Le 61eme anniversaire de l’indépendance du Mali est loin d’être célébré comme c’était le cas avant 2012, dans un climat festif de quasi apothéose mémorielle. Dans la mémoire collective, l’allure du premier Président Modibo Keïta brille ; comme celle d’un des grands hommes du Mali indépendant, ayant conduit le pays à l’indépendance. Souvenons-nous. Il y a quelques siècles en arrière, le Mali était glorifié dans le monde entier grâce aux différents empires et royaumes. Comme en témoignent les chroniqueurs égyptien (Al-Umari), Marocains (Ibn Battuta, Léo l’Africain) ou Tunisien (Ibn Khaldoun). Depuis, le pays a décliné malgré le panafricanisme affirmé de Modibo Keïta, et son sens élevé de l’intérêt général. Le rêve de Modibo Keita – transformer le Mali – s’est envolé avec le putsch militaire de Moussa Traoré en 1968. Mais l’espoir reste le suivant : Mali un jour, Mali toujours.
Evitons de judiciariser la vie politique
Aujourd’hui, le Mali est en crise. Bamako se bat pour avoir le pouvoir ou le conserver. Alors qu’à Ségou, Mopti, Tombouctou, Gao ou Tessalit, les populations subissent la loi des narcoterroristes : assassinat, déscolarisation, pillage, racket, relégation… Sous la contrainte, les populations versent la zakat aux narcoterroristes. C’est le règne de l’injustice sécuritaire. Les massacres de villageois font légion. Les enlèvements des leaders d’opinion et des journalistes sont quotidiens : déjà six mois que le journaliste Olivier Dubois est entre les mains du GSIM d’Iyad Ag Ghali. Mais les premiers responsables de cette injustice sécuritaire, ce sont ceux qui ont géré le pays depuis les trente dernières années. Inutile de dire qu’ils sont tous responsables de la crise sécuritaire. Certes, l’exécutif actuel tente de lutter contre l’impunité. Certes, ses actions sont normales et légitimes. Mais, nous devons éviter le risque de judiciariser la vie politique. Dans ce sens, il est important de répondre à ces questions :
Comment rendre compte de l’injustice sans tomber dans une justice d’exception ?
Comment trouver l’équilibre entre l’exigence de transparence et lutte contre l’impunité ?
Comment concilier la justice et le droit ?
En attendant de répondre à ces questions, les Maliens aspirent à une justice qui n’est ni là pour communiquer ni là pour envoyer des messages. Mais une justice qui rend le droit quel que soit le justiciable et le lieu. Une justice qui n’est pas inféodée à une chapelle, un parti politique ou un clan. Notre justice tirera sa force de l’indépendance du politique. Après 61 ans d’indépendance, nous devrons y croire. Il doit y avoir de la cohésion sociale et de la confiance entre le justiciable et le juge.
Plus le citoyen participe, plus on crée les conditions de renforcement des institutions
En plus de la justice, les Maliens aspirent à une véritable participation citoyenne, entendue comme un « […] processus d’engagement […] de personnes ordinaires, agissant seules ou au sein d’une organisation, en vue d’influer sur une décision portant sur des choix significatifs qui toucheront leur communauté » (André : 2012). Elle implique une légitimité citoyenne. Participer, c’est aussi une manière d’améliorer la décision politique et de créer les conditions de l’acceptabilité des réformes. Par exemple, la conviction que le point de vue d’un habitant de Kourémalé, d’Abeïbara ou de Banikane a été entendu facilite son ralliement aux réformes. Ce qui vaut pour cet habitant, vaut aussi pour le syndicaliste, le politique ou le militant associatif. Mais créer les conditions de la participation, c’est innover politiquement. C’est-à-dire créer des espaces de débats pour améliorer nos conditions de vie, resécuriser le territoire, organiser des élections propres et transparentes. Plus le citoyen participe, plus on crée les conditions de renforcement des institutions : école, justice, santé, etc. Et inévitablement, de cette façon-là, on favoriserait le taux de participation aux élections. Par exemple, à l’intérieur comme à l’extérieur du Mali, il est impératif d’instituer des temps de débats scientifique, citoyen et politique pour éclairer les Maliens sur les problèmes actuels du pays. La gravité du moment l’exige. Les seuls échanges entre le Conseil National de Transition (CNT) et l’exécutif ne suffisent pas.
On s’enlise
Aujourd’hui, selon l’Agence Reuters, au chapitre des coopérations militaires, des négociations seraient en cours entre le Mali et l’entreprise russe Wagner, spécialisée dans le mercenariat. Wagner, opérant déjà en Syrie, Libye ou en Centrafrique, entrainerait les FAMa. Elle aura aussi pour objectif de s’occuper de la protection des « hauts responsables ». Pour une bagatelle de près de 6 milliards de F CFA par mois. Pauvre Mali. On s’enlise. Hélas ! Certains stakhanovistes y trouvent leur compte. D’autant que Wagner est une organisation paramilitaire avec l’objectif de défendre les intérêts vitaux extérieurs de la Russie. Fondée en 2014, Wagner est financée par l’homme d’affaires russe, Evgueni Prigojine, un proche du président russe Vladimir Poutine. Inutile de spéculer sur le pedigree de Wagner, mais des questions se posent : leur rôle serait-il cantonné à la formation des FAMa et à la protection des hauts responsables ? Y aura-t-il une ingérence dans les élections générales à venir ?
Absence de modèle de gouvernance durable
Dans les dédales labyrintiques de la transition actuelle, le Mali devient un espace de reglement de comptes entre Paris et Moscou. À notre corps défendant, la France (Barkhane) et la Russie (Wagner) s’écharpent au pays de Soundjata Keïta, Sonni Ali Ber, Biton Mamary Coulibaly, Kankou Moussa, Sékou Amadou Barry, Tiéba Traoré, Firhoun Ag Alinsar, Modibo Keïta, Alpha Oumar Konaré ou Amadou Toumani Touré. La présence de Wagner et de Barkhane illustre la difficulté de l’élite à construire des institutions stables, faute de modèle de gouvernance durable. On peut apprécier ou non l’arrivée des Russes au moment où on s’apprête à fêter notre 61eme année d’indépendance. On peut se satisfaire de l’arrivée des Russes, car on espère rééquilibrer les rapports de force. Mais la réalité, les Maliens n’ont jamais digéré l’exclusion, en 2013, des FAMa dans la reconquête de Kidal dont un des effets est la quasi absence de nos institutions. La sollicitation de Wagner demeure une réplique à l’incapacité de la classe dirigeante à ramener la paix et à développer le Mali. Attention, la manœuvre peut être dangereuse.
Comment lutter contre le terrorisme sans démanteler le Mali ?
Mohamed Amara
Sociologue