Fétichisme électoral et politique d’acharnement de la CEDEAO

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Il faut d’abord rappeler que la junte militaire, dirigée par le colonel Assimi Goïta, a accompagné un grand mouvement social à la fin de 2017. L’intervention des militaires Maliens est différente de ceux de la Guinée Conakry en septembre 2021 et du Burkina Faso1 le 23 janvier 2022. Elle a eu l’appui d’une grande partie de l’opinion nationale. Des organisations de la société civile et des partis de l’opposition manifestaient contre la mauvaise gestion d’un gouvernement corrompu alors que la population souffrait et souffre toujours de l’insécurité croissante dans les grandes villes comme dans les compagnes où l’Etat a disparu.

L’arrestation et la déposition du président Ibrahima Boubacar Keita par les militaires au Mali en 2018 n’a pas réglé la grave crise institutionnelle et politique. Ces élections ont donné lieu à des tensions au sein de la classe politique et de la population alors qu’il a été un des pays de l’Afrique à voir était un modèle dans la transition vers un régime pluraliste et démocratique dans les années 1990 et où les présidents, qui se sont succédé, n’ont pas tripatouillé la constitution comme d’autres pays voisins pour un troisième mandat inconstitutionnel. Certains candidats de l’opposition et des organisations de la société civile avaient demandé la démission du ministre de l’Administration Territoriale, chargé des élections.

Comme ses statuts le permettent, l’organisation régionale, la CEDEAO, est intervenue pour aider les dirigeants Maliens à trouver une solution politique à cette crise. Mais dès le début, elle a opté une voie de l’impasse en imposant un délai pour l’organisation des élections présidentielles libres et transparentes. En focalisant sa politique sur l’organisation des élections présidentielles, les dirigeants de la CEDEAO, en fait les autres présidents des pays membres ont choisi, peut-on affirmer, la confrontation avec une junte militaire et des hommes politiques du Mali. Si le gouvernement est dirigé par un militaire, il y a aussi des civils, le Premier ministre est d’un parti politique. En septembre 2020, un ancien général, Bah N’Daw a été nommé Président de la Transition jusqu’à son renversement en mail 2021.

La stabilité politique et sociale par l’organisation d’élections libres et transparentes

Les élections ne sont pas une panacée pour la stabilité politique d’un pays et pour des citoyens.es, qui ont des priorités plus basiques : manger à leur faim, avoir la sécurité, l’éducation, la santé…

C’est sur une bonne intention qu’on peut-on dire que l’organisation a adopté le Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité, adopté le 21 décembre 2011 à Dakar pour accompagner ses membres dans ce qu’on peut appeler un processus de consolidation démocratique. L’Art. 1 b) dudit protocole stipule que «toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes, et transparentes». A première vue, on peut dire que c’est un pas important pour construire des systèmes politiques dans lesquels les contestations2 postélectorales n’aboutissent pas à une grande instabilité politique et sociale et éprouvante pour les populations ; lesquelles sont les premières à payer les conséquences sur le plan humain.

Autre point positif de ce protocole est la reconnaissance d’une certaine dignité aux anciens chefs d’Etat. Selon l’alinéa 1er de l’art. 1, tout ancien Chef d’Etat bénéficie d’un statut spécial incluant la liberté de circulation. Il bénéficie d’une pension et d’avantages matériels convenant à son statut d’ancien Chef d’Etat. Après l’acquittement par la Cour Pénale Internationale, Laurent Gbagbo a eu toutes les peines du monde pour avoir son passeport comme citoyen de la Côte d’Ivoire pour retourner dans son pays. Silence de la CEDEAO, par contre elle s’est agitée pour le cas d’Alpha Condé, auteur d’un coup d’Etat constitutionnel en 2020 en demandant un traitement humain.

L’organisation d’élections dépend d’une administration centrale et de différents organismes publics avec la participation des formations politiques officiellement reconnues, des acteurs de la société civile et d’une législation électorale. L’article 2 al.1 du protocole du 21 décembre 2011 stipule qu’«aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques». Tous.es les démocrates ont salué une telle disposition. Quant à son application, c’est une grande déception.

Le Mali n’est pas le premier pays à traverser une crise politique. La Côte d’Ivoire a connu une grave crise politique en 2010. La CEDEAO s’était murée dans un silence assourdissant. C’est vrai que le protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnelle a été adopté quand Alassane Ouattara est arrivé au pouvoir. Mais le silence de l’organisation a continué durant le tripatouillage de la constitution par Ouattara et Alpha Condé surtout les coups d’Etat constitutionnel en se présentant pour la troisième fois en 2020. Cette pratique relève apparemment ce que dénonce l’article 2, al. 1. Pourquoi cette politique de deux poids, deux mesures ? Y-t-il des pays ou des dirigeants intouchables ? Et d’autres à quoi on doit appliquer avec dureté les normes du protocole ?

Après le Mali, l’armée est revenue au pouvoir en Guinée Conakry, là aussi une partie de l’opinion l’a appuyée et le 23 janvier elle a pris le pouvoir au Burkina Faso. Ce n’est pas par le gout du pouvoir que ces jeunes militaires déposent les civils, incapables de gérer leur pays et leurs sociétés. Sur la situation qui se dégrade de plus en plus en Afrique de l’Ouest, comme Africain.e, on doit se poser ces questions : pourquoi un traitement différent entre les membres d’une même organisation ? Comment des élections peuvent-elles apporter par magie une solution à la crise profonde d’un pays ?

Avec les sanctions injustes et inhumaines, adoptées contre le Mali, on ne peut pas éviter de penser à une politique d’acharnement de certains dirigeants non contre une junte, mais contre un peuple.

Une politique d’acharnement

Une politique d’acharnement ne repose pas sur des traités et protocoles, mais sur d’autres considérations et des pratiques illégales de personnes, qui à un moment donné, ont la capacité de décider sur le sort d’un dirigeant, d’un pays et d’une société. La politique d’acharnement, c’est l’enfermement dans un horizon unique au lieu de chercher d’autres solutions. Par ailleurs un texte ne peut limiter l’esprit et les capacités d’une institution, qui doit écouter et comprendre le contexte avant de passer aux sanctions.

Les normes d’un traité doivent instaurer un traitement identique aux pays membres. Cependant les contextes ne sont pas les mêmes. Le traitement ne doit pas être différent. Or avec les différentes crises politiques et sociales de ses membres, on constate la différence de traitement et de la politique de la CEDEAO. Hier c’était la Gambie3, qui faisait les frais de cet acharnement. En 2021, c’est le Mali.

Au Mali, l’acharnement s’est manifesté violemment par une décision inouïe : fermeture des frontières, suspension des transactions commerciales entre le Mali et les pays de la CEDEAO, gel des avoirs du Mali dans les banques centrales de la CEADEAO et suspension des aides financières des institutions régionales. Ce sont des décisions illégales ; non prévues par les statuts de l’organisation. Aucun autre pays n’a subi le même sort ; ni la Côte d’Ivoire en 2010, ni la Guinée Conakry en 2020, le Burkina Faso en 2022… Pourquoi les forces en attente de la CEDEAO ne sont pas déployées dans les pays membres, confrontés à des attaques terroristes ?

En fait, c’est sur la pression de la France que ces sanctions sont prises. Il n’échappe à personne le différend entre la France et la Mali sur la gestion du terrorisme. Depuis bien avant l’arrivée de la junte militaire en 2018, les relations entre Bamako et Paris se sont détériorées. Il paraît que les sanctions ont été décidées lors du sommet du Forum International de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique en début janvier. La France est toujours représentée à ce Forum International. Et dans un contexte de rejet de la présence française dans les pays du Sahel, et en Afrique francophone de manière générale et de tensions fortes avec la junte malienne, la position française est tombée dans des bonnes oreilles, surtout que des dirigeants comme Macky Sall et Alassane Ouattara n’ont jamais caché leur “francafricanité”, mieux leur soumission et l’abandon de la souveraineté de leurs pays. La participation d’une délégation française au Forum International et l’adoption des sanctions contre le Mali ne sont pas une pure coïncidence. Non, ce pays a joué ses soutiens dans la région.

Le seul pays européen à avoir réagi aux sanctions injustes imposées au Mali, c’est la France. Et comme si des sanctions de la CEDEAO n’étaient pas suffisantes pour asphyxier le peuple malien, l’ex puissance coloniale a convoqué une réunion du Conseil de (in)Sécurité des Nations Unies pour appuyer les sanctions de l’organisation régionale.

La résolution n’a pu être adoptée, malgré l’appui du Gabon et des pays africains «A3», grâce aux vetos de la Chine et de la Russie. Dans cette crise entretenue par l’Occident, la France n’agit pas seul ; elle a des appuis régionaux et occidentaux4. Avec le changement de nom de ses opérations, la France se permet d’agir comme à l’époque coloniale ; elle fait le ménage à la maison de quelqu’un d’autre. Cette manière d’agir rappelle le partage du continent africain à la conférence de Berlin de 1885. Interprétant à sa manière les accords, la France invite le pays qu’elle veut ; les pays participant à la nouvelle force Takuba amène leurs forces spéciales sans consulter le pays hôte. L’élite politique française s’est trompée d’époque et de dirigeants au Mali comme au Burkina Faso, mais aussi dans d’autres pays de cette partie de l’Afrique. On ne fait pas avec du vieux quelque chose de nouveau.

Dans la crise malienne, mais aussi celle de la Guinée et du Burkina Faso, la CEDEAO est sourde à la clameur des peuples et de la diaspora africaine contre ces mesures injustes, illégale et inapplicables.

La CEDEAO s’est davantage décrédibilisée auprès des populations ouest africaines et du continent noir.

Notes

  1. Comme le Mali, le Burkina Faso est membre du fameux g 5 où les militaires français ont toute la latitude de se promener sur son territoire sans intervenir dans les attaques des terroristes ou djihadistes, quel que soit le nom utilisé. Face à des attaques meurtrières, la société civile et l’armée ne pouvaient rester indifférentes.
  2. Il est tout à fait normal que des élections, bien organisées, libres et transparentes, donnent lieu à des contestations après la publication des résultats. On trouve partout ce type de contestation. Soulever des fraudes dans un bureau de vote n’entache pas la bonne organisation et la liberté de la compétition électorale, cependant utiliser les ressources de l’Etat ou de l’administration nationale et régionale est contre le principe d’égalité entre les candidats.es et cela peut donner lieu à des contestations. Il en arrive dans nos contrées.
  3. La CEDEAO a montré une réaction digne face un dictateur comme Yaya Jammeh, qui a fait une volte-face sur les résultats électoraux en voyant une force armée pour le déloger. En fait, elle appuie la politique de Macky Sall. Alors pourquoi ne réagit-elle pas de la même manière dans les grands pays ?
  4. Après une inefficacité patente de Barkhane, la France a monté avec ses alliés européens une force dénommée Takuba, qui regroupe plus de 10 pays. En quoi cette force diffère-t-elle de Barkhane ? Chaque pays européen amène ses forces spéciales sans consulter les autorités maliennes. Le Mali n’est pas un secteur d’entrainement des armées de l’OTAN.

Mohamed Bahdon

 

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