Chaque personne, chaque groupe a une histoire différente. Mais nous sommes tous des enfants d’Adam. Accentuer les clivages est meurtrier et stérile. Pour vivre en paix, écoutons-nous les uns les autres.
Christoph Eberhard, anthropologue du droit qui travaille au Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris, nous invite à y réfléchir.
“La création des cieux et de la terre, la diversité de vos langues et de vos couleurs sont autant de merveilles pour ceux qui réfléchissent”, dit le Coran, mais, reconnaître nos différences pour s’en enrichir n’est pas aussi facile qu’on le pense. Cela demande d’écouter l’autre, de prendre en compte son témoignage. Certes, nous sommes tous des êtres humains, mais il faut aussi accepter que nous sommes tous différents. L’important est donc de dialoguer et de discuter.
Chez nous, dans les pays occidentaux, la société est basée sur l’égalité. Nous sommes tous des individus libres, indépendants et autonomes. Pour ne pas nous battre entre nous, nous abandonnons nos pouvoirs au profit de l’Etat qui nous gouverne. Tous égaux, nous sommes donc tous soumis aux mêmes lois et aux mêmes sanctions si nous les enfreignons. Mais, pour se protéger des abus possibles de l’Etat, nous avons fait reconnaître un certain nombre de droits fondamentaux : ce sont les “droits de l’homme”. Dans nos pays, l’harmonie sociale vient de cette égalité reconnue et acceptée par tous.
En Afrique, les conceptions sont autres. “Si nous étions égaux, nous ne cohabiterions pas”, me disait un Sénégalais. Au sein d’une communauté, ce sont les différences qui sont les facteurs de cohésion de la société. Chacun a son rôle à jouer. Etant complémentaire de l’autre, il est indispensable. Si tous étaient forgerons, la société ne marcherait pas !
De même, chaque membre du groupe possède un pouvoir lié à son rôle : maître des terres, chef de village, guérisseur, forgeron… La multiplicité de pouvoirs qui doivent collaborer ensemble existe au sein même de chaque communauté.
Le rôle de l’Etat.
Malheureusement, trop souvent, les différences entre les communautés qui cohabitent dans un même pays sont, elles, des facteurs de division plutôt que de complémentarité. Elles sont exacerbées par les enjeux politiques. L’autre est alors montré du doigt comme l’ennemi vis-à-vis duquel il faut affirmer son identité propre.
Les Etats qui jouent sur ces divergences pour asseoir leur pouvoir ne peuvent résoudre les conflits qui en résultent. Ce sont les populations de base, les “citoyens”, qui sont les seuls vrais responsables d’un projet de société pour l’Afrique.
Pour y arriver, pourquoi ne pas se retrouver entre communautés non pas pour voir comment exclure l’autre, mais quelles sont les complémentarités possibles. Il s’agit alors de négocier un consensus où tout ce qui n’entre pas est exclu, mieux vaut essayer d’additionner les valeurs des différents groupes.
Lorsqu’on fait cela, on s’aperçoit très vite que tous ont des points communs.
Les aspirations des hommes sont les mêmes partout : chacun souhaite pouvoir vivre en paix, manger à sa faim, offrir un avenir à ses enfants…
C’est sur ces bases qu’on peut se mettre d’accord sur un code de conduite et élaborer un projet de société commun à partir des pratiques des “vrais gens”, ceux qui sont concernés par les problèmes.
Si tout le monde participe à son élaboration, chacun est alors conscient qu’on ne peut pas tout y mettre mais que le texte prend en compte une partie de son vécu.
En fait, il faut réapprendre ce qui est essentiel, à savoir, que nous sommes des êtres vivants, aimants, inscrits dans des identités multiples.
Une même personne appartient de fait à différents groupes qui s’interpénètrent, mais qui ne se recoupent pas entièrement : elle fait partie d’un groupe ethnique, mais aussi d’un pays et d’un continent, elle appartient à un groupe social, à une classe d’âge, à un quartier ou à un village, peut-être à un parti politique…
Rien qu’en regardant ce qu’on est, on s’aperçoit vite qu’une identité n’est pas exclusive d’une autre et qu’on a des intérêts communs avec… le monde entier.
Christoph Eberhard, anthropologue du droit qui travaille au Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris