Il va falloir se mettre au travail. Climat de tensions, remous sociaux, spectre d’une crise économique ou tensions sécuritaires sont quelques-uns des ingrédients explosifs du Mali. Pris dans un brouillard épais, Bah N’Daw doit avoir les coudées franches pour tenir, sans quoi la transition court le risque de se noyer dans les profondeurs poisseuses du fleuve Niger.
La centralisation du pouvoir à Bamako, un des facteurs de l’embourbement
Dénoncer la mauvaise gouvernance de ces dernières années ainsi que les failles du système politique ne nous dédouane pas de nos responsabilités dans les bouleversements que nous vivons. La concentration du pouvoir entre les mains de quelques-uns et sa centralisation à Bamako sont un des facteurs de cet embourbement. Même si dans les années 90 une réforme de décentralisation a été lancée, elle n’a pas permis de construire un modèle de gouvernance participatif et fiable où les Maliens se sentent reconnus et valorisés, où le sentiment d’un Etat honni par les populations fait place à celui d’Etat sécurisant et protecteur. Or, depuis 2012, pour ne remonter qu’à cette date, le pays sombre dans l’insécurité. Les populations sont humiliées au point qu’elles ne savent plus à quel saint se vouer.
Les politiques de l’éphémère
Une des raisons, nos politiques sont caractérisées par l’éphémère, c’est-à-dire ce qui ne dure pas. Elles sont à l’image de cet “insecte qui, à l’état adulte, ne vit que deux ou trois jours”. Or, on sait tous qu’une société sans politiques pérennes est une société où coexistent le fragile et le précaire. A quelques exceptions près, les premiers à être malades de l’éphémère, ce sont les exécutifs. Par exemple, le régime d’IBK a été fragilisé par la vague des contestations du M5-RFP, et achevé par le putsch du CNSP (18 août 2020). Une des causes de la chute du régime d’IBK, en plus du contentieux électoral des législatives de 2020, ce sont des politiques instables, non durables, faute d’une vision du Mali dans les 50 ans à venir. D’autres rétorqueraient que ce sera à cause de la tension sécuritaire. Je n’en pense pas moins. Par peur d’un conflit de loyauté envers son patron (IBK), Dr. Boubou Cissé, ancien et dernier Premier ministre d’IBK, n’a pu incarner une vision réformatrice du Mali. Une de ses erreurs a été de cumuler le poste de chef de gouvernement et celui de ministre de l’Economie et des Finances pendant plus d’un an. Dans un pays en guerre contre tout (corruption, terrorisme, violences, humiliations…), le cumul de ces postes stratégiques laisse croire que Dr. Boubou Cissé n’a pas compris le sens des priorités pour agir avec efficacité. La peur de mal faire et la propension à tout contrôler ont pris le pas sur la capacité de déléguer pour mieux agir. Par conséquent, les voyages à l’intérieur du pays pour rassurer les populations et engager une politique de restauration de l’autorité de l’Etat n’ont pas réussi à sauver son pouvoir. La non application de l’article 39 à propos de la majoration des rémunérations des enseignants, les massacres des populations civiles dans la région de Mopti, etc., participaient déjà au naufrage du pouvoir. Dr. Boubou Cissé n’a pas su parler aux Maliens. Mais certains avaient déjà compris et étaient déjà en train de sauter dans des canots de sauvetage. Ainsi va le Mali.
Avec qui s’allier et contre qui se battre ?
Il y a un véritable déficit de pratiques communes et de valeurs partagées d’une démocratie malienne, à cause de l’éphémère des politiques et des modes de gouvernance. Le Mali est comme dans une éternelle phase de construction-reconstruction de ses bases et de ses fondamentaux. Pour y faire face, un des enjeux du président de la Transition, Bah N’Daw, de son vice-président, Assimi Goïta, et son Premier ministre, Moctar Ouane, c’est de marquer l’Histoire en faisant un pas de côté.
Dans le long terme, le travail en commun sur les grands sujets et l’ordonnancement de leurs positions pour sortir du gouffre sécuritaire ne doit souffrir d’aucun immobilisme. Le débat sur la question du dialogue entre les Maliens mérite d’être tranché par l’exécutif. Si on est tous d’accord qu’engager le dialogue, c’est faire un “entretien, une discussion entre plusieurs groupes, en vue d’établir les bases d’un accord ou d’un compromis”. D’autant qu’il prend forme dans les conclusions du Dialogue national inclusif (DNI) : “Négocier avec tous les Maliens y compris Kouffa et Iyad”, extrait du rapport final du DNI, 2019. Il ne semble pas ridicule d’espérer que le moment est venu pour l’exécutif de prendre des décisions utiles, pertinentes et applicables sans faire l’impasse sur les questions : avec qui s’allier, et contre qui se battre ; quels sont nos amis, quels sont nos ennemis ? C’est la direction à tracer aujourd’hui pour sortir de ce bing bang sécuritaire.
Après tout, l’essentiel n’est-il pas le Mali ?
Ailleurs sur d’autres continents, certains Etats ont compris que le dialogue reste une arme redoutable pour défendre leurs intérêts. Depuis quelques jours, un nouvel axe entre Riyad et Jérusalem se dessine alors que la question palestinienne n’est pas réglée entre le royaume saoudien et l’Etat israélien. Benyamin Netanyahou, chef du gouvernement israélien, se serait rendu secrètement en Arabie Saoudite pour rencontrer Mohammed Ben Salmane, Prince héritier et homme fort du royaume Wahhabite, en présence de Mike Pompeo, Secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique. Loin d’une reconnaissance diplomatique des droits des Palestiniens, un des buts de cette rencontre à trois : nouer des alliances pour que la future administration démocrate ne revienne pas sur l’accord nucléaire de 2015, et garder le cap vis-à-vis de Téhéran, ennemi commun des Saoudiens et des Israéliens. Au même moment, le 23 novembre à Berlin, les diplomates européens (Allemands, Britanniques et Français) dialoguent sur la résurrection du dit accord nucléaire. Autant dire que la question du leadership et celle des jeux d’influence vont être déterminantes pour échafauder un nouvel ordre Mondial.
Certes, l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis et Israël ne sont pas comparables au Mali. Mais, le Mali peut tout de même s’inspirer de ce qui se passe au Moyen Orient, en Amérique ou en Europe pour que le dialogue national entre Maliens puisse se faire. Il y va de notre position de leadership dans le Sahel. Bah N’Daw, Assimi Goïta et Moctar Ouane ont donc un choix fou à faire, mais compréhensible. C’est un vrai voyage vers la paix par la réconciliation et le dialogue, vers l’égalité par l’équité, vers le sursaut national par la vision pour soigner le syndrome de l’éphémère. Reste à l’exécutif de trouver le point d’équilibre pour franchir les obstacles du ronronnement bamakois, et marcher vers le reste du Mali. Après tout, l’essentiel n’est-il pas le Mali ?
Mohamed AMARA
Sociologue