Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat,
Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement
Mesdames et messieurs les Membres du Gouvernement,
Madame et messieurs les Présidents des Institutions de la République,
Messieurs les Anciens Premiers Ministres
Messieurs les Représentants du Corps Diplomatique et des Organisations Internationales
Mesdames et messieurs,
Camarades et amis,
Aujourd’hui, dans la solennité et le recueillement, la Nation entière pleure un de ses meilleurs fils, l’accompagne dans sa derrière demeure : le camarade Amadou Seydou Traoré dit Amadou Djicoroni n’est plus.
Depuis l’annonce de la terrible nouvelle le dimanche 04 Septembre, des messages affluent de partout, de l’intérieur du Mali et de l’extérieur, et dont nous pouvons retenir en substance : «Militant intrépide de l’US RDA et des causes justes, grand baobab, icône, mémoire vivante, combattant émérite, panafricaniste convaincu, perte immense…» et j’en passe. Tel est, camarade Amadou, l’ultime hommage que tes camarades et amis de partout ont tenu à te rendre.
Avec toi, Amadou, voilà que s’éclaircit encore une fois le rang des Vétérans de la grande épopée de l’histoire récente de notre pays ; voilà que cette belle race d’hommes, objet de notre fierté et source de notre inspiration, disparaît petit à petit ; mais voilà aussi que dans cette phalange des combattants de la première heure de notre pays, tu as été un homme exceptionnel, un corbeau blanc.
Exceptionnel par ton riche parcours professionnel et administratif
En effet, le camarade Amadou Seydou Traoré est né le 13 Juillet 1929 à Niafunké, d’un père receveur des postes, diplômé de l’Ecole Fédérale de Gorée (Sénégal) et d’une mère ménagère. Le père est de la Grande Famille Bassikorola du 1er quartier (Ségou).
Après une initiation coranique, Amadou entra à l’Ecole en 1939. C’était l’Ecole Rurale de Bamako-Coura, celle là même que dirigeait un camarade de promotion et ami de son père, monsieur Mamadou Konaté, la seule école à la ronde de Djicoroni, d’où le surnom de Amadou Djicoroni donné par Monsieur Konaté lui-même. Après le CEP en 5 ans de scolarité, Amadou sera admis à l’Ecole primaire supérieure Terrasson de Fougères et en obtint le diplôme en 1947. La même année, il fut admis à l’Ecole normale de Katibougou au bénéfice de l’autorisation d’examens permettant pour la première fois dans l’histoire culturelle du Soudan Français l’attribution de diplômes universitaires (BE-BAC) à des nègres indigènes.
Amadou Seydou Traoré obtient le Brevet Elémentaire dès la fin de sa première année et passa en classe de seconde qu’il termina en 1949. Un malheureux accident de circulation où succomba son père l’obligea à interrompre ses études pour subvenir aux besoins de sa famille. Il embrassa alors le métier d’enseignant. Il se lança à la fois dans la production ainsi que dans la lutte politique et syndicale tout en s’attachant à la préparation du baccalauréat qu’il décrocha malgré sa mutation dans un village enclavé du cercle de Bougouni, sans aucune possibilité de recevoir des cours par correspondance.
Nommé Directeur d’école à 19 ans à Garalo, Amadou fut successivement muté à l’Ecole de la Poudrière, de Médina-Coura, de Djoliba et à l’Inspection d’Académie. Partout où il passa, il s’attela avec succès à son travail d’enseignant tout en implantant et consolidant les structures du parti, au prix de multiples brimades et tracasseries administratives. On mesure la surcharge du travail que tout cela constituait si l’on tient compte du fait qu’à l’époque le directeur d’école était à la fois l’infirmier secouriste des élèves et de la population, et en même temps l’agent qui détenait les registres et délivrait les pièces d’état civil aux populations.
Pendant la bataille du Référendum gaulliste de 1958, le camarade Amadou Seydou Traoré prit position pour le NON et fonda avec ceux qui partageaient ses idées, la Section Soudanaise du Parti africain de l’indépendance (P.A.I) dont il devint rapidement le 1er secrétaire. Amadou Seydou Traoré est alors suspendu de ses fonctions, puis purement et simplement révoqué de la Fonction Publique.
C’est dans cette situation qu’il se lança dans le métier de libraire en créant la «LIBRAIRIE DE L’ETOILE NOIRE» qui, en très peu de temps, devint le centre principal de diffusion des livres et de la presse progressiste du monde entier.
Exceptionnel, tu l’as été aussi à travers ta carrière politique, syndicale et associative
Membre actif de plusieurs organisations démocratiques et de la vie associative de gauche (Mouvement de la Paix, Solidarité afro asiatique, et plus tard AMDH), formateur à l’école des cadres syndicaux et à l’école du Parti, Amadou Seydou Traoré fut sollicité dès notre accession à l’indépendance par le Bureau Exécutif de la Jeunesse de l’US RDA, pour gérer une petite bibliothèque de quelques centaines de volumes de la Permanence du Parti et qui se trouvait au Soudan Club (actuel Carrefour des Jeunes).
Amadou Seydou Traoré accepta, mais ne se contenta pas de cela. Faisant preuve d’esprit d’entreprenariat et grâce à ses fonds propres et au concours de ses partenaires de l’extérieur, il créa la LIBRAIRIE POPULAIRE DU MALI, Société d’Etat constituée sans apport de l’Etat malien qu’il dirigea jusqu’au coup d’Etat du 19 Novembre 1968 où il fut, avec d’autres vaillants compagnons de lutte du président Modibo Keïta, l’objet de 10 ans de détention arbitraire et sans jugement, dans des conditions infrahumaines.
A sa libération en 1978, il servit successivement à l’Inspection de l’Enseignement Fondamental de Nioro du Sahel, à l’IPEG de Sikasso comme Directeur et enfin à l’IPN où il fut admis à la retraite par anticipation et à sa demande.
C’est alors qu’il a fondé avec l’appui du groupe Hatier International une librairie dénommée «LIBRAIRIE TRAORE». Il s’allia alors avec la MUTEC et des opérateurs économiques pour acquérir les actifs de l’ancienne LIBRAIRIE POPULAIRE DU MALI mis en liquidation par l’Etat. Ce fut la LIBRAIRE NOUVELLE SA.
Exceptionnel, tu l’auras été encore par ton détachement du luxe et du lustre
Cette maison héritée de ton père Seydou Traoré, reconstruite en banco après la grande inondation de 1950, est restée en l’état, malgré les hautes responsabilités que tu as eu à assumer et les multiples opportunités qui se sont offertes à toi. Lors de ton arrestation au coup d’Etat de 1968, tu laissas au Mali, 3 sociétés prospères (LIBRAIRIE POPULAIRE, EDIM et OCINAM) avec une situation de trésorerie des plus favorables : 2.640.000.000 FM en espèce dans les différents comptes, des stocks de marchandises valant plusieurs millions FM, des créances à recouvrer qui s’élevaient à plus d’un milliard et… 6.000 FM dans ton propre compte BMCD, 400 FM dans ta poche pour un salaire mensuel de 47.500 FM. Tel fut Amadou, tel est resté Amadou ! Quel bel exemple pour les cadres de notre pays et la postérité, bel exemple enseigné par le Président Modibo KEITA lui-même.
Exceptionnel enfin par ta fidélité à toute épreuve à l’idéal, à l’amitié, à la camaraderie de combat, au point d’en faire un véritable culte
J’en veux pour preuve l’ouvrage monumental, l’encyclopédie historique que tu as éditée à l’occasion du centenaire du Président Modibo Keïta. A cette occasion, j’écrivais dans la postface du livre : «La première édition de «Modibo Keïta : discours et interventions» avait dans son avant-propos, «émis le vœu que vienne le jour où il sera possible d’avoir un autre recueil, complet celui-là, qui contiendra tous les discours et interventions du Secrétaire Général de l’Union Soudanaise-RDA, depuis 1946». C’était en 1965.
Cinquante années après, ce vœu est exaucé, en grande partie, à l’occasion du centenaire, le 4 juin 2015, de la naissance du grand homme, premier Secrétaire Général de l’Union Soudanaise-RDA, Père Fondateur de la République du Mali. Pour avoir été acteur de premier plan ou témoin privilégié de l’histoire politique de notre pays et surtout de la grande épopée du Parti ; pour avoir été présent partout et toujours, dans le meilleur comme dans le pire, présent de Koulouba, notre «Capitole», à Kidal, «la Roche Tarpéienne», l’enfer de la junte de triste mémoire avec l’horreur et la terreur au quotidien ; pour avoir la chance de jouir encore de la quasi plénitude de toutes ses facultés à un âge déjà avancé, qui mieux que le camarade Amadou Seydou Traoré, homme de conviction et d’action, vétéran à l’historiographie si riche, si variée, mémoire vivante de notre Parti, pouvait être choisi par le Destin pour parachever la première publication, son œuvre de jeune cadre à la tête de la Librairie Populaire, un des fleurons de nos Sociétés et Entreprises d’Etat d’alors ?
Au soir donc de sa vie, fidèle parmi des fidèles au président Modibo Keïta dont il est l’héritier politique authentique, Amadou Seydou Traoré s’est acquitté de la plus belle manière, mais dans les conditions très difficiles, de cet ultime devoir militant. Ce fut la dernière et la plus grande de ses réalisations, après tant de publications poignantes sur la vie du Parti, de son guide, de ses cadres, de ses responsables et militants, souvent anonymes, écrits sans lesquels un grand pan de notre histoire allait être travesti ou enfoui à jamais sous les dunes de sable du Grand Nord Malien, tant les abominations sont surréalistes.»
Je m’en arrête là, Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, pour ne pas trop abuser de votre temps. Mais avant de terminer, comment ne pas vous remercier, du fond du cœur et au nom de tous, familles RDA, parents et amis, auparavant pour la célébration du centenaire du président Modibo Keïta et tous les honneurs qui lui ont été rendus ainsi qu’à sa digne épouse Tantie Mariam Travelé, maintenant pour votre assistance et votre soutien multiforme au doyen Amadou Traoré, depuis Paris jusqu’à la présente cérémonie de décoration que le défunt n’a jamais souhaitée et qui n’a jamais été sa préoccupation. D’ailleurs, durant toute son existence, qu’est ce que Amadou a demandé pour lui-même ? Rien, imitant en cela encore une fois le président Modibo Keïta.
Nos remerciements vont aussi à toutes les personnalités ici présentes pour lui rendre un dernier hommage, à toute l’équipe médicale qui l’a assisté, à toutes les bonnes volontés qui lui ont manifesté sympathie et solidarité.
A ce niveau permettez-moi de faire une confidence : Le Jeudi 1er Septembre 2016, comme mû par une sorte de prémonition, je me suis tiré de mon lit de malade pour aller voir mon malade au CHU de l’Hôpital du Point G. Bien accueilli par le professeur Diall de l’Unité de Soins Intensifs de la Cardiologie, fils de notre camarade l’honorable Amadou Gouro Diall, élu à Diafarabé lors de la législature de 1992 et conduit au chevet du malade par le médecin traitant lui-même qui lui dit : «Papa je t’amène ton ami». Subitement lucide alors qu’il était assez mal portant la veille, il marmonna : «Non, mon fils, Madou n’est pas ami, il est mon plus que frère, mon camarade. Madou après ma mort, je te confie la mission d’achever l’œuvre que j’avais entamée à la mémoire de notre camarade… Les éléments sont dans telle chemise, de telle couleur, à tel endroit.» Je fondis en larmes et répondis : «Grand frère plaise à Allah de te faire retourner parmi nous, en meilleure santé pour achever ensemble ce travail».
Je prends à témoin la Nation entière que j’accepte, dans la limite de mes modestes moyens, cet ultime devoir assigné à moi par mon frère, mon ami, mon camarade, le Secrétaire à la Communication, puis Secrétaire Politique des Bureaux Politiques de l’US RDA que le destin m’a confiés en 1996 et 2000, en plaçant le fils du cultivateur et de la ménagère dans le prestigieux fauteuil de secrétaire général de l’US RDA, fauteuil plus cher au président Modibo Keïta que son fauteuil présidentiel de Koulouba, lui qui disait partout et toujours «le Parti et le Gouvernement».
L’immense héritage de Amadou Seydou Traoré, patrimoine commun, doit être valorisé au service du Mali. Sa conviction contagieuse doit nous amener tous, pour le salut de notre patrie, à transformer notre douleur en force, à nous donner la main autour de l’essentiel, le Mali, hier digne, fier et respecté dans le concert des Nations, à rebondir aujourd’hui ensemble, pour tracer les sillons féconds de l’avenir radieux d’un Mali d’espoir et d’espérance, un Mali en paix, réconcilié avec lui-même, un Mali prospère du fruit du labeur de ses enfants, tous debout sur les remparts, pour faire face aux ennemis de l’intérieur comme de l’extérieur, un Mali un et indivisible, autour de notre devise : UN PEUPLE, UN BUT, UNE FOI.
Le Mali est en crise, en crise profonde et multiforme, menaçant notre existence même. Nous devons agir. «Honte à celui qui peut chanter pendant que Rome brûle, s’il n’a la lyre, l’âme et le cœur de Néron», disait Lamartine.
Dors en paix, Amadou Seydou Traoré, l’ami de toutes les générations, de toutes les couches socio professionnelles de notre pays, de tous les patriotes.
Que la Terre du Mali que tu as tant aimée et servie de façon exemplaire te soit légère ! Amen !
Bamako, le 06 Septembre 2016
Mamadou Bamou TOURE, Ancien Secrétaire Général de l’US-RDA, Ancien Ministre, Officier de l’Ordre National
A LA MEMOIRE DE NOTRE TRÈS HAUT CAMARADE
Amadou Seydou Traoré dit Amadou Djicoroni, Afel Aissa, Abba, Amadou Garalo, Amadou RDA, Amadou P.A.I, Tichawchaw, Amadou Amagar, etc.
Chers camarades jeunes, Chers parents et amis ;
Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs en vos rangs, grades et qualités.
Il est pénible, vraiment pénible de devoir accepter la séparation d’avec un camarade de lutte qui a acquis des décennies d’expérience et qui a eu un parcours glorieux sur cette terre malienne, au service de la liberté, de la vérité, oui, de la vérité historique, de la justice, de la dignité, de l’unité et de la souveraineté nationale, de l’Unité africaine, de l’amitié entre les peuples du monde et de la Paix, tout en restant, avant tout, fidèle aux idéaux de l’US-RDA et de son Président Mamadou Konaté, qui fut pour lui un père et un maitre.
Oui, il est pénible de voir partir un camarade constant, solide et rempli d’une saine conviction inébranlable, résolu à tout mettre, avec amour, à la disposition de la jeunesse et des organisations patriotiques afin qu’elles puissent agir logiquement et librement pour le bonheur des peuples.
Voilà, qu’en ce dimanche 04 septembre 2016, à onze heures trente, tu t’en es allé, camarade Amadou Djicoroni, nous laissant orphelins après plusieurs années de camaraderie et d’amitié sincère, orphelins de tes conseils judicieux, de tes encouragements patriotiques, orphelins de ta présence si enrichissante, de ton amour pour l’humanité.
Nous sommes inconsolables !
Amadou Seydou Traoré enseignant, libraire et éditeur ; secrétaire général du Syndicat national de l’Imprimerie, de la presse et de l’Industrie du livre ; vice-président du Mouvement Soudanais de la Paix ; vice-président du Comité de solidarité Afro-asiatique ; directeur de trois sociétés d’État dans le domaine culturel sous la première République (1960-1968) ; vice-président de la Commission de Presse et de propagande de l’US-RDA (1966-1968); Secrétaire à la presse puis Secrétaire politique de l’US-RDA (années 1990).
Amadou Seydou Traoré est né en 1929 à Soboundo (Niafounké), dans la région de Tombouctou, dont sa mère Aïssa Sankaré est originaire. «Femme au foyer», celle-ci a reçu une éducation conservatrice très stricte sur les questions morales. C’est elle qui l’envoie à l’école coranique avant qu’il fréquente l’école française. Seydou Traoré, le père d’Amadou, est quant à lui originaire de Ségou. Orphelin de père et de mère, il fut parmi les premières générations d’enfants recrutées de force dans les écoles coloniales. Il sort diplômé de l’École Normale de Gorée (Sénégal) en 1917 comme Receveur des Postes et Télécommunications. A ce titre, il a installé tout le réseau postal et les lignes téléphoniques du cercle de l’Issa Ber (Niafounké).
Sur les bancs de l’école, son père se lie d’amitié avec Mamadou Konaté avec lequel il fonde, en 1945, le Bloc démocratique soudanais (BDS) de tendance socialiste. Il participe également à la création de la Section Soudanaise du Rassemblement démocratique africain (US-RDA) en 1946.
En 1939, le père Traoré confie la scolarisation de son fils à son ami Mamadou Konaté, alors directeur de l’école rurale de Bamako-Coura. Le jeune Amadou, surnommé «Amadou Djikoroni» par son instituteur en référence à son quartier d’habitation à Bamako, baigne dans un environnement très politisé. Son père est l’un des rares lettrés qui reçoit régulièrement la presse, et le foyer paternel est ainsi un lieu où se rencontrent de nombreux militants politiques et syndicaux.
À l’école, son instituteur et «père» Mamadou Konaté participe à la formation de sa conscience politique en lui demandant de rendre compte, chaque samedi, des évènements de la guerre à ses camarades. De plus, il le commissionne à la sortie des classes pour convoyer sa correspondance militante. Après ses études primaires, Amadou intègre l’école secondaire Terrasson de Fougères (actuel lycée Askia) puis l’École Normale Frédéric Assomption de Katibougou.
Il obtient son Brevet élémentaire en 1947 et s’engage dans le tout nouveau cycle d’études qui s’ouvre pour les jeunes Africains des colonies françaises : la préparation du baccalauréat, qui leur était jusque-là interdit.
Malheureusement, son père meurt dans un accident de circulation. En tant que fils aîné, il se retrouve en charge de sa famille et se voit obligé d’arrêter ses études pour devenir instituteur.
Militant à l’US-RDA, Amadou Seydou Traoré lutte contre l’armement nucléaire, diffuse la pétition «Appel de Stockholm» du 19 mars 1950 et collecte des signatures qu’il envoie aux initiateurs. Sa prise de position entraîne sa non-titularisation et sa mutation hors de Bamako, à la tête de l’école du village de Garalo (cercle de Bougouni). Il est alors un jeune «directeur stagiaire» âgé de 21 ans.
Affecté en 1954 à l’école de Djoliba, il réintègre Bamako en 1956 dans l’école de son enfance, toujours dirigée par Mamadou Konaté, l’année où ce dernier meurt.
De 1956 à 1958, Amadou Seydou Traoré est muté à l’Inspection académique du Soudan. Il en profite pour passer son bac philosophie en candidat libre et devient l’un des rares bacheliers du territoire en 1957, l’année suivante, alors que l’US-RDA dirige le gouvernement du Territoire autonome du Soudan français et appelle à voter «Oui» au Référendum proposé par De Gaulle pour l’intégration des territoires colonisés dans la «Communauté franco-africaine», Amadou Seydou Traoré s’inscrit en faux par rapport à la ligne du parti. Avec d’autres camarades, il fait campagne pour le «Non» et plaide en faveur de l’indépendance immédiate. Ses prises de position vaudront à Amadou d’être suspendu puis radié de la fonction publique.
Il décide alors avec ses amis de créer une Section soudanaise du Parti africain de l’indépendance (PAI), dont il devient premier secrétaire, et fonde une librairie, L’Étoile Noire. Clandestinement, Amadou se rend à la Conférence panafricaine des peuples à Accra en décembre 1958, où il rencontre des figures comme Kwamé Nkrumah, Patrice Lumumba, Frantz Fanon, Ernest Wandjé, etc.
En mars 1959, Modibo Keïta propose au PAI une rencontre pour fusionner toutes les «forces patriotiques». Après consultation des sections locales du PAI, Amadou Seydou Traoré et ses camarades donnent leur accord pour se fondre dans l’US-RDA, à condition que la perspective soit d’amener le Soudan à l’indépendance et au socialisme.
En 1961, un an après l’accession du Mali à l’indépendance, Amadou Seydou Traoré propose à Modibo Keïtata de léguer au pays sa librairie «L’Etoile Noire» et une enveloppe de 52 millions de Francs CFA.
Sa librairie est alors transformée en entreprise d’État et Amadou Seydou Traoré, réintégré dans la fonction publique, devient directeur de trois sociétés d’État : la Librairie populaire, les Éditions Imprimeries du Mali (EDIM) et l’Office cinématographique national du Mali (OCINAM).
Avec la réforme de l’Enseignement de 1962, il a pour mission d’approvisionner les écoles du territoire en matériel pédagogique, sportif et culturel et l’Administration malienne en matériel et fournitures de bureau. Il se charge également de monter 42 librairies populaires dans les différentes régions du Mali. La Librairie Populaire et l’OCINAM soutiennent les activités d’alphabétisation des adultes, la politique de développement agricole et de défense de l’environnement. Travaux agricoles, équipement des écoles, alphabétisation et séances de cinéma vont alors de pair pour toucher hommes et femmes paysannes, à travers tout le pays.
En 1963, à l’issue du Congrès constitutif du Syndicat national de l’imprimerie, de la presse et de l’industrie du livre, Amadou Traoré en est élu secrétaire général.
En 1966, il est nommé vice-président de la Commission de presse et de propagande du Bureau politique national de l’US-RDA. Durant toute cette période, il est également l’un des principaux animateurs des écoles du Parti où il a en charge la formation idéologique des cadres civils et militaires.
Mais l’aventure socialiste s’arrête brutalement lorsque, le 19 novembre 1968, un coup d’État militaire renverse le régime de l’USRDA. Le président Modibo Keïta est arrêté avec plusieurs responsables de la 1ère République, dont Amadou Traoré. Sans jugement, ils sont déportés au bagne de Kidal où Amadou Traoré et ses camarades subissent pendant dix (10) ans de brimades, mauvais traitements et tortures. Il appartient au dernier contingent de prisonniers politiques libérés en 1978.
A sa libération, il est invité en Guinée pour se faire soigner. A l’issue de son séjour, Sékou Touré lui propose de s’y exiler mais Amadou Traoré refuse et rentre au Mali car c’est dans son pays qu’il veut lutter. Il est nommé conseiller pédagogique à l’Inspection de l’enseignement fondamental à Nioro du Sahel, ville où «on n’entend pas siffler le train». Le régime militaire espère ainsi le couper de tous réseaux politiques et syndicaux en l’envoyant loin de la capitale et du trafic ferroviaire.
L’ironie est que Nioro est desservie par avions dont l’un appartient à l’Office de développement intégré du Kaarta (ODIK) où l’épouse d’Amadou est secrétaire de Direction. Il utilise donc ce moyen de transport pour envoyer et recevoir clandestinement le matériel militant à Bamako et ailleurs. Il milite au Syndicat national des enseignants et de la culture (SNEC) et participe à réactiver des cellules clandestines de l’US-RDA dans les différentes localités où il est muté : Baguinéda, Sikasso.
En 1984, il devient chef d’une section de l’Institut pédagogique à Bamako et prend sa retraite anticipée en 1986, pour ne pas être mêlé aux activités du parti unique l’Union démocratique du peuple malien (UDPM). Avec l’aide de camarades, d’organisations syndicales comme le SNEC, et grâce aux soutiens des employés de la Librairie Populaire, il parvient à récupérer l’entreprise en 1988 lorsque le régime décide de la privatiser. Il la transforme en société anonyme qui comprend également la coopérative culturelle Jamana, créée par des militants comme Alpha Oumar Konaré. Durant cette période, où la lutte contre le régime de Moussa Traoré s’intensifie, Amadou Traoré participe avec les militants de l’USRDA, du Parti malien du travail (PMT) et du Parti malien pour la révolution et la démocratie (PMRD) – toutes trois organisations clandestines – à la création d’une Association légale de lutte politique. Celle-ci voit le jour le 24 octobre 1990 sous le nom Alliance pour la démocratie au Mali (ADEMA). Quelques mois plus tard, une révolution éclate. Après de longs mois d’affrontements faisant des centaines de morts et de blessés, une frange de l’armée renverse le régime de Moussa Traoré le 26 mars 1991.
Ensuite, il créait une librairie indépendante : la «Librairie Traoré» et les Éditions «La Ruche à livres» qui jouxtent sa maison dans le quartier de Ouolofobougou-Bolibana. Il poursuit son œuvre d’éducateur militant en publiant de nombreux ouvrages, souvent rédigés de sa plume, sur l’histoire de la première République et les problèmes politiques du Mali contemporain. Il animait des conférences-débats et des émissions sur les antennes de radios privées. Il a également créé un Centre de documentation pour archiver les documents relatifs à la lutte anticoloniale et au régime de l’US-RDA. Ce centre comporte également une bibliothèque. Nombre de jeunes militants viennent se documenter auprès de lui. Parallèlement à ses activités de libraire, Amadou Traoré continue à militer à l’US-RDA dont il devient successivement secrétaire à la Presse et secrétaire politique. Mais ne se reconnaissant plus dans ce parti tiraillé par les crises et dissensions internes, il en quitte finalement la direction en août 2002. Sa maison était également fréquentée par les militants de l’Association «Repères» dont Amadou était président, les jeunes de l’association Faso Kanu («l’amour de la patrie») et du Collectif Mali Té Tila («Mali un et indivisible») créé en juillet 2014 pour dénoncer les accords d’Alger et défendre l’intégrité territoriale du Mali.
Et voilà que notre très haut camarade Amadou Djicoroni meurt modestement, dans la dignité, dans la concession de son père.
Amadou Seydou Traoré est l’un des libérateurs du Mali. Son sort, tout comme celui de la plupart de ses compagnons de lutte, fut des brimades, des incarcérations, des humiliations et des tortures difficilement imaginables, infligées par des officiers félons qui, sous la direction d’un soit disant général devenu grand républicain pour certains, avaient fait irruption sur la scène politique malienne, en novembre 1968.
Amadou Djicoroni nous a toujours dit que “le vrai salaire des libérateurs ne se mesure ni en numéraire ni en nature. Les actes patriotiques ne sont pas des marchandises. Ils ne se vendent pas, ils ne s’achètent pas, ils ne sont pas piratables. Ils appartiennent en propre à ceux qui les ont posés et se paient uniquement en valeurs impérissables.”
Ainsi Amadou Seydou Traoré dit Amadou Djicoroni, nous a-t-il dit à plusieurs reprises qu’en aucun cas il ne fallait qu’on accepte qu’il soit décoré à titre posthume, puisque, vivant, il ne l’avait jamais accepté. Et aussi, il nous a confié la mission d’informer qui de droit qu’il ne souhaite aucune cérémonie de clairon. Personnellement, je l’ai fait avec insistance.
Aussi vous prions-nous, Monsieur le Président de la République de bien vouloir accepter de respecter cette volonté de votre père, de votre tonton, de votre doyen Amadou Djicoroni, dont nous vous serions infiniment reconnaissants. Respecter sa volonté serait lui rendre un service sans limite.
Un merci reconnaissant à tous ceux qui se sont investis, ici et ailleurs pour accompagner notre très Haut Camarade à la fin de sa vie.
Merci à tous ces hommes et femmes ici présents, et surtout aux jeunes qui, sur plusieurs canaux de communication rendent un hommage mérité à ce doyen infatigable et imperturbable dans son effort pour un monde meilleur.
Le camarade Amadou Djicoroni est mort dans la déception de voir que le grand Mali, dont il a contribué solidement à faire un pays d’hommes et de femmes libres et dignes, soit en chute libre aboutissant :
1. à la partition et à la perte de l’indépendance du Mali et de sa souveraineté ;
2. au démantèlement de l’Etat malien et à la déstabilisation de la sous-région ;
3. aux désordres institutionnels ;
4. à l’ethnitisation, à la dislocation et à la liquidation de l’armée nationale du Mali;
5. à une guerre civile intercommunautaire ;
6. à la discrimination, au favoritisme et à l’impunité.
Face à cette situation déshonorante, il attendait avec impatience le respect rigoureux de l’intégrité territoriale du Mali acquise le 22 septembre 1960 sous la direction éclairée et vigilante du président Modibo Keïta, du drapeau malien sur toute l’étendue du territoire national et de la devise du Mali, ainsi que l’exercice de notre souveraineté partout au Mali, et le respect de l’honneur et de la dignité du Mali, qui ne sont pas à négocier.
Nous, de l’Association REPÈRES, l’Organisation Faso Kanu et du Collectif Mali TÉ TILA, témoignons que notre CAMARADE Amadou Djicoroni laisse le souvenir d’un homme engagé, honnête, digne, confiant, discret, modeste, humble, intelligent, disponible pour tout travail pour le Mali et pour le reste de l’humanité.
Il était très attentif, solidaire, véritablement solidaire; il était profondément généreux. Il avait une capacité d’écoute extraordinaire.
Il éprouvait beaucoup d’amour pour les opprimés, sa vie était vouée à leur service, sans contre partie. Il était toujours indigné face à leur souffrance, où qu’ils soient.
Le CAMARADE Amadou Djicoroni accueillait avec respect et considération tous ceux qui aspirent à un changement réel. Il n’a cessé de chercher la voie qui mènerait avec certitude à ce changement tant attendu au Mali.
Camarade Amadou Djicoroni, nous saluons ton immense travail qui servira notre patrie, aujourd’hui et demain. Tes livres seront de véritables guides pour l’action.
Ta disparition est une perte énorme pour tous tes compagnons de lutte, singulièrement les jeunes. Ta leçon sera utile. Nous continuerons à nous en inspirer !
Merci d’avoir réussi à préparer solidement des patriotes qui, en toute confiance, feront le Mali.
Dignement et pleinement, tu as admirablement rempli ton contrat envers ta famille, tes nombreux amis, tes compagnons de lutte de l’US RDA, tes codétenus politiques, notre génération et le Peuple Malien. Dors en Paix, camarade mon alter ego, la lutte, nous saurons la mener comme convenu.
Ta mort est une perte immense pour le Mali et pour l’Afrique.
C’est vraiment triste de te perdre physiquement Amadou, mon “type” comme on aimait s’appeler toi et moi, à un moment où le Mali est dans une situation désastreuse.
Camarade Amadou Djicoroni, tu as mérité de la patrie, en vérité le digne descendant de Tiramakan et de Bassi, tu mérites la gloire, le Mali, l’Afrique et le monde t’en sont reconnaissants.
Nous continuerons l’effort, nous porterons haut le flambeau avec horoya dans le cœur.
Que la terre te soit légère ! Amen !
Bamako, le 06 septembre 2016
Ibrahima KEBE