Discours du Chef de l’Etat à la Nation : L’œil lit ce que l’oreille n’entend pas

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ibrahima MaigaCeux d’entre les historiens du présent qui ont décidé de travailler sur les discours du Président Ibrahim Boubacar KEITA doivent se prémunir d’une importante annotation, à savoir ” seul le prononcé fait foi “.

Entre le texte distribué à la presse et très généralement hâtivement posté sur le fil de plusieurs médias électroniques, et la version radio-télé-diffusée, il y a des écarts. Et souvent pas des moindres.

Afin d’éviter les biais, les sherpas du Chef de l’Etat doivent avec célérité revoir les discours après “prononcé” et organiser le routage conséquent, afin de ne pas altérer le goût de l’information en tant que denrée. A défaut, les journalistes doivent se rabattre sur la bonne vieille méthode de l’enregistrement, de l’audition et de la transcription, avec une bonne dose de concentration pour décrypter certains passages. C’est ce que nous conseillons, car le discours prononcé par le Chef de l’Etat, le 19 janvier, n’a été mis en ligne sur le portail de la Primature que le lendemain après 18 heures. C’est hélas, la copie qui a été largement reprise par l’ensemble des médias.

Sur la forme, il y a matière à réflexion quand à la cohérence même de la communication présidentielle. L’ORTM, annonce un ” discours à la Nation du président IBK à l’occasion de la célébration du 20 janvier, fête de l’armée nationale ” quand sur le portail de la Primature, il ne s’agit que d’un “message du président de la République: à l’occasion de la fête de l’armée “.

Pendant ce temps, les sites électroniques libres comme maliweb.net et Malijet.com ont donné chacun dans leur ton.  “Discours à la nation du Président de la République, Chef de l’Etat, Chef Suprême des Armées à l’occasion du 53ème anniversaire de l’Armée “, peut on lire sur maliweb.net. ” Discours à la Nation du Président IBK à l’occasion de la célébration du 20 janvier fête de l’armée nationale“.

Pour notre part, nous avons décidé, de ne retenir que les écarts substantiels, laissant de côté les différences de ponctuation, de préposition et autres retouches de style. Et ce survol rapide est édifiant. Les maliens qui ont suivi la radio et  la télévision, ont bien entendu, le Chef de l’Etat, à l’entame de son adresse, s’adresser aux ” Officiers généraux, Officiers, Sous Officiers, Soldats, Armée du Mali, Peule du Mali “.

La version écrite, elle est dans la mouture suivante : “Officiers, Sous-officiers, hommes du rang, Peuple du Mali “.  Le Chef de l’Etat, dans la caractérisation du contexte de la fête de l’armée, a voulu mettre en avant l’action du premier président du pays. Il a parlé de “PrésidentModibo KEITA, contrairement au simple ” Modibo KEITA “, du texte publié. Et alors que le ” Mali dont la fierté et le culte de (du ?) résultat sont essentiels au projet de présence sur lequel nous sommes d’accord et m’a valu votre confiance ” est une phrase finie ; à l’audiovisuel il a qualifié le projet de présence en ces termes, une “présence de dignité, présence d’honneur dans le concert des nations“.

Après avoir déroulé la panoplie des maux qui ont fait le lit de la désolation actuelle de notre pays, il s’attarde sur le patriotisme ” vacillant “, à l’audiovisuel on peut bien entendre, en sus, et l’adjectif  “douteux “ qui donne un autre degré de la compréhension  de l’engagement des uns et des autres au services de la patrie..

L’armée nationale a  reçu des aides. Et le Chef de l’Etat précise bien dans le texte publié qu’il est de sa responsabilité d’y veiller. Le sens est déjà plein sauf qu’à l’audition on peut suivre IBK ajouter  que ” Et tout ce qui a été engrangé au profit de la solidarité nationale, pour aider  notre armée nationale sera connu dans la transparence la plus absolue “.

Le paragraphe finit par ” Je  crois qu’aujourd’hui l’on peut dire que l’effort national tout entier est tendu vers la réconciliation des  forces armées, de défense et de sécurité “. C’est tout. Et nulle part dans le discours lu on n’entend la référence faite à l’écrivain Quincy Wright cité à deux reprises.

Voici les passages tus : Car je crois Quincy Wright quand il dit, je cite: l’Etat social et politique d’une nation est toujours en rapport avec la nature et la composition de ses armées “. Fin de citation. Je le crois encore quand il ajoute que, je cite: “ce sont les conceptions morales, juridiques et politiques qui façonnent le plus les armées” Fin de citation . Dans contexte, l’appel fait à la France pour aider le pays ne souffre d’aucun doute. ” Il n’y avait pas d’autre choix“, lit-on sèchement dans le texte publié. A l’audition, il est bien dit que “Chacun en toute honnêteté doit en convenir “. Et le Chef de l’Etat de  se lancer dans le texte écrit contre les marchands d’illusion. Il ajouté dans le prononcé ” et de mauvaise presse” contre lesquels il veut vacciner le peuple qui lui a fait confiance. “Qu’ils ne trompent personne dans ce pays“, prévient-il ! Et d’ajouter que “Qui sait la vérité, qui sait notre dédicace patriotique constante et qui sait qu’à ce niveau-là, et dans ce domaine nos n’avons pas de leçons à recevoir. Et c’est bien pourquoi vous nous avez investi de votre confiance pour faire en vos noms, lieux et places, ce qu’il convient pour le Mali, pour son honneur et pour sa dignité. Et tel sera toujours le cas. Inch’Allah “.

Le Chef de l’Etat justifie son projet d’accord éventuel entre le Mali et certains pays amis, dont la France, par  la géopolitique qui a fondamentalement changé. Celle de 2014 est loin “d’être  celle de 1961“.

 A la radio et à a télévision, on a pu entendre ceci en plus : “Hélas. Car  par nos fautes, nos errements, nos manquements, notre outil  de défense s’est affaibli et singulièrement affaibli. Pour un pays vaste comme le Mali,  un pays comme le Mali qui est confronté à des défis multiformes,  de menaces nouvelles, également multiformes, il est besoin aujourd’hui, de solidarité, de temps de formation, de temps de mise à niveau, de temps d’aguerrissement des   forces. Cela est indéniable. Et parce qu’aucun de nos pays pris séparément ne peut venir aujourd’hui à bout des défis auxquels le sahel est confronté…“.

Je ne suis pas venu pour vous mentir “, peut on lire dans le texte. Mais le Chef de l’Etat est visiblement inspiré. Il ajoute que  “Je ne suis pas venu pour manquer à la déférence qui a présidé à votre choix. Je suis venu pour vous servir avec loyauté, avec fermeté, avec détermination, avec constance, rester toujours loyal  et je saurais compter sur  votre sens national pour m’accompagner pour me tenir debout dans la maison, dans la tempête, au nom de notre nation, pour la défense de la dignité et  de son honneur. Et dans cette  importante, difficile et complexe mission, je sais compter sur chacune et chacun d’entre vous. Et surtout, avant tout, sur Toi, sur Toi, Armée du Mali “.

Le contenu

Sur le fond, le Chef de l’Etat a annoncé deux importantes mesures : la refondation de l’armée, et le débat sur un accord de défense entre le Mali et la France.

La refondation de l’armée se fera à travers une loi de programmation militaire sur une durée de cinq ans,  de  2014-2018 avec le dessein de mettre l’outil de défense en phase avec  ses missions.  Cette question est moins polémique; contrairement à l’accord de défense, sur lequel le chef de l’Etat est d’une très grande prudence.

 Il reconnaît publiquement l’existence de discussions entre le Mali et la France à propos ” d’un éventuel accord de coopération militaire“. Il s’est empressé d’ajouter qu’il s’agit de discussions  “à l’initiative des autorités maliennes“. Les propos prennent toute leur importance quand le point  nodal de la partie semble être la plateforme de Tessalit. “Oui, nous savons que c’est de Tessalit que s’est repliée l’armée française à la demande du Président Modibo Keita. Oui, nous savons aussi que pour reconquérir son intégrité territoriale  assez alors lourdement hypothéquée, le Mali a dû demander l’intervention militaire française en janvier 2012 “, a déclamé de façon poétique le Chef de l’Etat qui donne une justification à l’idée à travers la densité et la complexité des défis qui assaillent aujourd’hui le Mali et l’espace sahélo-saharien.

La géopolitique a changé. Et les lignes ont également bougé. Et là, c’est l’histoire qui se met à bégayer. Pour notre peuple.

 

Ibrahima MAIGA

 

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