La sortie fracassante du président tunisien, Kaïs Saïed, envers les migrants subsahariens fin février a suscité un tollé tant sur les réseaux sociaux que sur la scène diplomatique. En effet, le président tunisien s’est exprimé dans un langage cru teinté de racisme et de haine envers les “Africains” comme cela se dit en Tunisie.
Voici sa déclaration : “L’immigration clandestine relève d’un complot pour modifier la démographie de la Tunisie, afin qu’elle soit considérée comme un pays africain uniquement et non un pays arabe et musulman“.
On retrouve là un grand classique du courant politique d’extrême-droite, le grand remplacement. C’est l’idée selon laquelle les populations issues de l’immigration dans un pays donné finiront par remplacer les autochtones de ce pays, en l’occurrence ici la Tunisie.
Quels sont les différents types de profils des migrants subsahariens en Tunisie ? Compte tenu de ces profils, peuvent-ils remplacer un jour la population tunisienne ? Et enfin quels peuvent être les dessous de cette sortie troublante ?
Une immigration temporaire
Lorsqu’on s’intéresse aux migrants issus de l’Afrique subsaharienne en Tunisie, deux profils majeurs se dégagent. Il s’agit des étudiants et ceux qui font la traversée vers l’Europe. Pour la première catégorie, la principale raison du séjour en Tunisie est d’étudier. Une fois le diplôme obtenu, la quasi-totalité des étudiants décident de retourner dans leurs pays (Mali, Sénégal, Cameroun, Congo…).
Ce choix peut être délibéré ou subi, mais il n’en demeure pas moins que rares sont ceux qui décident de rester après leurs études. Pour la deuxième catégorie, il va sans dire que leur destination finale n’est pas la Tunisie mais plutôt le vieux continent, l’Europe. On peut également souligner la présence d’un troisième type de “migrants” (le terme ne s’applique pas vraiment), il s’agit de celles et ceux qui sont en Tunisie pour des soins, donc des séjours médicaux.
Compte tenu des profils susmentionnés, nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que les migrants subsahariens en Tunisie n’ont nullement vocation à remplacer la population de ce pays. Pourquoi donc une telle déclaration ?
La négrophobie d’un pays dirigé par un président incompétent
Ce n’est pas un scoop de dire que les Noirs sont marginalisés et maltraités en Tunisie ou plus globalement dans le Maghreb. En effet, bien que situés sur le continent africain, pour la majorité des citoyens de ces pays, ils sont davantage Magrébins qu’Africains.
La négrophobie y existe depuis la nuit des temps. Ce qui change en l’espèce, est le fait que ces propos racistes et haineux soient tenus par un chef d’Etat. En analyse de discours, on dit souvent que l’éthos de l’énonciateur (la personnalité de celui qui parle) joue un facteur important dans la réception du message.
C’est pourquoi après le discours du président tunisien, une vague de violence s’est abattue sur les Subsahariens habitant dans ce pays. Ces violences ont donc été légitimées par le discours de Kaïs Saïed. En conséquence, de nombreux pays à l’instar du Mali, de la Côte d’Ivoire ont procédé au rapatriement volontaire de leurs citoyens.
En analysant le contexte politique local, on se rend compte que le président tunisien fait face à une contestation farouche. En effet, depuis qu’il a dissout l’Assemblée nationale en juillet 2021 et s’est arrogé tous les pouvoirs, il s’est mis à dos la quasi-totalité de la classe politique.
Cette situation de blocage n’est pas sans conséquence sur le quotidien des Tunisiens. Dans cette atmosphère délétère, les migrants subsahariens sont utilisés comme des bouc-émissaires à défaut de trouver des solutions politiques adéquates.
Pour paraphraser l’ancien président malien Alpha Oumar Konaré, aux problèmes politiques, il faut des vraies solutions politiques, pas de faux-fuyant. La théorie du grand remplacement en Tunisie est donc un concept vide de sens !
Bréhima Sidibé
Doctorant à CY Cergy Paris Université