Ce texte a été rédigé par un jeune homme originaire de la région de Mopti, après la mort de son jeune frère, enrôlé par les terroristes du FLM et tué après avoir rejoint Ansar Dine. Kouffa, Ag Ghaly : toujours les mêmes noms, toujours les mêmes responsables. Ils sont des présages de mort pour notre jeunesse, contrainte ou égarée, qui tombe entre les mains de ces recruteurs-endoctrineurs-assassins d’enfants.
Aujourd’hui mon frère aurait eu 16 ans. Mais il est mort juste avant de les atteindre. On m’a dit que c’était arrivé pendant qu’il transportait une mine. Qu’est-ce que je peux répondre à ça ?
Je n’y croyais pas. Alors je me suis informé pour comprendre cette horreur. J’écris parce que je veux honorer sa mémoire. Je veux aussi instruire mes jeunes frères sur les mensonges de ces djihadistes qui prétendent montrer le droit chemin, puis nous forcent à prendre des armes et à détester ce que nous sommes.
En vérité je ne sais pas tout. Ces derniers temps j’avais trouvé du travail à Bamako. Depuis presque un an, il était parti avec des djihadistes du Front de Libération du Macina. On connaissait certains de ces hommes venus prêcher avec des étrangers, et revenus menacer le chef de notre village pour qu’il ne travaille pas avec les gendarmes. Mon frère était une petite célébrité dans le village, parce qu’il avait une très bonne mémoire, il pouvait réciter des poèmes très longs. Je pense que c’est pour cela qu’ils sont venus nous proposer de l’argent pour qu’il parte avec eux. Il avait étudié un an dans une medersa, avant de revenir pour nous aider à la mort de notre père. La première fois qu’ils sont venus, il a refusé. Ma mère ne voulait pas entendre parler de ces gens-là. Hamadoun Kouffa, leur chef, parlait à la radio du retour de la Dina, notre empire peul. La Dina, tu parles ! Et après ils font exploser le mausolée de Sekou Amadou.
Je ne pense pas que ce soit le discours de la Dina qui a convaincu mon frère, mais c’est vrai que j’ai retrouvé des cassettes qu’on lui avait données. On lui avait aussi donné un téléphone, dont il était très fier. Ça, je l’ai vu quand il est revenu à la maison, après quelques mois. Il avait beaucoup changé. Il a raconté qu’il avait porté des messages et appris à se servir d’une arme. Il n’allait pas bien. Toute la journée il regardait des vidéos qu’on lui donnait sur son téléphone, il n’était plus avec nous, sa propre famille. Quand ils sont revenus, il est reparti avec eux sans faire d’histoire. Après je ne l’ai plus jamais revu.
C’est un autre enfant comme lui qui m’a raconté la suite. Quelques semaines avant sa mort, ils ont dû rejoindre le groupe de djihadistes d’Ansar Dine de Iyad ag Ghaly. Les djihadistes du Macina sont venus compléter un petit groupe d’autres jeunes. Ils étaient une vingtaine au total et devaient être issus du HCUA. Parfois ils devaient guetter, parfois ils devaient poser des mines. Ils n’étaient presque jamais encadrés, mais toujours surveillés pour qu’ils ne s’échappent pas. C’est là que c’est arrivé. Sa propre mine a explosé, et personne n’a essayé de le soigner. Sa vie ne comptait pas.
Transcription par Mamadou Maïga. L’auteur a préféré gardé l’anonymat.