Le Mali est l’homme malade du Sahel. Les tensions sociales et politiques actuelles illustrent bien cette souffrance.
Face à l’épreuve commune du terrorisme et de la mal gouvernance, le Mali montre le visage de l’agonie. Pourtant, la situation géopolitique n’est pas pire qu’au Niger ou au Burkina-Faso, tous pays membres du G5 Sahel. A coup sûr, les choix politiques de nos voisins ont peut-être été meilleurs que les nôtres. Il n’est donc pas étonnant de voir qu’une motion de censure populaire se déclenche pour demander la démission du président Ibrahim Boubacar Keita, IBK. Cette censure populaire est incarnée par le M5-RFP, Mouvement du 5 juin Rassemblement des Forces Patriotiques, dont l’autorité morale est l’imam Mahmoud Dicko. Ce mouvement semble savoir comment parler au peuple.
Dans un possible “accord politique” entre la majorité présidentielle et le M5-RFP, le futur attelage gouvernemental ne devra pas commettre les mêmes erreurs que le tandem IBK-Cissé. D’abord, ils ont joué avec le feu en refusant d’appliquer l’article 39 à propos de la majoration des rémunérations des enseignants. Première erreur politique. Ce n’est qu’après deux ans et demi, après le vote de la loi n°2018-007 du 16 janvier 2018, qu’IBK corrige l’erreur en accordant l’application de l’article 39 lors de sa dernière adresse à la nation en juin 2020. C’était trop tard, et perçu comme du dédain par une partie de la population et en particulier du corps enseignant.
Ensuite, au lieu d’écouter et d’entendre les demandes sociales, le tandem IBK-Cissé n’a cessé de varier de cap au gré des prescriptions des spécialistes. Certes, l’écoute des spécialistes est importante pour la prise de décision, mais elle ne doit pas aveugler l’exécutif sur l’importance du lien à garder avec la réalité quotidienne : crises scolaire, sanitaire ou sécuritaire. Deuxième erreur politique. Le fossé entre le peuple et l’exécutif se creuse. C’est aussi une des origines de la colère du M5-RFP. La colère des manifestations du M5-RFP sur la Place de l’Indépendance peut aussi être analysée comme celle du rejet de l’élite politique dans sa globalité. Elle est exacerbée par les tensions du quotidien : coupures d’électricité ou d’eau, criminalité sur les routes ou encore cette insécurité permanente contre laquelle on est devenu impuissant… Rien n’a été fait avant 2012 et, malheureusement, rien n’est fait aujourd’hui.
Enfin, la question du retour effectif de Kidal dans le giron malien n’a pas été clairement traitée par l’exécutif. Troisième erreur politique. La liste peut être longue. Or, la stabilité du Mali et du Sahel sont indissociables du retour de Kidal au sein de sa mère patrie (Amara : 2019). Au sujet de Kidal et du Centre, une rencontre avec l’ensemble des partenaires doit être tenue pour débattre de manière constructive et lucide sur les possibilités d’optimiser la politique sécuritaire, la place des populations locales, et surtout la réconciliation des communautés. Parce qu’un simple retour des autorités administratives maliennes dans ces régions ne suffit pas pour décanter la situation à cause de sa complexité et de ses racines profondes.
Nul doute que le contexte actuel de Coronavirus chatouille les mouvements sociaux, mais de plus en plus les Maliens refusent le manque de résultats concrets de l’exécutif contre l’insécurité ou la corruption, serpent de mer de la mal gouvernance. Depuis la proclamation des résultats définitifs fin avril 2020 par la Cour constitutionnelle, le Mali est complètement déchiré. Les fractures sont importantes entre ceux qui sont élus et ceux qui ne le sont pas, entre ceux qui gouvernement et ceux qui ne gouvernent pas, entre ceux qui sont protégés et ceux qui ne le sont pas, entre ceux qui sont inclus et ceux qui sont exclus.
Ce faisant, le Mali doit tout refonder pour retrouver la paix et la cohésion sociale, et peut-être jouer un rôle moteur dans la future Task Force Takuba du contreterrorisme dans le Sahel. Des réformes doivent être menées. A cause de leurs inégalités fondamentales et structurelles, les différents régimes et systèmes doivent être reformés, car jusque-là, ils n’ont su créer ni une autorité politique, ni une puissance étatique, ni fabriquer un citoyen malien libre et républicain. Par exemple, le régime constitutionnel, chancelant, cible des critiques actuelles, doit être réformé. Aussi bien le système électoral que le régime parlementaire, discrédités à tort ou à raison, doivent être refondés. Les systèmes éducatif, sanitaire et social doivent être innovés. Ces différentes réformes doivent s’inscrire dans une vision à long terme.
Reformer, c’est une responsabilité générationnelle devant l’histoire que chacun d’entre nous doit assumer. Reformer, c’est aussi innover pour agir par les moyens légaux et démocratiques sur les problèmes actuels, pas pour nous, mais pour les générations à venir. Un des défis majeurs de ces réformes, c’est de sortir du mensonge et de l’impuissance dont nous sommes les principaux auteurs au quotidien. Or, pour cheminer vers une liberté de conscience ou de cultes, il faudra pour commencer se libérer du poids social. Bien sûr dans le respect mutuel.
Mohamed Amara
(Sociologue)