Dr Aly Tounkara : « Des complicités et des duplicités ont entouré l’action militaire française au Mali »

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Ces derniers jours ont été marqués par le retrait du dernier détachement de la Force Barkhane au Mali, la saisine du Conseil de securité des Nations unies par les autorités maliennes dénonçant le soutien de l’Armée française aux groupes terroristes.

Le directeur du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S) livre ici son analyse sur ces deux sujets. Dr Aly Tounkara se prononce aussi sur l’évolution de la situation sécuritaire en Afrique de l’Ouest.

Sur le retrait du dernier détachement de la Force française Barkhane du Mali pour le Niger, Dr  Tounkara pense que cela va emmener l’Armée malienne à être davantage présente en nombre et en qualité dans les endroits où elle faisait l’objet d’une présence sporadique. Pour lui, la zone du Liptako Gourma va nécessiter une réorganisation de l’Armée malienne, un redéploiement beaucoup plus poussé en termes d’hommes et de matériels.

Lequel redéploiement pourrait impacter négativement sur le nombre des éléments des Forces de défense et de securité qui évoluent sur d’autres théâtres sensibles, notamment au centre du pays, dans les Régions de Gao, Ségou, Mopti, Nara et Koulikoro.

Du point de vue numérique, le chercheur dira que l’Armée malienne est sérieusement sur le qui-vive car elle est appelée à assurer la sécurité d’un espace extrêmement vaste. Même s’il fait cas des recrutements en cours, Dr Tounkara estime que cela prendra du temps pour que les nouvelles recrues soient efficaces et opérationnelles. D’après lui, l’Armée française n’a pas donné satisfaction aux attentes des Maliens et même des Français en matière de sécurisation du territoire et de lutte contre les groupes radicaux violents.

En dépit de ces constats qui relèvent des faits, le directeur du CE3S pense que cette présence militaire française aussi impressionnante avec autant d’équipements et d’hommes provoquait une certaine crainte chez les terroristes. Elle  permettait  aussi  d’asseoir une certaine assurance et quiétude psychologique chez les communautés.

Notre spécialiste se prononce également sur les accusations que le Mali a portées contre la France devant le Conseil de securité des Nations unies. Pour lui, au-delà de la brouille diplomatique qui oppose Bamako et Paris, ces accusations sont une atteinte grave, si elles venaient à être soutenues par des faits, tant au droit international humanitaire, aux droits de l’Homme et au bon sens diplomatique. L’analyste rappelle que les agissements du contingent français ont été, par moments et par endroits depuis 2015, décriés par un certain nombre de populations pour leur non-conformité à certaines valeurs du terroir, par le fait qu’une bonne partie d’actions menées par la France étaient isolées et auxquelles l’Armée malienne n’a pas pris part.

  UN SENTIMENT DE SUSPICION- Pour le chercheur, le régime du président Ibrahim Boubacar Keïta n’a pas eu le courage politique nécessaire pour demander à la France en tant que force d’appui d’évoluer en toute cohérence et objectivité avec l’état du Mali à travers son Armée. Il estime que ces manquements de l’état sous le président Keïta étaient liés à la fragilité de son régime, au fait que le Mali se trouvait dans une situation très délétère et de dépendance vis-à-vis de la France avec des nouveaux foyers qui émergeaient çà et là. Ce qui a poussé le président Ibrahim Boubacar Keïta à rester silencieux face à ces manquements qui ont toujours caractérisé les actions de l’Armée française.

Malgré cette situation, Dr Tounkara ne dépeint pas tout en noir concernant la présence militaire française. Il soutient que cette opération a été utile dans sa phase Serval qui avait des objectifs fondamentaux. D’abord, stopper l’avancée des groupes radicaux violents vers les villes comme Bamako, Ségou, etc. Le spécialiste pense que cela a été en grande partie un succès. Pour lui, un autre objectif assigné à cette opération était de permettre à l’état du Mali de recouvrer l’ensemble du territoire notamment les parties qui étaient sous occupation des groupes radicaux violents. Et là aussi, beaucoup d’efforts ont été consentis par la France dans ce sens. 

Il précise que  c’est là que des frustrations et des sentiments de suspicion ont commencé à naître chez un certain nombre d’analystes maliens, non maliens et même chez les observateurs de la société civile sur l’intention réelle qui animerait la France dans sa lutte pour le fait qu’elle n’a pas permis à l’Armée malienne de rentrer à Kidal au terme de la libération de 2013. D’après le chercheur, ces agissements ont contribué à nourrir davantage un sentiment de suspicion, de doute et même de clichés qui ont continué à entourer l’action militaire française au Mali. à partir de la phase Barkhane, ajoute-t-il, quand on échange avec une certaine élite militaire au Mali, au Burkina Faso et au Niger, elle dira que les actions que menait la France au Mali étaient clairement isolées du point de vue de la coopération et des manœuvres conjointes. Ces insuffisances ont fait que la France a été vue par un nombre important de Maliens comme ayant un agenda diffèrent de celui du pays hôte, analyse Dr Tounkara.

Pour notre interlocuteur, ces sentiments, dans un premier temps, venaient des populations civiles, de certaines organisations de la société civile défendant l’intégrité territoriale ou l’indépendance du Mali. Mais, aujourd’hui, au sommet de l’état, on se rend compte que ces accusations populaires émanent de plus en plus de l’état central. D’après le chercheur, ce qui est sûr, c’est que des complicités et des duplicités ont entouré l’action militaire française au Mali comme à Kidal en 2015. Il rappelle à cet effet, des patrouilles conjointes menées par la Force Barkhane avec les éléments de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). Mais aussi des formations dispensées à l’endroit de certains éléments de l’ex-rébellion. Alors qu’objectivement, selon lui, on ne peut pas différencier la CMA des hommes d’Iyad Ag Ghaly pour des raisons anthropologiques et géographiques.

ÉVOLUTION INQUIÉTANTE- Enfin, Dr Aly Tounkara livre son analyse sur l’évolution de la situation sécuritaire en Afrique de l’Ouest. Pour lui, l’expansion de la menace terroriste se fait avec une vitesse étonnante. Il pense  qu’il  y a de quoi dire aujourd’hui que la situation sécuritaire en Afrique de l’Ouest est très inquiétante au rythme de l’évolution de la menace qui s’est métastasée même si des pays comme le Bénin et le Togo n’ont connu que des attaques sporadiques.

Le spécialiste impute cette situation à l’insuffisance, voire l’absence des actions coordonnées entre les Armées ouest-africaines dans le cadre de la lutte contre les groupes radicaux violents. D’après lui, les réponses militaires qui sont nécessaires sont davantage isolées. Et les différentes organisations mises en place dans le cadre de cette lutte ne fonctionnent pratiquement pas.
Dr Aly Tounkara souligne à cet effet le cas de la Force conjointe du G5 Sahel avec le retrait de l’effectif du Mali, celui de l’Initiative d’Accra qui réunit un certain nombre de pays côtiers.

Avec cette Initiative d’Accra, dira-t-il, on s’est rendu compte que chaque état chercherait plutôt à se prémunir d’attaques que de venir en aide à son voisin déjà en proie à ces attaques terroristes. C’est le cas du Ghana qui n’a pas finalement voulu s’engager aux côtés du Burkina Faso dans sa lutte contre les groupes radicaux violents. De même, le Ghana avait un contingent au Mali notamment des forces aériennes qui ont été rappelées depuis.

Et le Mali évolue aujourd’hui en solo au regard des rapports tendus qui le lieraient à certains pays voisins comme le Niger.
L’analyste précise qu’avec le Niger, on assiste à une suspension de toute forme de coopération militaire. Selon lui, avec le Burkina Faso voisin confronté au même défi terroriste, il n’y a pas de conflit ouvert mais les actions communes entre les deux Armées sont marginales. Ces insuffisances en termes de réponses communes et collectives font dire au directeur du CE3S que l’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui un espace à très haut risque en termes d’expansion de la menace terroriste. 


Dieudonné DIAMA

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8 COMMENTAIRES

  1. De quel pouvoir s’agit t’il ? Pour y s’éterniser ? Le pouvoir n’est pouvoir que lorsqu’il repose sur une base armée solide. Prenez le pouvoir et vous m’en direz !
    Lorsque l’on nous dit que le Mali s’est isolé de ses voisins c’est tout simplement aberrant. En 2012 quand les hordes de barbares des temps modernes ont déferlé à partir de la Lybie sur notre Mali, par où ont elles bénéficiées de passage. Le Mali ne partage pas de frontières avec la Lybie, mais qui donc leur a facilité le passage. Qu’ont fait ces pays là qui aujourd’hui font le dos rond feignant l’innocence et chargeant notre Mali de tous les mauvais noms d’oiseaux.
    Dieu sait tout et il a son temps pour rendre justice à notre pays le Mali car Il le fera !
    De grâce faîtes nous économie de vos analyses erronées.
    Salut à tous et que le Tout Puissant veille et essuie nos larmes.!

  2. L’article est intéressant et loin de la propagande. Il oublie de préciser qu’en 2012-2015, les FAMAS n’étaient pas capables de se déployer efficacement sur tout le territoire. De plus des négociations avaient lieu avec le CMA à Alger, accord qui n’ont pas vraiment été respectés par nos gouvernements car ce n’est que maintenant que les rebelles vont être intégrés dans l’armée.

    Penser que la France a joué un agenda caché est exagéré car jamais les français n’ont proposé l’indépendance du nord, malgré les envies d’Alger. Ils se sont plutôt interposés pour permettre un arrêt des combats entre les FAMAs et les forces du CMA pour qu’il y ait un accord car les véritables dangers sont les groupes islamistes.

  3. Pendant que les maliens continue à détester la France assis sur leur mobylette fabriquée en Asie; la France continue de concevoir et fabriqué des fusées, des trains, des avions, des microprocesseurs, des voitures électriques etc… . bye bye le mali.

    • La maudite France est en train de brûler sous des feux des enfers et n’arrive pas a éteindre ces feux!

  4. Le Mali n’a refusé une collaboration bilatérale a aucun Pays, encore moins un voisin!!!
    Si certains ont pensé qu’une brouille avec la France en est une pour Eux, Tant pi!

  5. Tous les maliens qui pensent comme Tounkara et Sekou doivent être déchus de leur nationalité Malienne, car c’est une honte de lire des inepties de ce genre, nous sommes souverains car nous nous assumons et aujourd’hui le Mali est un model et un veritable exemple pour toute l’Afrique pour son emancipation, son indépendance, sa souverainite, et sa prospérité. Jamais dans ma vie de 65 ans je n’ai vu un Gabonais, un Sénégalais, un guinen, un Tchadien, un Camerounais, un Sud-Africain, un Nigerien, un Nigerian, un Liberian, un Burkinabe, etc. demander de devenir Malien

    • Oui, la solidarité Africaine se limite à des paroles. Jamais on ne voit des volontaires d’autres pays venir se battre contre les terroristes dans notre pays. C’est à croire que nos “frères” se fichent de nous.

      Quand je vois Ousmane Sonko dire que s’il était président il enverrait ses soldats au Mali j’ai de plus en plus de mal à le croire. Ce ne sont que des paroles électoralistes. Et tous ces panafricanistes qui ne font que de la récupération politique mais ne se déplacent pas pour combattre les terroristes. A croire qu’ils ne travaillent pas pour les Africains.

  6. C’est vrai, la politique d’isolement de notre gouvernement n’est pas gage de succès contre les terroristes. En refusant de collaborer avec nos voisins, la minusma et la france on se coupe d’aides essentielle pour la victoire. Parier sur les russes est surement la plus grande erreur stratégique qui ait été faite. A moins que l’objectif ne soit pas de gagner contre nos ennemis mais simplement de se maintenir au pouvoir en laissant les russes piller le pays.

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