Démocratie malienne : La pente glissante

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Dans un climat délétère, engendré par l’envie  chez certains de vouloir gagner tout et par tous les moyens, aucune société ne peut prétendre à la stabilité.

 

Notre monde d’aujourd’hui est, depuis un certain temps, mu par cette dynamique. Le constat est valable entre pays dits riches et puissants, mais l’échéance, pour qu’elle atteigne son paroxysme interviendra dès que s’achèvera l’écrasement et la mise sous tutelle des pays dits faibles. Et pendant ce temps, à l’intérieur des pays dits faibles, la tendance reste à la démesure. Dès qu’il est question de se partager quoi que ce soi et si modique soit-il, les concitoyens jugés faibles se voient piétiner dans tous leurs droits car, aux yeux des plus nantis, ils n’ont aucun droit et doivent demeurer confinés à la précarité. C’est effectivement ce qui prévaut à tout instant, même face aux questions les plus élémentaires. Il se multiplie alors toutes sortes de dénis. Pourtant, comme l’a si bien dit l’autre, quelle que soit la situation, il faut savoir raison gardée.  

          

  Il est vrai que dans notre Mali d’aujourd’hui plus qu’hier, le mal vie s’accélère chaque jour que Dieu fait. Chacun y donne son explication, même si l’on sait que pour ceux qui se sont servis des évènements de Mars comme simple piédestal, n’ont rien à dire d’autant plus que leurs pratiques, suffisamment connues suffisent pleinement à donner leurs explications.

           

C’est fort des supplices vécus par la grande majorité des Maliens dans l’après crise de mars 1991, que nous nous refusons à accepter qu’il se soit agi d’une révolution au sens politique du terme. Malgré l’existence de quelques prémisses révolutionnaires. D’ailleurs pour dire la même chose, certains diront qu’il s’est agi d’une révolution inachevée. Nous savons que dans le mouvement de masses enclenché, il y avait des vrais révolutionnaires, des gens dont le combat était réellement dirigé vers l’instauration de meilleures conditions de vie de nos concitoyens. Hélas, en raison de leur faible nombre, ceux-ci ne pouvaient pas influer sur les changements souhaités, leurs voix ne pouvant compter dans le brouhaha instauré sciemment pour les neutraliser. 

          

  Dans tous les cas, pour des raisons que l’histoire précisera, tous les bons concepts énoncés de nature à entretenir l’espérance, tous les motifs évoqués pour entretenir les mobilisations populaires, ont été oubliés dans l’arène de la " pouvoirite " et de l’appât des gains faciles.

         

   Nous nous rappelons que le concept de démocratie, qui a pris corps environ deux ans avant Mars 1991, a fini par être un point de convergence au niveau des fronts qui s’étaient constitués. Cependant dans la pratique, il s’est avéré des divergences essentielles dans sa perception et dans sa traduction en actes, à tel point  que le peuple qui semblait placé au centre des luttes a été réellement ignoré.

          

  En effet dans une démocratie, le peuple devant être placé au début et à la fin du processus qui est sensé le concerner en premier lieu, il parait alors très important que sa bonne compréhension des actes posés ou à poser en son nom soit requise. Et pour ce faire, compte tenu du décalage existant entre nos us et coutumes, nos mœurs sociétales et la pratique de la démocratie comme souhaitée, n’est-il pas nécessaire, voire déterminante qu’il soit pris le temps nécessaire pour assoir cette compréhension. Nous estimons que ceci est un impératif pour son équilibre interne et l’avenir du processus démocratique. En tout cas, sa participation effective aux activités induites exige cette démarche. Sinon, les choses se présenteront comme cette camisole de force limitée en taille, et qui finira par se déchirer du fait que le Peuple n’est pas petit et ne saurait l’être.

          

  En principe, cette démarche pédagogique aurait dû avoir deux parrains : le Gouvernement de la République et les Partis Politiques. Notons que la Société civile, en principe considérée comme elle peut l’être réellement. Dans notre cas, elle est le point de convergence de toutes les sensibilités, renfermant en même temps les syndicats, les religieux, les multiples associations civiles ou corporatistes, les organisations non gouvernementales, etc.,  et ne peut être considérée comme apolitique, sinon il ne restera rien pour le corps politique.   

Sans nous engager dans des détails suffisamment connus, il est seulement opportun ici de soumettre à l’appréciation de tous, les différents traitements réservés aux diverses préoccupations évoquées à l’époque de cette effervescence populaire, dont entre autres :

 

– Les conditions de vie des Maliens ;        

 

– La gouvernance du pays;

 

– L’école malienne;

 

– L’emploi de façon générale et des jeunes en particulier ;

 

– La question domaniale et foncière ;

 

– Les droits humains, etc.

Il paraît évident que si au Mali, nous avons beaucoup de langues en partage, il s’avère cependant que pour beaucoup de questions jugées essentielles, nous ne partageons pas le même langage. Ceci est surtout persistant entre gouvernants et gouvernés. Les risques qu’encourent notre pays resteront   énormes si les gouvernants actuels et/ou ceux qui se proposent de l’être, n’arrivent pas à accorder leurs pratiques avec les préoccupations légitimes de notre peuple. Encore plus si ces gouvernants ou préposés continuent d’ignorer les réalités découlant de notre histoire commune, en se cantonnant à vouloir nous faire vivre les réalités d’ailleurs, parce que voulant faire confondre leurs histoires singulières avec celles du peuple.

             Il est très important pour ceux qui souhaitent détenir une parcelle de pouvoir au Mali, de se convaincre que l’école française ou américaine pour résoudre les problèmes propres au Mali relève de l’histoire ancienne. Il n’est dit ou écrit nulle part que dans sa pratique démocratique, le Mali ne puisse pas faire mieux que de s’inspirer de ces pays que certains de nos compatriotes continuent de prendre en référence. Ces derniers doivent se rappeler que dans ces pays de référence à leurs yeux, l’injustice  a pignon sur rue et la seule manière pour eux de se faire des répits est de détourner leurs opinions par des agressions et des rapines des biens d’autrui. Comme le dit bien l’islam quelque part, ils ont leurs réalités, nous avons les nôtres. A ces compatriotes, il suffit qu’ils sachent que l’objectif recherché par tout système politique et pour n’importe quel pays est d’aboutir à chaque instant à son développement équilibré dans une posture stable. Au Mali, les socles de notre stabilité reposent sur un certain nombre de comportement dont entre autres :

 

– La loyauté,

 

– La justice et l’équité,

 

– L’humilité et la tolérance,

– Le sens élevé du partage,

 

– Le respect du bien commun,

 

– L’exclusion du déshonneur, etc.   

          

  Si la Constitution malienne doit encore continuer à avoir comme repères les constitutions françaises ou américaines, cela sous-entend que nous n’avons pas bougé d’un iota. Si les lois du Mali indépendant depuis plus de 50 ans continuent d’être calquées sur les lois française et/ou américaine, cela indique que la méthode du copier-coller persiste encore.

          

  De notre point de vue, le droit en vigueur dans notre pays doit continuer à être le reflet de nos valeurs de civilisation qui s’appuient fondamentalement sur les règles, us et coutumes qui ont contribué à façonner note unité d’ensemble. En même temps, tout en projetant notre communauté dans l’avenir, il doit servir de guide aux comportements acceptables par et pour la grande majorité de nos concitoyens  parce qu’elle l’aurait compris et intégré. Le droit d’un pays ne peut rester la seule affaire d’initiés, pour éviter qu’il ne reste en permanence instrument d’asservissement.

          

  Par ailleurs, au nom d’une soi-disant mondialisation, aucun peuple ne peut continuer à admettre n’importe quoi pour réguler sa propre vie interne. Vouloir amener le Mali en cela relève du défaitisme ou d’un jeu de calcul politicien, car ne correspondant pas à notre réalité. C’est pourquoi nous affirmons que dans nos débats, il ne peut avoir de place pour un juriste apolitique. En effet, dans le Mali qui bouge comme nous nous plaisons à le dire très souvent, il ne peut y avoir d’éléments neutres. Si depuis notre accession à l’indépendance nos juristes ont failli en quelque chose, c’est d’avoir fui l’écriture de notre droit sur la base de nos réalités sociétales. L’allusion à Kuru Kanfuga dans notre constitution aurait dû être faite depuis bien longtemps, pour montrer au reste du monde que nos valeurs de civilisation pour une vie en commun, sont bien plus anciennes que dans bien d’autres pays. Malgré cette omission pour des raisons diverses (contextes politiques national ou international, connaissances insuffisantes voire ignorance), en faire allusion aujourd’hui ne doit souffrir d’aucune discussion. En fait, comme l’a bien dit l’historien, son espace géographique d’application dépasse de loin celui de la plupart des ensembles historiques qui ont succédé après, et bon nombre de nos compatriotes pour ne pas dire la majorité continue de s’en inspirer encore pour ses valeurs humaines universelles.

          

  Bien sûr, certains continueront à parler de dictature pour qualifier ceux qui, tant bien que mal, ont tenté de sauvegarder notre dignité et notre personnalité mais, peut-il avoir plus dictature que de vouloir imposer à l’ensemble ce qui n’est pas compris de la majorité ? Pensons-y et sachons raison gardée. Bien sûr, en parlant de majorité, il ne s’agit pas ici de majorité façonnée par nos processus électoraux truffés d’irrégularités. Mais de la majorité réelle qui refuse de participer parce que ne comprenant pas, qui continue de vivre au jour le jour, se considérant comme laissée pour compte.

          

  En matière de juristes, le peuple du Mali a besoin d’hommes justes et loyaux pour défendre ses droits, non pas ceux qui se donnent la possibilité de justifier tout, pourvu qu’ils y trouvent leur compte. Dans tous les cas, il est surtout question de revenir à soi, de se mettre en phase avec la grande majorité de nos populations, pour éviter qu’elle ne continue pas à se considérer comme éternellement martyrisée.         

           

Nous avons couramment parlé de démocratie lorsqu’il s’agit de décider des grandes questions qui concernent tous. L’éthique démocratique voudrait que ceux qui doivent subir les conséquences des actes posés ou à poser et participer à leur mise en œuvre, sachent à quoi s’en tenir. Il n’en est malheureusement rien. C’est pourquoi, à partir du moment où la constitution du 25 février 1992 a été le résultat d’une Conférence nationale, il aurait certainement fallu une autre Conférence nationale encore plus proche des préoccupations du peuple, pour entériner toute modification proposée.

            Pour étayer ces affirmations, nous allons nous référer à deux questions d’actualité qui, à l’allure où vont les choses, risquent de compromettre la sérénité du processus électoral à venir.

            Les deux questions ont fait l’objet de débats radiotélévisés qui ont permis à certains des invités de faire étalage de leur niveau de culture, en s’appuyant toutefois sur des repères qui ne sont pas les nôtres. Pour notre part, nous continuons à croire qu’au Mali, la mauvaise application des solutions adoptées ont toujours eu plus d’emprise sur les résultats que la qualité même de ces solutions. L’explication en cela existe ailleurs que dans la remise en cause des dispositions adoptées.

 

1. Débat sur la CENI.

Pour ceux qui ont suivi le climat politique qui a débouché sur la mise en place d’une Commission Nationale Indépendante (CENI) au Mali, la défection vis-à-vis de l’Administration territoriale  pour sa non neutralité éventuelle en est l’origine. Le journal Info- Matin dans son N°3163 du 19 août 2011 nous en donne un aperçu suffisant.

            

 Le choix de la parité majorité/opposition n’est pas non plus fortuit,  puisqu’il s’agit d’établir l’équilibre entre ces deux parties, se disant que la société civile resterait neutre. Qu’on veuille spéculer entre équité et égalité pour entretenir un blocage ne nous paraît pas décent d’autant plus la qualité d’être de la majorité ou de l’opposition échappe au jeu des rapports de force au sein des institutions de la république sinon la CENI n’aura aucune raison d’être.

 

La répartition des quotas à la CENI n’a rien à voir avec les rapports des forces à l’Assemblée Nationale.

          

  On ne peut pas vouloir du beurre et  l’argent du beurre. Ceux qui ont choisi d’aller avec la majorité ne peuvent pas prétendre à une portion quelconque du quota de l’opposition si infime soit-elle. Si en 2006, l’opposition s’était contentée de trois représentants, cela n’influe en rien la position de l’actuelle opposition quelle que soit le nombre de partis politiques qui la compose.

 

Nous faisons face ici à un faut débat où la spéculation juridique veut prendre le pas sur la raison. Qu’on le fasse ou pas, l’opposition a droit à ses 5 représentants à la CENI, tout comme la majorité. Autrement, qu’on confie l’organisation des élections à l’Administration territoriale parce qu’elle au moins, elle sera comptable d’éventuelles forfaitures. Placée en position d’arbitre sans certainement le vouloir, et au cas où son arbitrage s’imposait, le Ministère de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales se doit de se rappeler des raisons qui ont concouru à l’avènement d’une CENI dans le processus électoral malien et trancher juste.

 

2. Débat sur la révision constitutionnelle                

Dans ce débat, jusqu’à présent, personne ne s’est levée pour dire que le Président de la République n’a pas autorité pour procéder à une révision constitutionnelle. Personne non plus n’a considéré que la Constitution du 25 février ne renferme pas d’insuffisances. C’est la période choisie qui est mise en cause d’autant plus que les échéances à venir sont d’une importance capitale pour notre pays. Comme le commun des Maliens, le président de la république a déjà connaissance que nous aurons à faire à des élections attendues et très ouvertes.

          

  Pour réduire toute possibilité de faux pas, le temps imparti devra être entièrement consacré aux préparatifs de ces échéances sachant que dans ce domaine, des questions importantes restent posées (fichier électoral fiable et consensuel, organes électoraux consensuels, utilisations rationnelles des ressources dans une conjoncture internationale difficile et pleine d’arbitraires).

           

Par ailleurs, les deux débats suivis d’une part à l’assemblée nationale, et d’autre part lors de questions d’actualités de l’ORTM, incitent à la prudence.

           

En effet, lors du débat à l’assemblée nationale, le constat est que les votes sont allés à contre courant du corps des débats, ce qui tend à prouver que le vote a été plus tôt mécanique que rationnel.

         

   Lors des débats suscités par l’ORTM, on se rend compte que sur la démarche et sur bon nombre de questions, la situation n’est pas nette. Ce qui nous amène à conclure que si on remplaçait les débatteurs du jour par d’autres, les divergences vont persister.

           

En outre, les consultations auraient dû être plus larges avec s’il le faut une Conférence nationale à la clé. Comme nous le savons tous au Mali, le dialogue est roi et le renoncement n’a jamais été considéré comme signe de faiblesse. Au lieu d’engager notre pays vers un climat de surtension alors que les élections générales sont en elles-mêmes sources de tension, nous croyons qu’il est souhaitable que le chef de l’Etat renonce aux consultations référendaires sur la révision de la constitution. Le travail qui a été déjà fait pourrait être la base d’une révision qui sera engagée dans un climat de plus grande lucidité.

          

  Avec tout ce que nous avons comme insuffisances dans notre système démocratique, même si certains se contentent de ce qui existe déjà, nous devons savoir, avec près de 20 ans de démocratisation que faire avec notre peuple pour lui assurer une plus grande stabilité dans son développement. Nous devons savoir et faire la part des choses entre les encensements des fora internationaux et la réalité du vécu de nos populations.

 

Bou TRAORE

 

(NDLR : Les titres sont de

 la Rédaction) 

 

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