Décryptage : Transition : Pour/Contre

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Au Mali, deux tendances s’entrechoquent à l’égard des autorités de la transition. Il y a les Pour, c’est-à-dire ceux qui accordent du crédit aux autorités de la transition. Et les Contre, ceux qui rejettent les décisions politiques des mêmes autorités, car pressés de voir la fin de la transition, en perspective les élections générales de 2022.

Ces deux tendances sont complétées par une troisième, celle des Maliens qui veulent juste vivre dignement quel que soit le régime. La question de la cohérence des politiques publiques et leur ancrage sont évidemment posés. Dans tout ça, c’est à la fois notre rapport au pouvoir de transition et son impact sur la lisibilité des règles et des réformes qui est soulevé. Notre rapport au pouvoir de transition a toujours été tendu.

Par exemple, la première transition du Mali démocratique, conduite par ATT après son putsch militaire de mars 1991 a vécu également ses moments de tension. Mais elle a été aussi la mieux réussie : rédaction de la constitution de 1992, pluralisme démocratique… On lui reproche néanmoins de ne pas avoir jeté les vraies bases d’un Mali nouveau. Alors même que la plupart des hommes politiques actuelles ont été des acteurs de premier plan de cette période. D’ailleurs, le rejet d’une partie des politiques par la population est aussi lié à cet état de fait : leur incapacité à reformer le pays. Quant à la transition de 2012 sous Dioncounda Traoré, elle a traversé les mêmes jeux de positionnement.

Certes, le contexte actuel n’est pas celui des années 1990. Aujourd’hui, la crise sécuritaire est une variable d’ajustement majeure de toute politique publique menée ou à mener. Mais, venons-en aux Pour/Contre.

Pour les Pour, le choix n’est pas à la critique des autorités de la transition, mais plutôt à l’accompagnement et au sursaut national. Les Pour optent pour une prise de risque courageuse, un acte citoyen où la question de la responsabilité individuelle est mise en avant pour réhabiliter le Mali. Voilà, depuis 2012 qu’on nous explique que dans cette crise, le Mali manque d’un leader qui saura conduire le pays vers la paix, la sécurité et le développement. Et que les décisions politique sont désancrées. Et bien non.  Les Pour croient à des alternatives pour sortir de l’urgence sécuritaire. La signature des accords locaux entre une partie des communautés de la région de Mopti illustre cette nouvelle donne. Le déplacement du premier Ministre Moctar Ouane dans le Centre du pays est aussi perçu comme des signaux forts de changement. Les Pour approuvent l’exécutif, qui a su créer un climat apaisé de travail avec les partenariats internationaux (Barkhane, EUTM, Minusma…). L’exécutif actuel a pu prendre en compte non seulement la question sécuritaire, mais aussi les aspects psychiques des Maliens comme à Kona, car le Mali est à la fois en traumatisme et en humiliation. En dépit des reproches permanents de certains de nos compatriotes d’une société maternée et anesthésiée, incapable de se gérer elle-même, Moctar Ouane et Bah N’Daw font confiance aux Maliens et les responsabilisent. En gros, c’est des Maliens que dépend la suite : retour de la paix, élections générales propres et transparentes. Les agissements quotidiens des Maliens dans la vie de tous les jours, l’autodiscipline nous permettra de sortir de la crise. Les Maliens ne sont pas maudits. Le choix de la confiance, plutôt que l’immobilisme. C’est le bon message au bon moment. La mise en place d’un cadre de concertation pour les reformes est aussi importante dans ce domaine.

Pour les Contre : la position adverse. Leur reproche : la lenteur des réformes à venir, pas de signes avant-coureurs pour stabiliser le Mali. Ce qui peut avoir des conséquences lourdes. Plus les réformes tardent à venir, plus l’exécutif actuel court le risque d’une certaine inefficacité, un certain immobilisme. Nous sommes à une dizaine de mois des élections générales de 2022. Le temps passe vite. Les états-majors politiques s’activent déjà même si la campagne est loin d’être ouverte officiellement. Reste à savoir : qu’en sera-t-il demain si les politiciens s’emballent, sachant que la fragilité institutionnelle de notre pays inhibe toute tentative de résistance ? Les Contre reprochent aussi aux autorités de la transition de prendre des décisions en solitaire sans réel débat public ni véritable concertation. Reproche encore plus curieux, sans doute, c’est l’idée que la réalité du pouvoir n’appartient ni au président de la transition, ni à son premier ministre, mais au vice-président de la transition. Chose difficile à accepter dans une transition où les rôles du président et du vice-président sont clairement définis dans la Charte. Pourtant, le gouvernement prétend qu’il travaille en toute liberté, et responsabilité pour reformer le Mali. Une façon de requérir une acceptation sociale.

Néanmoins, ces deux tendances, Pour/Contre, choix kafkaïen par ailleurs, traduisent les jeux de positionnement noyant toute décision politique incarnée. Sans tomber dans le moralisme, ne devons-nous pas profiter de la transition, si courte soit-elle, pour jeter les bases d’un Mali rassemblé ? Tant qu’il est encore temps. Pour sauter encore plus haut avec des jours aussi certains que le rêve des pionniers des Indépendances. Chacun de nous doit se poser la question de sa propre responsabilité. Bref, on aura gagné en efficacité et en perspectives d’avenir.

 

Mohamed AMARA

Sociologue,

Auteur du livre, Marchands d’Angoisse, le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être (Editions Grandvaux, 2019)

 

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