Dans la première partie de notre analyse, nous avons identifié trois premiers leviers que nous voudrions voir activés par le pouvoir transitoire afin d’amorcer le changement réel attendu pour notre système éducatif. Notre choix du « levier » s’explique par la symbolique du mot. Au propre comme au figuré, un levier fait appel à « un point d’appui » servant à soulever ou à mouvoir de lourdes charges, à surmonter quelque résistance : levier de changement de vitesse, de frein à main ; « effet de levier » en Economie (technique de valorisation des fonds propres de l’entreprise et d’amélioration de leur rentabilité). Notre conviction est que l’évolution d’un système éducatif est comparable à celle d’une nation. Si dans la vie d’une nation, le temps des valeurs sures est incontournable, dans l’évolution d’un système éducatif le temps d’un choix durable est indispensable. Mais ce choix ne peut pas se faire dans le tâtonnement ou dans la quête effrénée de projets éducatifs juteux. C’est pourquoi nous donnons notre opinion sur ce qui pourrait apporter le changement éducatif salvateur pour la nation malienne. Nous rappelons les trois leviers déjà identifiés et nous poursuivons notre analyse :
Levier 1 : Faire un diagnostic approfondi du système éducatif.
Levier 2 : Faire un bilan, à mi-parcours, de notre réforme éducative pour mieux conduire les innovations pédagogiques.
Levier 3 : Donner une formation musclée aux acteurs du niveau opérationnel du système éducatif.
Voici le levier 4 du changement éducatif par la mise en place des fondements d’un exigeant redressement collectif.
Levier 4 : Mettre la formation des dirigeants scolaires au centre de la gestion éducative.
Le Professeur Philippe Perrenoud de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève, grand spécialiste des questions éducatives, a toujours mis un accent particulier sur le rôle de l’encadrement dans la gestion scolaire : « La qualité du système éducatif passe par la qualité de l’encadrement. Il serait désastreux qu’il soit le maillon faible de la chaîne. » Pour administrer les hommes, les lois et les usages reconnus suffisent. En principe, le dirigeant scolaire ne commande pas : il gère, il pilote, il cherche à faire adhérer ; il ne force pas toujours les passages difficiles : il les négocie. En raison de sa complexité, on n’administre pas l’école ; on la gère par l’habileté. Mais cette habileté indispensable à la réussite de tout dirigeant scolaire n’est pas inné chez tout le monde. Il faut l’apprendre. L’absence de politique de formation initiale et même de formation continue est l’élément le plus fragilisant du dirigeant scolaire malien.
Dans le rapport final de l’un des plus grands exemples réussis de diagnostic approfondi, publié sous le titre : La Réforme de l’enseignement secondaire (1900), Alexandre RIBOT écrit : « Un bon proviseur est chose assez rare. Il faut que, par la science, les grades mêmes, il soit l’égal des meilleurs professeurs du lycée. C’est à cette condition que ses conseils et sa direction sont facilement acceptés [. . .] Il faut donc relever les fonctions du proviseur par des avantages pécuniaires et en ne lui ménageant pas la considération dont il a besoin. N’est-il pas singulier qu’on n’ait pas songé à lui donner un rang dans les cérémonies … ? Pourquoi est-ilsi rarement décoré ? Ce ne sont là que des signes extérieurs de la dignité de la fonction. » Ce qui est dit dans ces lignes ne concerne pas que les proviseurs des lycées ; c’est le lot des dirigeants scolaires maliens, en général, et des chefs d’établissement en particulier. D’ailleurs, un grand chercheur en gestion éducative définit le « dirigeant scolaire » comme « un homme envahi, mais isolé » : « L’exercice d’un poste de dirigeant est d’une grande solitude… et d’une infinie fragilité. Mais, c’est sur cette fragilité que reposent les forces véritables, celles qui construisent des mondes.[. . .]Si on n’est pas payé pour se faire aimer, on n’anticipe surtout pas : gérer pour se faire haïr. Face à un tel dilemme, diriger c’est un peu comme pratiquer l’alpinisme c’est-à-dire être à la recherche de points d’appui, de points d’équilibre qui transforment les passages difficiles en réussite personnelle. Diriger c’est aspirer à être apprécié, à être aimé, mais à savoir différer ce besoin essentiel, dans le temps, au-delà des passages difficiles. » Guy Pelletier, Devenir dirigeant en éducation : entre passage et ruptures.
En plus du fait que les fonctions de dirigeants scolaires sont complexes et bénéficient rarement de la reconnaissance officielle, l’exercice réussi de ces fonctions nécessite aujourd’hui l’acquisition de compétences pointues. Pour cela, des tentatives de gestion des écoles par des « diplômés en management » ont été effectuées sous d’autres cieux, mais ont lamentablement échoué. La plupart des pays à système éducatif développé ont actuellement identifié les normes professionnelles de la fonction de chef d’établissement et forment leurs dirigeants scolaires sur la base de « Compétences requises du Chef d’Etablissement » qu’on peut synthétiser ainsi qu’il suit :
Compétence 1 : Savoir administrer l’établissement :
-Connaître l’organisation générale de l’État, de l’éducation nationale, de l’établissement ;
-Savoir identifier et reconnaître la hiérarchie des normes (politiques et administratives) ;
-Connaître les champs de compétences du chef d’établissement et de chacun de ses interlocuteurs habituels ;
-Connaître les fondements juridique et administratif du fonctionnement de l’établissement ; ses règles de fonctionnement budgétaire et financier.
-Savoir apprécier les conditions de mise en jeu (d’exercice) de sa responsabilité.
Compétence 2 : Savoir construire dans la concertation la politique pédagogique et éducative de l’établissement
-Savoir construire cette politique (projet d’établissement) à partir d’une connaissance :
-des modes d’apprentissage des enfants et des adolescents ;
-des comportements des jeunes et des adultes ;
-des parcours des élèves, de leurs forces et potentialités, de la nature de leurs difficultés ;
-des programmes d’enseignement, des référentiels ;
-des grands objectifs qui y sont attachés.
-Être capable, dans le cadre d’un dialogue avec l’encadrement de l’académie (recteur, inspecteur d’académie, et leurs conseillers techniques) d’établir les liens nécessaires entre des orientations nationales et académiques et l’établissement dans son contexte.
Compétence 3 : Savoir impulser, animer et conduire cette politique pédagogique et éducative
-Pour gérer et développer les ressources humaines de l’établissement, savoir :
-agir suivant la réglementation et la déontologie de la gestion de personnels ;
-repérer les forces et les difficultés chez les personnels ;
-valoriser, encourager, aider ;
-évaluer la manière d’exercer son métier, l’implication personnelle.
-Pour mobiliser des individus et travailler en équipe, savoir :
-analyser, synthétiser, formaliser les éléments d’une politique, d’un projet ;
-créer les conditions d’existence d’équipes, notamment de l’équipe de direction, les animer, s’y impliquer ;
-écouter, prendre en compte les avis, négocier ;
-solliciter l’expertise ;
-déléguer (fixer des objectifs, demander un compte-rendu) ;
-décider.
-Pour piloter un dispositif, savoir :
-fixer des objectifs ;
-analyser une situation, mesurer et formaliser les écarts ;
-élaborer et mettre en œuvre des stratégies ;
-réguler (reformuler les problèmes pour qu’ils deviennent traitables), évaluer ;
-mesurer le degré d’atteinte des objectifs, en rendre compte ;
-utiliser, de façon pertinente et en rapport avec le dispositif piloté, des outils statistiques simples.
-Pour communiquer, savoir :
-organiser la concertation et les échanges d’information ;
-expliciter des politiques ;
-valoriser les actions, les réussites et les résultats d’équipes et d’individus ;
-communiquer en cas de crise.
-Rendre possible le travail collectif, le faciliter, le développer.
Savoir écouter et entendre ce qui est dit de la fonction, et de la façon dont on l’exerce.
Tous les chefs d’établissements du Mali (du jardin d’enfants à l’université) peuvent reconnaître leur pratique quotidienne de la direction d’école à travers ce référentiel. Mais nous l’appliquons de façon non formelle, comme par un concours du hasard. Comment peut-on demander tout ce travail à un cadre sans le former au préalable pour sa fonction ? Dans notre pays, il n’existe pour les dirigeants scolaires ni formation initiale ni formation continue institutionnalisée. On est sorti de la classe aujourd’hui et envoyé au charbon demain : « dirigeant scolaire ». Il y a lieu de chercher à corriger l’effet psychologique que cela provoque, car il est comportemental et justifie en grande partie les antagonismes entre dirigeants scolaires et enseignants. Ces derniers savent que les collègues envoyés de « l’autre côté de la table » n’a pas plus de connaissances techniques qu’eux : « C’est le papier qui l’a mis là-bas ; sinon, nous étions en classe ensemble ; on sait qui est qui… », entend-on fréquemment.
Il est impérieux que l’Etat protège les dirigeants scolaires maliens en leur donnant une formation de gestionnaires de l’éducation. Faire acquérir aux dirigeants scolaires des connaissances et des compétences différentes des acquisitions des écoles de formation des enseignants, cela évitera qu’ils soient perçus comme des gens catapultés à leurs postes, uniquement, par l’alchimie de parrains de tous genres : dirigeants nationaux du département, responsables syndicaux, puissants hommes politiques, notabilités traditionnelles ou religieuses etc. La légitimité du chef d’établissement ne signifie rien si elle ne repose que sur l’acte administratif qui le nomme. Il nous faut aller à une professionnalisation de ces fonctions en consacrant la légitimité des dirigeants scolaires par l’adoption d’un statut et la mise en place d’un dispositif de formation.
Moussa SISSOKO, Master en Gestion des Systèmes,
Proviseur du Lycée Public Baouro CISSE de Djenné
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