Tout mon combat pour l’école malienne, c’est d’éviter qu’un jour le pays soit remis à des médiocres. Cela semble raté aujourd’hui. Car, quand par leurs propres comportements, les éducateurs ne peuvent plus apprendre aux enfants les sacrifices qu’exige l’abdication de l’individu au profit d’une communauté, l’échec du système éducatif est consommé.
Dans cette dernière partie de son analyse, Moussa Sissoko présente les pistes 8, 9 et 10. Il appelle le pouvoir transitoire à tester ces pistes afin d’amorcer le changement réel attendu pour notre système éducatif.
Piste 8 : Donner du poids à la formation professionnelle et à la création d’emplois.
L’école que nous avons héritée de la colonisation est conçue sur un « idéal fonctionnaire ». Au Mali, comme dans plupart des pays d’Afrique, aller à l’école, c’est se préparer à travailler et gagner sa vie dans un service de l’État qui a toujours exercé et continue d’exercer un pouvoir d’attraction particulier sur ceux qui, bien que dotés d’un capital scolaire leur offrant des possibilités de carrière diversifiées, ont choisi la fonction publique. Mais depuis des dizaines d’années, l’État-providence est mis en question et, de manière plus globale à l’échelle mondiale, le rôle de la puissance publique, le périmètre de son action font l’objet d’une réévaluation critique ; des théories de la « nouvelle gestion publique » comme la décentralisation mettent à mal la position qu’occupe l’État dans l’imaginaire social. Ce qui est certain, le développement d’un pays se fait plus sur les chantiers que dans des bureaux. Notre système éducatif doit donc donner du poids à la formation professionnelle en faisant en sorte, par exemple, que chaque cercle du pays ait son centre de formation des niveaux CAP et BT (secteur public s’entend), en fonction des potentialités économiques de chaque zone. Encore une fois, nous précisons que le facteur humain est la richesse d’une nation. On sait bien que les conditions d’accès à l’emploi sont fondamentalement liées à la formation initiale. La formation professionnelle devrait à la fois subir et accompagner les phénomènes de changements sociaux et technologiques. Il nous faut passer de la « logique de qualification » (par laquelle on est prompt à exhiber un Certificat d’Aptitude Professionnelle ou un Brevet de Technicien) à une « logique de compétences » (par laquelle on montre ce qu’on sait faire). C’est en cela que la formation procure des compétences qui rendent aptes à exercer un certain nombre d’emplois, sans que le détenteur du diplôme soit obligé d’attendre la bienveillance de l’Etat-providence.
Piste 9 : Initier un système d’obligation de performance et mettre fin au mythe du diplôme qui fait des ravages dans l’enseignement supérieur.
En 1982, le Conseil Supérieur de l’Education du Québec (Canada francophone) a adressé un « Avis au Ministre de l’Education Nationale » à travers un document intitulé : Le rôle du professeur d’université.
Notre enseignement supérieur reflète presque l’image que les auteurs du rapport donnaient de leur université et du professeur d’université en 1982. Ils commencent par donner un certain nombre de « clichés les plus courants » que l’on retrouve aujourd’hui parmi « Les images publiques du professeur d’université » chez nous :
- « Le « prof » d’université ? le mieux pourvu, bien protégé…
- Il est « installé dans sa tour d’ivoire » …
- De sa tribune, il endoctrine les jeunes…
- Il fait partie de l’establishment…
- Il est bon pour discuter mais ne s’engage pas…
- L’humaniste ? Une espèce rare en voie de disparition… »
Puis les auteurs précisent : « Le professeur est, avec l’étudiant, au centre de la vie universitaire : il doit assumer une très large part des fonctions qui sont dévolues à l’université. Il s’ensuit que mettre en cause la crédibilité du professeur, c’est par le fait même douter de celle de l’établissement où il œuvre. Laisser s’installer un climat d’insatisfaction s’avère peu propice à l’amélioration de la qualité de l’enseignement supérieur ».
La caractéristique la plus affichée de notre enseignement supérieur aujourd’hui, c’est le « climat d’insatisfaction » général. Pourtant, en lisant le Décret n°2017-0850/P-RM du 09 octobre 2017 fixant les modalités d’application du statut des Enseignants-chercheurs de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, on peut se faire une idée de ce que la nation attend de ses professeurs d’université. En effet, l’article 2 dudit décret précise : « Le personnel Enseignant-chercheur de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique participe à la création de savoirs par la recherche scientifique et assure la transmission des connaissances et l’acquisition des compétences à travers les formations initiales et continues […] Il a également pour mission la recherche fondamentale, appliquée, pédagogique, ou technologique ainsi que la valorisation de ses résultats… » On peut se demander aujourd’hui quelle est la mission réellement réussie aujourd’hui par nos universités, instituts et grandes écoles : « la création de savoirs » ? « La transmission des connaissances » ? « L’acquisition de compétences » par les apprenants ? « La valorisation des résultats » de la recherche ? Là où notre enseignement supérieur est le plus visible, c’est la multiplication ininterrompue des titulaires du Doctorat et du Professorat. Et il semble que la ruée vers ces deux diplômes qu’on s’octroie par tous les moyens s’explique de moins en moins par le prestige, mais plus encore par la quête de la fortune. Car, la multiplication des primes et indemnités des enseignants- chercheurs est porteuse d’un attrait qui dope les ambitions :
Article 34 : « Les primes et indemnités accordées au personnel enseignant-chercheur de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique sont les suivantes :
– la prime de fonction spéciale ;
– la prime académique ;
– la prime de documentation ;
– la prime de recherche ;
– l’indemnité d’encadrement ;
– l’indemnité spéciale d’encadrement ;
– l’indemnité de résidence.
Si l’on y ajoute les retombées de la pléthore des effectifs d’étudiants imposant des heures supplémentaires à l’infini, on n’est pas loin de pénétrer dans une forêt de non-dits dont il faut se méfier de franchir la lisière. Même la multiplication de faux diplômes dans cet ordre d’enseignement s’explique en partie par la recherche effrénée du pognon. « La dépravation des savants s’appelle cupidité », une cupidité qui fait le malheur de notre enseignement supérieur depuis des années.
Nous proposons donc que l’atteinte d’un grade ne soit pas le seul critère pour bénéficier de toutes les primes et indemnités. En plus des activités pédagogiques, on peut ajouter des critères mesurables de performance comme les activités de publication :
- Réalisation de monographies scientifiques ;
- Publications d’articles dans les revues scientifiques nationales et internationales ;
- Participation à des projets de recherches nationaux et internationaux ;
- Auteur ou co-auteur de manuels pour les universités ;
- Auteur ou co-auteur de manuels pour l’enseignement secondaire ;
- Membre de comité de rédaction ou de lecture de revues scientifiques internationales ;
- Membre de comités scientifiques de colloques internationaux ;
- Membre de jurys d’attribution de titres scientifiques (PhD, par exemple) …
Piste 10 : Faire appel à l’assistance technique et développer l’enseignement en ligne au niveau du supérieur pour résorber le déficit criard de professeurs d’enseignement supérieur.
A propos de l’enseignement supérieur, j’ai toujours soutenu que l’Etat fait « quelque chose » par devoir, mais n’a réellement pas les moyens de sa politique dans ce domaine. En réalité, deux gros morceaux se dressent entre l’Etat et ses objectifs pour l’enseignement supérieur.
Le premier morceau est très costaud : les infrastructures disponibles sont insignifiantes au regard de l’effectif des étudiants. Le deuxième morceau très immense : le nombre de professeurs est si petit que c’est humiliant de dégager le ratio « Etudiants/prof ». Cela fait bientôt 20 ans que j’ai suggéré à feu Professeur Mamadou Lamine Traoré (alors Ministre de l’Education Nationale) de faire appel à l’assistance technique pour bien former les fils du pays. Nous reprenons cette même proposition dans le cadre de la présente analyse. Et si l’on trouve que ce sera un recul pour le pays (au plan de la souveraineté), l’autre solution est l’introduction et le développement rapide de la formation en ligne (FEL ou E-learning). C’est le moyen le plus sûr d’éviter que trois (03) promotions du baccalauréat viennent s’encombrer en 1ère année d’une faculté parce que leurs aînés n’ont pas terminé les études, faute d’enseignants.
Pour conclure cette analyse à travers laquelle je ne donne que mon opinion, je rappelle encore que je suis un donneur d’alerte. C’est-à-dire « une personne qui, ayant connaissance d’un danger, d’un risque ou d’un scandale, adresse un signal d’alarme en espérant enclencher un processus de régulation ». Cela a rarement été compris comme tel dans ce pays. Par exemple, quand en juillet 2020, dans un écrit, j’ai qualifié le M5-RFP de « conglomérat d’intérêts juxtaposés semblable au mouvement démocratique de 1990 face au régime de Moussa Traoré », les commentaires les plus bruyants ont été : « Il est en mission ; il est payé par le pouvoir ». Pourtant, avant même la naissance du M5-RFP, c’était ce même « Monsieur payé par le pouvoir IBK » qui écrivait : « Le Président IBK ne gouverne pas, il règne » ; et de conclure la publication par un conseil au Président : « Excellence, Monsieur le Président, un peuple qui murmure est toujours dangereux ! ». Ni contre un pouvoir, ni homme d’un pouvoir. Mon choix dans la vie : être du côté de la vérité (sur laquelle je peux me tromper). Tout mon combat pour l’école malienne, c’est d’éviter qu’un jour le pays soit remis à des médiocres. Cela semble raté aujourd’hui. Car, quand par leurs propres comportements, les éducateurs ne peuvent plus apprendre aux enfants les sacrifices qu’exige l’abdication de l’individu au profit d’une communauté, l’échec du système éducatif est consommé.
Djenné, le 28 octobre 2022
Moussa SISSOKO, Master en Gestion des Systèmes,
Quand la ∁𝔄𝕀ℒℒ€ℜ𝔄Ŧℒ𝔄ℕT𝕀$ℳ€ rode…
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