Des prévenus à Taoudénit

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Le bagne de Taoudenit pudiquement baptise centre de rééducation, ne recevait pas que des condamnes aux travaux forces. Loin s’en fallait. Durant notre longue détention en ce lieu, nous avons vu arriver, menottes aux poignets plusieurs citoyens qui n’étaient ni juges, ni condamnes.

 Ils arrivaient au hasard d’événements politiques ou sociaux qui ne cessaient de secouer le régime militaire. II s’agissait en général d’intellectuels ou de syndicalistes tels que: Victor Sy, Ibrahima Ly, Mohamedoune Dicko, Bakary Koniba Traore dit Bakary Pionnier, Cyr Mathieu Samake, Bakary Tierro, Jean Etienne Djiedere, Oumar Ly, Samba Sidibe, Adama Samassekou … etc.etc. II y avait aussi d’humbles marchands mêles, disait-on, a une affaire de farine, tels que : Mamadou Yaranangore, Madi Baba Diakite, Cheik Daou et autres. Toutes ces personnes arrêtées lors de simples manifestations de rue ou pour distribution de tracts étaient considérées comme des opposants potentiels ou avérés au régime du général président. Les intéressés étaient donc envoyés à Taoudenit pour intimidation et a titre d’avertissement. Après une pénible traversée du désert, ils arrivaient au camp pénal dans un état de sante parfois lamentable.

Certains avaient été sauvagement battus dans des casernes, notamment a la fameuse compagnie des parachutistes de Bamako (Djicoroni). C’était le cas de Monsieur Victor Sy, dont le dos n’était plus qu’une immense plaie recouverte de croûte. A son arrivée (il était tout seul), un groupe de soldats fut charge de l’accueillir selon le rituel en vigueur en ce bagne. Mais lorsqu’il lui enleva sa chemise, le caporal qui commandait le groupe eut un haut-le-corps pour ne pas dire la chair de poule, en voyant de quelle façon le dos de Monsieur Sy avait été laboure. Selon le compte rendu qu’il fit a ses chefs, il n’y avait pas un centimètre carre de son corps qui ne porte pas de trace de fouet. Ce triste constat fit que Victor Sy ne fut pas battu ce jour la, comme le voulait la coutume.

d’autres prévenus tels Mamadou Yaranangore et Baba Diakite n’eurent pas la même chance que Mr Sy, si tant est, que son cas pouvait être considérer comme une chance. A leur arrivée et les jours suivants, on leur fit pousser des fûts d’eau dans le sable avec des cravacheurs derrière. Leurs dos étaient zébrés de traces de coups, leurs mains c10quees et ensanglantées ; et on pouvait voir sur leurs têtes des bosses grosses comme des œufs de poule. Naturellement tous avaient attrape la diarrhée, et le "nzakaroba» qu’on leur servait a manger n’était pas pour arranger les choses. En moins d’une semaine, ces commerçants bedonnants, gros et gras étaient devenus méconnaissables. Ayant perdu l’habitude de fournir de gros efforts, ils perdirent beaucoup de poids en peu de temps. Leur résistance atteignit un seuil critique. Aussi, les geôliers décidèrent-ils de les faire retourner a Bamako, non sans les avoir rasés grosse modo, en laissant des touffes ridicules sur la tête de chacun. Ce fut le comble de l’humiliation pour ces notables et ces chefs de famille. Ils furent embarques dans la Land Rover qui les avaient amènes. Mais avant de prendre la direction de Tombouctou, les militaires leur firent faire urne visite des lieux, devenue désormais classique. Ils furent conduits successivement au cimetière des prisonniers, au fort Niantao et a la gargote pour constater combien est dure l’extraction du sel gemme. A la prison, on leur fit voir les détenus les plus malades, se vautrant dans le selles et la vomissure, se mourant petit a petit, enfles par le béribéri et les coups. Ce fut ainsi qu’a un groupe d’intellectuels fut présenté le capitaine en proie au béribéri  à l’état avancé et a des crises d’asthme répétées. Lorsque nous le sortîmes de sa cellule, le chef du Bagne-mouroir dit aux prévenus : "vous voyez ça? ¬C’était un capitaine. Voila ce qu’il en reste à présent. C’était sans commentaire, et la morale de cette mise en scène était, on ne peut plus claire: "Tenez vous peinards, si vous ne voulez pas finir votre vie dans ce bagne, comme d’autres l’ont finie. A bon entendeur salut! "

Le séjour des prévenus excédait rarement les sept jours. Ce délai était considéré comme largement suffisant pour faire apprécier a leur juste valeur, tous les aspects de la vie carcérale a Taoudénit,

Toujours dans le cadre des personnes non condamnées, nous avons vu arriver en 1978 14 policiers en détention préventive. C’était à la suite de la lutte sans merci que des factions s’étaient livrées pour le leadership au sein du comité militaire de libération nationale. Ce bras de fer qui avait oppose les membres du C.M.L.N. avait abouti, on le sait, a l’arrestation et a l’emprisonnement de ceux qu’on appellera plus tard la bande des trois et de leurs affidés. Ces officiers de police n’avaient été brutalises, ni a leur arrivée, ni pendant leur séjour en détention préventive. Toutefois, ce traitement de faveur ne résultait ni d’une prise en considération de leur statut d’officiers, ni d’une reconnaissance de bons et loyaux services naguère rendus par les intéressés au C.M.L.N. Le fait était que, n’étant pas encore juges, ils devaient comparaitre incessamment devant un tribunal. Aussi, pour préserver l’image du régime, fallait-il éviter de les abimer. Rien pour le moment ne pressait. II sera toujours temps de se rattraper, et de servir durement contre ces messieurs. En attendant ils effectuaient toutes les corvées auxquelles étaient assujettis les forçats et partageaient leurs repas. Cela dura un peu plus d’un mois, et un matin nous les vîmes partir pour être juges qui a Bamako, qui a Tombouctou. Certains, pour leur malheur reviendront à Taoudenit après leur condamnation définitive.

II faut signaler cependant que les détenus politiques que nous étions n’avaient aucun contact avec ces intellectuels déportés. Nous avions toujours été tenus dans l’ignorance absolue de leur arrivée, et lorsqu’ils étaient la, les militaires veillaient soigneusement a ce que leur identité et le motif de leur déportation demeurent dans le plus grand secret. Pour nos geôliers, par trop zélés, cela nous aurait mis du baume au cœur et raffermi le moral, de savoir que d’autres Maliens contestaient e pouvoir militaire. Ils ne voulaient pas nous permettre de savourer un tel plaisir. A cette époque, les militaires, tous grades confondus se vantaient de ce que l’armée était au pouvoir, quand bien même, ce pouvoir n’avait aucun rejaillissement sur leur humble personne …

Le désenchantement naitra plus tard, ainsi que la déception. Mais ceci est une autre considération que je ne me propose pas de développer ici

Une seule fois, un des intellectuels avait réussi la prouesse de nous faire parvenir un message ainsi conçu : "Tenez bon, courage !" Ce message enroule autour d’un caillou, nous avait été lance a la faveur de la demi obscurité d’un crépuscule et de la proximité relative de nos latrines. Malgré son caractère laconique, il nous fit énormément plaisir, nous conforta dans le bien fonde de notre position et fit naitre en nous un grand espoir. Espoir que tous les Maliens réaliseront un jour que le C.M.L.N  ne peut amener le peuple Malien a ce bonheur promis avec légèreté en 1968.

Ainsi, des dizaines de citoyens non jugés avaient passe des séjours plus ou moins longs au bagne de Taoudenit, et avaient été soumis aux travaux forcés et a des traitements pour me moins dégradants. C’était sous le régime militaire du général Moussa Traore.

Extrait du livre « Bagne-mouroir de Taoudénit » de feu Samba Gainé SANGARE

 

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