Un des objectifs de cette communication réside dans la manière de poser la problématique du politique confronté aux conditions d’émergence de la démocratie.
Par delà les discours «propagandistes» sur et à propos de la démocratie comme valeur universelle ou «universalisable», se pose un problème de fond qui est le suivant: les systèmes politiques dits «traditionnels» animés et placés sous l’influence de la chefferie et/ou de ses représentants, génèrent quels types de comportement politiques? «L’arbre à palabres» n’est-il qu’une simple métaphore? Par delà les différents pouvoirs incarnés par les chefferies, celles-ci produisent et recherchent (avant tout?) du consensus. Celui-ci présente l’avantage de dissoudre d’éventuels émergence de conflits et relègue aux «calangues saharo-sahéliennes», l’apparition et donc l’expression de contre pouvoirs susceptibles de troubler l’ordre social dont la chefferie est «consensuellement» détentrice et en même temps objet de son pouvoir.
A l’évidence, la démocratie consensuelle, favorise (voire institutionnalise) le ou les pouvoirs en place en le légitimant implicitement. Elle secrète une illusoire paix sociale tout en transférant les contradictions inhérentes à toute société et à tout système politique en un avenir flou et diffus qui empêche toute élaboration de stratégies politiques visant à résoudre autant que faire se peut, les problèmes auxquels chaque société est confrontée et masque les enjeux de pouvoirs qui n’ont plus la possibilité de s’exprimer publiquement. Ce type de démocratie opacifie les relations sociales et politiques tout en maintenant du lien social (au profit du pouvoir en place) d’où sa force et sa faiblesse et donc ses limites dans les phénomènes de régulation sociale de la conflictualité.
Les autres dynamiques de la démocratie consensuelle consiste à:
– Déplacer dans le temps les problèmes sans prendre de décision et donc à figer les problèmes en les occultant.
– Entretenir la confusion, les ambiguïtés, les malentendus, les mauvaises compréhensions
– Induire la formation informelle de groupes d’opposants non déclarés publiquement, à la chefferie.
Ce qui, en définitive, entretient le palabre.
Ainsi, consensus et palabres sont interactifs : ils sont consubstantiels.
En terme de jugements de valeur ou d’appréciation morale, cette démocratie se fonde sur l’hypocrisie, le clientélisme, le népotisme, et les « coups fourrés ».
Ce type de pratique et de conception peuvent ils se transférer dans la gestion du politique au niveau étatique?
Une conceptualisation plus poussée de ce type de démocratie permet d’avancer la problématique, ou pour le moins, le questionnement suivant : est-ce qu’il n’entrave pas, structurellement, les possibilités d’émergence de l‘autonomie du politique ? En effet, on observe que LE politique est inséré dans une gangue parentale car les rapports de parenté (incluant les alliances matrimoniales) fonctionnent aussi comme rapports politiques.
De surcroît, ces rapports de parenté sont incorporés dans la religion et donc dans les croyances. Or l’islam (l’instar d’autres religions à portée universelle) est une religion englobante qui codifie les comportements sociaux, régit les relations entre les êtres humains et les groupes. Il en découle que l’islam assure des fonctions sociales, morales et politiques d’où cette notion « d’englober».
Ces deux piliers (le sang et les croyances) qui s’enchevêtrent, se combinent, ne constituent-ils pas un ou des obstacles aux conditions d’émergence de l‘autonomie du politique lequel devrait obéir à ses propres logiques extraites de sa gangue parentale et de sa tutelle religieuse?
Ecrire ce questionnement revient à poser le problème des conditions d’application de la laïcité maintes fois déclarées, répétées et donc réitérer la question de l’exercice autonome du politique. Or, ce dernier est indissociable des conditions d’affirmation de la démocratie qui, pour être réelle, efficace et dynamique, nécessite l’existence et l’organisation structurée d’une opposition qui institutionnalise l’esprit et les propos critiques.
Enfin, la problématique et les analyses précédentes renvoient d’une part aux représentations qu’une société ou qu’un peuple se fait du pouvoir et de ses conditions d’exercice.
A cet égard, la démocratie élective illustre les représentations que ces sociétés se font du pouvoir et de ses enjeux.
Je vais prendre pour exemple les récentes élections présidentielles et législatives que je ne vais pas extraire des contextes politiques de leur déroulement, en posant la question suivante : les résultats électoraux et surtout le pourcentage des votants peuvent-ils constituer des indicateurs de représentation du pouvoir. Par hypothèse, oui!
L’élection présidentielle a réuni 78% de votes sur le nom du président IBK et un pourcentage élevé de votants. Ces taux, il est vrai, s’inscrivent dans un contexte politique inédit et bien particulier.
Les élections législatives ont vu un pourcentage de votants chuté sensiblement dont on peut, certes, proposer des analyses ou point de vue explicatifs. Mais, sur le fond, la question fondamentale n’est-elle pas, avant tout, celle-ci:
– La représentation du pouvoir réel n’est-elle pas celle du pouvoir central incarné par le Président de la République et ce au détriment du pouvoir législatif illustré par l’Assemblée nationale censée refléter le pouvoir du peuple qui, lui, devrait concrétiser le pouvoir démocratique. Si tel en était le cas, alors la ou les représentations du pouvoir réel tendrait à légitimer le glissement insidieux vers une personnalisation du pouvoir : celui du chef !
Si ces processus sont conformes à ce qui relève du politique lato sensu au Mali, alors on devrait s’interroger que : qu’est-ce que c’est que le pouvoir démocratique ?
Cette question ne concerne pas que le seul Mali, loin s’en faut, mais l’ensemble des États qui se réclament de la démocratie et de la transparence dont elle se dit porteuse, y compris ceux de l’Occident qui se prétendent les chantres de la démocratie.
André Bourgeot
Directeur de recherche émérite CNRS
UMR 7130
Laboratoire d’anthropologie sociale