En France, le 16 octobre 2020 vers 17h, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines-Paris), Samuel Paty (47 ans) professeur d’histoire et de géographie, est décapité par Abdoullakh Abouyezidevitch Anzorov, 18 ans. Russe, d’origine Tchétchène, Abdoullakh A. Anzorov a été tué par la Police. Acte terroriste ignoble. Au Mali où la France lutte contre le terrorisme depuis 2013, les habitants du village de Farabougou (région de Ségou) sont coupés du monde depuis presque trois semaines par un groupe terroriste. Au Mali comme en France, tous ces actes ont en commun le fait que des humains tuent d’autres humains au motif d’être libres de penser, s’exprimer, vivre tout simplement. Les bourreaux sévissent pour imposer une idéologie sanguinaire et totalitaire. Jusqu’où nos libertés fondamentales sont-elles muselées ?
Notre bien le plus précieux : la liberté
De par le monde et en France, l’assassinat de Samuel Paty fait couler beaucoup d’encre et a suscité de l’émotion partout. La reconnaissance du métier d’enseignant repose sur l’attachement à la liberté. Un enseignant, un maitre, a pu compter dans le cheminent intellectuel de nous tous. Probablement à différents niveaux. Par exemple, alors que je préférais conduire les animaux en brousse plutôt que d’aller à l’école, la vigilance d’un de mes directeurs d’école au premier cycle (en primaire) a été capitale dans ce que je suis devenu aujourd’hui : enseignant chercheur en sociologie. L’enseignant, c’est aussi celui qui éduque, éveille, forme et donc transmet à la jeune génération notre bien le plus précieux : la liberté. La notion de liberté traduit l’idée selon laquelle l’homme, le citoyen a le “… droit d’agir et de se déterminer souverainement, dans les limites imposées par la loi et le respect des droits d’autrui…”. Dans ce cadre, l’enseignant transmet la liberté de conscience, des cultes, d’expression, de pensée ou d’opinion. Par exemple, la liberté d’enseigner, c’est transmettre la liberté d’expression. Par extension, c’est aussi la liberté de la presse, le “… droit de publier et de diffuser des informations, des idées, des opinions par la voie de l’impression, des journaux, de la presse audiovisuelle, sur toute matière et sans subir aucune censure…“. Au Mali, le journaliste, Birama Touré, cinquantenaire, a été privé de ce droit d’informer depuis janvier 2016. Il est porté disparu et l’on est sans nouvelle depuis.
On veut tuer les différences
En France, malheureusement Abdoullakh Abouyezidevitch Anzorov et ses soutiens ont privé macabrement le droit fondamental de Samuel Paty, celui de vivre et d’exercer son métier. Ce 7 octobre 2020, le destin de Samuel Paty s’est joué suite à la calomnie d’un parent d’élève sur les réseaux sociaux qui attirait vers M. Paty son assassin. Malheureusement de nombreuses personnes sont responsables de ce dénouement tragique. Samuel Paty connait le même supplice que les enfants de l’école Otzar Hatorah (Toulouse), les victimes de la Promenade des Anglais (Nice), les spectateurs du Bataclan (Paris), les journalistes de Charlie Hebdo et de l’hyper Cacher (Paris) ou les clients des terrasses des 10eme et 11eme arrondissements de Paris. Que des crimes dont le dénominateur commun reste la volonté de terroriser les foules et d’éteindre les valeurs humanistes. Partout, cette idéologie de la mort sévit. La haine et la peur de l’autre prédominent. On veut tuer les différences.
En Floride, aux Etats-Unis d’Amérique, le 14 février 2018, 14 élèves et 3 membres du personnel du lycée Marjory Stoneman Douglas sont assassinés par Nikolas Cruz (19 ans), ancien élève du même établissement. La fusillade a ôté la vie à 17 personnes en 6 minutes et 20 secondes. Arrêté par la Police, une heure après la fusillade, l’assassin s’est révélé raciste, antisémite et avait un penchant pour la violence et les armes. En réaction à cette tuerie, le mouvement, March For Our Lives (la Marche pour nos vies) s’est mis en place pour militer pour le contrôle des armes, et sensibiliser les élus aux violences liées à la détention d’armes à feu.
Farabougou, un territoire républicain interdit
Au Mali, les habitants de Farabougou sont privés de toutes formes de libertés : se nourrir, se déplacer, se parler, vivre… Farabougou est devenu un territoire interdit dans la République où ses habitants sont marginalisés, terrorisés par un groupe, proche des milieux terroristes. Déjà, plus de six morts et neuf disparus. D’autres troubles psychosociaux ne sont pas à exclure à cause des probables violences, portant atteinte à la santé des populations. Farabougou, ce village de la région de Ségou, est pris en otage au motif d’un conflit entre communautés qui n’en est pas un. Du pain béni pour tomber dans la stigmatisation des communautés. Il sert au contraire de bouc émissaire à des groupuscules locaux rivaux pour régler des comptes, et par conséquent renforcer leurs positions localement. Ces groupes, certains affiliés au GSIM et d’autres aux groupes d’autodéfense comme les “chasseurs dozos”, Dan Nan Ambassagou (les chasseurs qui se confient à Dieu en Dogon) ou les Koglweogo (gardiens de la brousse en Mooré, Burkina Faso) sont dans un cycle de vendetta dans lequel les populations sont les premières victimes.
Nous n’avons d’autres choix que d’agir pour nous réconcilier et nous unir
Farabougou est l’occasion pour le pouvoir de transition du président Bah N’Daw de ne plus mettre la sécurité en marge de la République. Il est du devoir du président et de son Premier ministre, Moctar Ouane, de rétablir les liens d’amitié et de partage entre les Maliens grâce aux brassages culturels historiques et aux leviers sociaux. La réconciliation des Maliens entre eux passerait nécessairement par un projet, en plus de la charte de la transition, voire une politique sécuritaire, certes militaire, mais axée sur le dialogue de façon claire et précise.
Pour conclure, en France, on ferme les lieux de culte politisés ou encore les associations suspectées de collusion avec les milieux extrémistes. L’exécutif français envoie un message clair à tous ceux qui projettent de déstabiliser la République. Au Mali, un message de fermeté doit tout autant être envoyé à ceux qui refusent de s’inscrire dans ce processus de dialogue pour réconcilier les Maliens. Pour l’exécutif malien, Farabougou, après sa libération, doit servir de laboratoire pour mieux repenser et renforcer les dispositifs sécuritaires. Nous n’avons d’autres choix que d’agir pour nous réconcilier et nous unir. C’est pourquoi, il faut sévir politiquement et fermement tout en pacifiant les relations sociales entre les individus et les groupes. Car nous sommes tous issus d’un ancêtre commun, l’homme de Cro-Magnon.
Mohamed Amara
Sociologue
Auteur de plusieurs livres dont Marchands d’Angoisse, le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être (Ed Grandvaux, 2019)