L’argumentation de Daba et de sa commission axée sur la nécessité de tenir compte de l’opinion publique malienne majoritairement hostile à toute tentative de modification de l’article qui verrouille le mandat présidentiel est un courage politique qu’il faut saluer.
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les extraits du rapport de la Commission Daba DIAWARA, notamment sur le déverrouillage des mandats présidentiels au Mali. J’avoue que j’ai été agréablement surpris par la profondeur et la sincérité de l’argumentation de la Commission sur ce déverrouillage constitutionnel et sur la nécessité de limiter à deux au maximum le nombre de mandats exercés par un Président au Mali. Certes, les travaux de la Commission ne sont que des propositions pour le moment. Les raisons de ma surprise sont multiples.
D’abord, le passé récent et le rôle des intellectuels africains au côté des despotes du continent sont des tristes souvenirs à reléguer rapidement dans les annales de l’oubli de l’histoire contemporaine de ce continent. Qu’un intellectuel africain, de surcroit malien, très généralement installé dans la précarité s’il n’est pas Ministre ou Directeur d’une entreprise d’Etat pour puiser impunément dans les caisses publiques (on se souvient des six à sept millions dans le café uniquement par un Ministre ATT) -qu’un tel intellectuel puisse dire presque non à un Chef d’Etat africain en exercice, qui comme ses pairs n’a du pouvoir qu’une vision médiévale faite de jouissances sans contrat social avec le peuple abandonné à son triste sort et de récompenses à des courtisans de palais- est un vrai motif de fierté et de surprise.
Et, aussi, face à la volonté manifeste de ATT de se maintenir au pouvoir au-delà des mandats constitutionnels légaux est perceptible pour tout observateur de la scène politique malienne:
– d’abord l’homme n’a jamais publiquement proclamé et de façon claire et nette qu’il exerce son deuxième et dernier mandat;
– ensuite la discrète et efficace pression exercée sur les partis politiques alimentaires du Mali dans leur volonté d’anticipation par rapport à toute référence publique à l’après ATT ;
– Et aussi l’ostracisme et le repoussoir dont est victime toute personne soupçonnée d’esprit critique et objectif par rapport aux questions d’intérêt national;
– Le silence du Mali officiel face à la poussée de tripatouillage constitutionnel qui encercle notre pays;
– L’absence de réaction officielle du Mali face au coup d’Etat Militaire intervenu en Mauritanie mettant brutalement fin à l’expérience démocratique de ce pays;
– L’inopportunité d’une réforme constitutionnelle par un président sortant;
Le temps mis pour rendre public le rapport de ladite commission, rapport qui pourtant était l’épine dorsale du discours présidentiel du 22 septembre passé.
Pour toutes ces raisons visibles, affirmer que Koulouba avait des velléités dans le sens d’une modification de la constitution n’est pas une vue de l’esprit.
Mais l’argumentation de Daba et de sa commission axée sur la nécessité de tenir compte de l’opinion publique malienne majoritairement hostile à toute tentative de modification de l’article qui verrouille le mandat présidentiel est un courage politique qu’il faut saluer. Car Daba, homme de droit, sait mieux que quiconque que les Maliens ont une mémoire sanglante de l’accouchement de leur démocratie; démocratie arrachée dans l’affrontement avec un autre autocrate militaire qui n’a pas hésité à mettre le feu à sa maison Mali avant d’être contraint de l’abandonner sous la pression populaire et non militaire.
Le courage du Daba est un motif de satisfaction et de fierté nationale dans une Afrique en général et dans un Mali en particulier à la croisée de leur chemin démocratique, chemin qui peut dévier pour peu qu’un pseudo intellectuel s’inspirant du passé récent de l’Afrique se prête au jeu. Faut-il rappeler que le rôle joué par les intellectuels africains au côté des régimes militaires n’est pas glorieux, loin s’en faut: de l’UDPM au Mali en passant par le MPR de Mobutu, à la rectification sanglante du Burkina dans les années 1980, etc.
A côté de tous ces régimes claniques ou familiaux outrageusement corrompus et d’une extrême violence sociale, des obscurs intellectuels étaient dans l’ombre pour fabriquer des protos-constitutions ou écrire des poèmes ou chroniques à la gloire de l’autocrate. Daba est un homme courageux en tout cas par rapport à cet excellent travail qui était un piège tendu à la jeune et balbutiante démocratie malienne.
Mais, au-delà de ce Non à toute volonté de déverrouillage existe un autre Non à la gestion personnelle du Mali par le régime actuel; gestion régulièrement ponctuée par des affaires dignes de la mafia: affaire du trésor, des hydrocarbures, du sommet France Afrique, de la FEMAFOOT avec de limogeage du jeune Ministre des Sports, des monopoles octroyés dans l’opacité à des opérateurs céréaliers choisis, la vente des société… d’Etat comme l’HUICOMA et les chemins de fer, les recrutements sélectifs dans l’armée, dans la police et dans la fonction publique, les réformes des véhicules de l’Etat, etc.
Si au contraire le régime avait engagé le Mali dans la voie du développement social et économique, redressé l’école en déclin, résorbé de façon significative le chômage des jeunes, lutté contre la corruption et l’affairisme, instauré la bonne gouvernance, assaini la justice, réglé la récurrente rébellion avec courage conformément à la loi au lieu d’accords de capitulation signés en cascade sous l’œil vigilent d’un autre Etat souverain, redistribué de façon équitable à l’ensemble de la population l’aide octroyée généreusement par les bailleurs de fonds, choisi des hommes en fonction de leur compétence et non leur propension au culte de la personnalité (qui ne ce souvient pas de la célèbre phrase prononcée par un zélateur du régime sur le soldat de la démocratie en Afrique), instauré une vraie démocratie avec des élections transparentes et honnêtes au lieu de cette vernie démocratique faite de distribution de rentes en fonction de l’allégeance à des thèses exotiques sur le rôle de l’armée dans les événements de 1991 ; il est certain que la commission allait soupeser les avantages d’une telle gestion par rapport à une alternance mécanique dont pourrait probablement profiter un autre pseudo démocrate, même si en effet la soif démocratique du Mali est très forte, mais pas plus que la volonté de sortir de la misère et l’humiliation sur fond d’exode des jeunes avec son corollaire d’expulsions et de renvois quotidiens des migrants maliens.
Daba, homme de droit, sait mieux que quiconque qu’encourager un tripatouillage constitutionnel sur fond de faillite généralisée du régime dans tout les domaines serait tout simplement mettre le feu au poudre; feu qui ne manquerait pas de consumer et la commission et l’ensemble du pays.
La mémoire collective démocratique malienne est une mémoire sacrificielle comme la mort de Christ sur le poteau; seul un autre sang versé peut faire modifier le précédent sacrifice, chose que personne n’ose souhaiter dans notre pays.
Dr Sékou KEITA Ancien Membre Fondateur du Mouvement Citoyen et de PCR et Tout Premier Président d’un Club de Soutien à ATT : le MA ATT