, soit plus que toute la masse salariale de l’institution. Les frais de téléphone sont de 152,8 millions Fcfa, un budget de 105 millions pour l’entretien des bureaux de l’Assemblée nationale. En outre, le président bénéficie d’autres avantages beaucoup plus intéressants en matériels de fonctionnement, mobiliers de bureau, alimentation du personnel d’intendance et de sécurité du domicile, dépenses de souveraineté, de solidarité et de formation. Le tout pour 1.000.000.000 de Fcfa.

 

Les députés fréquemment sont en congé et la Constitution ne les obligeant à travailler que 165 jours par an, sans compter qu’une grande partie des députés vaque à d’autres occupations. Il y a donc une possibilité de ne convoquer que des sessions extraordinaires deux fois par trimestre qui nous permettrait d’économiser un peu plus de 5 milliards de Fcfa. Ces avantages mêmes légaux doivent être reversés au trésor public, compte tenu de la difficile situation du pays. C’est cela, montrer l’exemple. Le même exercice peut être fait pour chacune des institutions du Mali et administrations publiques et décentralisées pour mettre en évidence le manque criard de rationalisation des dépenses publiques et prouver que de réelles économies peuvent être faites pour réaliser des investissements, lutter contre le chômage et ainsi favoriser la reprise économique.

 

Suppression de certaines administrations

Il est de l’ordre de 400 administrations et institutions qui ne produisent pas l’effet escompté. Il y a donc lieu de supprimer ne serait-ce que temporairement et réaffecter ces fonds aux secteurs prioritaires de l’économie. Le budget de 2014 comporte une participation au fonctionnement -4 149 887 000 Fcfa. Cette dotation est destinée à la prise en charge des prévisions de dépenses relatives au fonctionnement des Organismes ou Etablissements publics en cours d’exercice. Une rubrique Solde et accessoires besoins nouveaux – 12 000 000 000 Fcfa. Cette mesure nouvelle positive s’explique par la prise en charge des dépenses relatives aux besoins nouveaux des services au titre des dépenses de personnel ; à la rémunération des nouvelles recrues de la fonction publique. C’est donc à ce niveau qu’il faudra agir en améliorant les conditions de vie des travailleurs. Les nouveaux fonctionnaires touchent moins de 9 milliards, soit l’équivalent du budget de l’Assemblée nationale à elle seule. Il apparaît donc clair qu’en allouant efficacement les ressources de l’Etat, il est possible de soulager les populations en subventionnant par exemple le coût de l’eau, de l’électricité et des produits de première nécessité.

 

Vendre les deux avions

Pour reprendre des propositions sous d’autres cieux, les deux avions doivent être vendus et l’argent acquis reversé au trésor public. Parce que même si nous n’avons pas un budget comparatif des coûts acquisition –location, du fait des voyages sur coup de tête du président, il nous impose une dose de bon sens pour éviter les dépenses somptueuses à procédures douteuses et rassurer les partenaires techniques et financiers dont le retrait cause encore d’énormes dégâts. Le manque de rationalisation des dépenses publiques et l’incapacité de l’Etat à recouvrir les recettes fiscales nous font vivre au-dessus de moyens et contraint l’Etat à ne compter que sur l’aide des partenaires techniques et financiers.

 

Supprimer les voitures de services et les fonds réalloués aux dépenses d’entretiens et de carburants et de réparations.

S’inspirer du cas du Rwandais. Le budget malien contient plusieurs lignes pour les dotations en carburant. En fait, il s’agit de 4 rubriques : 3-621-40, 3-621-41, 3-621-42 et aussi 3-628-20. Le 3-621-40 est intitulé “Carburants et Lubrifiants” -il s’agit des dépenses liées à l’achat de carburants (gasoil, essence) et de lubrifiants (huile, graisse) pour les véhicules et les motos de service, ainsi que les groupes électrogènes qui font tourner les climatiseurs quand les coupures de courant empêchent le reste de l’économie urbaine du pays de fonctionner convenablement. Le 3-621-41 est intitulé “Carburant et Lubrifiants Patrouille”. Il s’agit de dépenses en carburant spécifiques aux patrouilles de la Police nationale en zones urbaines, des Groupements Mobiles de la Gendarmerie, de la Garde nationale et autres services de sécurité. Le 3-621-42 est intitulé “Transport Fonds” – il s’agit de dépenses en carburant liés au transfert de fonds publics par les services du Trésor. Le Mali n’étant pas très riche, le Trésor n’a pas beaucoup de fonds à convoyer – Cette rubrique (3-621-42) englobe à peine 12 millions Fcfa. Le volet Patrouille (3-621-41), lui, consomme environ 246 millions Fcfa. La dernière rubrique est le 3-628-20 ; elle est intitulée “Frais de transport”. Il s’agit de dépenses en carburant et lubrifiants mais aussi de dépenses liées à l’entretien, la réparation des véhicules et l’achat de pièces détachées. Il est impossible de savoir la portion dédiée au carburant. Certains départements y mettent aussi des frais de mission et même de billet d’avion (dans le cas de l’Assemblée nationale).

 

Au total, le Mali dépense environ entre 18,5 milliards Fcfa en carburant. Pour Koulouba et la Primature, il y a aussi une ligne dans les charges communes du budget : 2,8 milliards Fcfa. Cette ligne finance les «courses» des administrateurs de l’Etat. Koulouba, 992 millions Fcfa de carburant, soit 3900 litres -Défense 2,355,997,000 -Assemblée 1,877,696,000 -Sécurité 1,078,981,000 -Koulouba 992,715,000 – Affaires étrangères 848,746,000 – Primature 760,519,000 – Santé 500,900,000– Administration territoriale 471,098,000 – Education 343,354,000.

 

Pour la Primature, c’est entre 3000 et 4300 litres par jour. Pour l’ensemble de l’appareil étatique, on arrive à une consommation annuelle de 26,3 millions litres de carburant – soit une moyenne de en 90.000 litres journaliers, et l’équivalent de 2 à 3 gros camions citerne par jour. Des coupes considérables peuvent être apportées à ces différentes rubriques en supprimant les véhicules administratifs d’autant plus que les profits réalisés par ces fournisseurs de l’Etat en carburant et lubrifiants sont rapatriés. Il y a aucun risque de perte d’emploi, du fait de perte de marché car comblé par les dépenses des populations. Toutes ces coupes budgétaires n’auront pour effet que de relancer l’investissement et d’augmenter considérablement les salaires ou subventionner des secteurs de l’économie qui ont des répercussions directes sur le panier de la ménagère. Au point où nous en sommes seule l’augmentation du revenu national stimulera l’économie. Théoriquement, chaque augmentation du revenu d’un ménage accroît dans un premier temps la consommation donc la création de bien et service supplémentaires. Cette augmentation créera à terme des emplois.

 

La Pression fiscale et l’élargissement du bassin fiscal

Il est insensé d’augmenter la pression fiscale qui, en temps normal, fait fuir les investisseurs et il se trouve que le Mali est un pays qui ne rassure pas les investisseurs en terme de sécurité. Il faut donc un allégement de la fiscalité, créer un climat des affaires propice aux investissements directs étrangers, en instaurant la bonne gouvernance et luttant efficacement contre la corruption. Il est vrai que la pression fiscale du Mali est en deçà des normes de l’Uemoa, mais au regard de la situation économique critique du Mali, un délai de grâce peut être accordé au Mali pour quelques années d’autant plus que nous ne sommes pas le seul pays. Il faut songer à élargir le bassin fiscal en recherchant d’autres potentiels contribuables afin de diversifier la population contributive. Le but étant de ne pas asphyxier les contribuables existants, afin d’accroître les capacités d’investissement du secteur privé. Ce qui permettra d’embaucher sur la base des profits réalisés.

 

Création d’une Banque publique d’investissement.

Sous l’impulsion de l’Etat et des investisseurs nationaux, créer la banque publique d’investissement qui sera financée en allant chercher l’épargne des ménages et les fonds des opérateurs économiques. La difficulté sera donc de rassurer les opérateurs économiques et autres citoyens de souscrire à des obligations avec des taux d’intérêts attractifs. Les fonds récoltés financeront les gros investissements et projets des jeunes diplômés et ruraux. L’objectif étant toujours de relancer l’économie par l’emploi des jeunes et la réalisation des gros investissements.

 

Travail au retour des partenaires techniques et financiers

Dans le budget de 2014, environ 48% des investissements proviennent d’apports extérieurs. À long terme, il faudra se passer de l’aide extérieure ou du moins réduire de façon significative la part de l’aide extérieure. Mais, en attendant, il faudra conjuguer avec eux du moins pour l’instant. Pour favoriser leur retour, il faudra démettre ce gouvernement pour crédibiliser l’action gouvernementale et donner de nouveaux engagements de bonne gouvernance. À l’occasion, réduire la taille du gouvernement comme expliqué plus haut. L’apport des immigrés est énorme en terme d’investissement. Il faut donc à terme arriver à privilégier ce type d’investissement. Le réformes dans le secteur de l’or peuvent nous permettre d’atteindre l’équilibre en terme de ressources emplois. Cela fera l’objet d’une autre contribution au regard de la complexité de ce secteur. Ces mesures ci-dessus évoquées, si elles sont prises en compte, permettront de dégager une économie de plus de 300 milliards de Fcfa qui pourront aider à la relance économique, à condition qu’elles aillent à l’aide à la consommation à travers les subventions des denrées de première nécessité, à l’augmentation des salaires ou à la subvention de l’eau, de l’électricité, du loyer…

Dr. Etienne Fakaba SISSOKO

Professeur des Universités

Chargé de Cours de Politique Economique

E-mail : sissoko.of@gmail.com

Tel : 63 00 00 72/ 73 00 00 72

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