Débat:La violence du silence 

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Il y a des choses qui se passent sous le règne du deuxième président de la troisième République qui méritent commentaires. Elles témoignent tout le caractère bananier de cette République désemparée que personne n’ose dénoncer par crainte de s’attirer les foudres d’une opinion publique prête à défendre avec émotion des positions compte tenu du formatage et de la désinformation orchestrés par une presse qui dans sa majorité est à la solde de la classe politique dirigeante.

En employant le mot personne, je me réfère à la classe politique, aux leaders d’opinion, aux personnalités religieuses ou spirituelles et même aux voyous dits populaires qui font la pluie et le beau temps dans ce pays. Mais, dans ces « personnes » il y a aussi et surtout la jeunesse malmenée et muselée car contrainte à la dépendance et à l’attente de son temps qui n’arrivera peut-être jamais dans de telles situations d’abnégation suspectes et aveuglées.

Prenons donc le droit de commenter: Une opinion publique apeurée par une justice mécanique qui s’apparente à celle de l’époque de la dictature militaire où seuls les plus faibles sont jugés selon la loi et les autres prévenus sont jugés selon le bon vouloir des courtisans ou des barons de la République, appelons- les comme vous voulez.

Quelle démocratie ? Cela me fait penser à l’ancien président français Jacques Chirac, qui au moment du discours de la Baule de son prédécesseur François Mitterrand, clamait en substance que l’Afrique n’était pas prête pour la démocratie. Certes, ce n’était pas à lui de tenir de tels propos en tant qu’impérialiste, néocolonialiste qui ne défend que les intérêts de « Babylone », mais une mauvaise démocratie même avec son élargissement de la corruption étatique ne vaut-elle pas mieux que la dictature. Il est quand même sage de reconnaître qu’une démocratie ne peut s’épanouir que lorsque la presse et la justice sont libres. Aujourd’hui au Mali, les plaidoiries d’un avocat de la défense ne servent presque à rien dans un tribunal. Les juges se permettent de dire clairement à un avocat « i tilen i ka kuma djèlen fo » ce qui signifie littéralement tu vas finir à parler un langage clair et ce langage clair est synonyme d’argent, ce qui fait que tous les avocats se sont transformés en avocat d’affaires. Tout cela au vu et au su d’une presse censurée par son manque de moyen malgré les multiples investigations. Cela nous amène à comprendre l’expression de notre président Touré, lorsqu’il disait lors du sommet France- Afrique tenu en décembre 2005 à Bamako « Jacques, tu es vrai ». Pour confirmer que Jacques avait raison, c’est le régime du président Touré qui enferme un journaliste et des directeurs de publication pour avoir publié la « Maîtresse du président ».

Tout récemment, ce même président instruit son gouvernement pour défendre le nouveau code de la famille devant une Assemblée nationale constituée dans sa majorité écrasante d’élus acquis à sa cause. Le projet défendu par le ministre de la Justice passe. Par la suite, des manifestations se multiplient avec des meetings géants et le président retire le code sans pourtant démettre le gouvernement pour son manque de clairvoyance et de lucidité, encore moins de dissoudre l’Assemblée nationale qui n’a point reflétée la défense de l’opinion des Maliens dans leurs préoccupations justes du moment.
Dans notre pays, la presse et la justice subissent en permanence le lobbying des plus puissants c’est-à-dire le pouvoir exécutif accompagné, séduit par des hommes d’affaires véreux, des escrocs et des courtisans du même acabit.
Des problèmes d’hier et ceux de l’heure
Il y a quelques semaines de cela, une catastrophe se produisait au stade omnisport Modibo Keita de Bamako, des dizaines de personnes ont perdu la vie. Dans des circonstances aussi tragiques, on peut attendre de la justice qu’elle fasse son travail et du gouvernement qu’il joue son rôle régalien d’un Etat en se montrant en superstructure protectrice. Comme sanction provisoire j’espère, mais peut-être définitive, c’est une simple mise à pied du directeur général qui ne suffit pas de fusible pour la mort d’une cinquantaine de personnes. Ne serait-ce pas une raison valable pour organiser des marches de protestation ? Mais personne n’ose s’indigner.

Continuons dans cette droite ligne de la banalisation de la mort quelquefois tragique des citoyens maliens. A titre d’exemple, l’ambassade du Mali en Côte d’Ivoire ne connaît pas le nombre exact de nos compatriotes assassinés depuis 2000 jusqu’à nos jours. Ne parlons pas de la Libye où il y a plus d’une décennie que nos compatriotes meurent dans les prisons comme des chiens ! Ce qui est vraiment écœurant : le gouvernement ainsi que l’opinion publique sont informés mais il n’y a aucune manifestation pour interpeller le gouvernement malien, pas de marche de protestation à l’ambassade de la Libye encore moins à celle de la RCI à Bamako.

De même qu’en Guinée Equatoriale et en France, pays des droits de l’homme, nos compatriotes perdent la vie sous les coups de la police comme s’ils n’étaient des êtres humains. Nos autorités qui cachent la vraie information n’osent pas nous dire que notre diplomatie est une diplomatie du ventre qui cherche simplement « de quoi manger », au lieu de défendre les expatriés comme une priorité et encore moins faire entendre la voix du Mali comme c’était le cas dans le passé.

Mais la plus grande raison d’indignation concerne certains de nos intellectuels et de nos leaders qui pendant ce mois de mars 2011, 20ème anniversaire de la Révolution contre notre dictateur, qui n’avait que 23 ans de pouvoir et une centaine de personnes tuées à son actif, appellent à marcher pour un autre dictateur qui après 40 ans de pouvoir a déjà plus de 8000 morts à son compte.
On accuse l’opposition libyenne d’être armée ! Au tout début, ils étaient mains nues comme nous l’étions en mars 1991 tout comme les Egyptiens et les Tunisiens il y a quelques semaines. Ceux qui parlent d’ingérence et qui se disent acteurs du 26 Mars 1991, ne se rendent-ils pas compte qu’ils disculpent le général Moussa Traoré qui a toujours clamé que ce sont les socialistes français qui l’ont fait partir en tuant des gens et en faisant croire que c’était l’armée malienne. N’oublions pas que ce dictateur a été gracié au nom d’une cohésion sociale qui n’a jamais existé que dans le mensonge. Le cas de la RCI n’est-il pas aussi une forme d’ingérence de la part de la communauté internationale ? Pourquoi ne pas manifester pour dénoncer cela ? Est-ce parce que le dictateur libyen finance à lui seul le budget de l’Union africaine à hauteur de 15%, que les salaires de certains pays subsahariens comme le nôtre ont dépendu et continuent de dépendre de l’aide de la Libye.

Quand à l’intellectuelle Madame Konaré Adam Ba, on l’a salué et admiré pour son courage de ne jamais se mêler ouvertement à des affaires de l’Etat pendant les deux mandats de son mari comme ce fut le cas des « Trabelsi du Mali » d’avant 1992 et d’après 2002 à nos jours. On comprend aussi que dans le monde beaucoup de couples présidentiels deviennent plus riches après leur mandat grâce aux financements des fondations. On a vu cela avec la fondation des Clinton, celle des Chirac et peut-être que votre fondation c’est-à-dire la fondation Partage reconnaît les biens faits des largesses du régime libyen pour le bonheur des plus démunis au Mali : réjouissons nous !

Mais de grâce, Madame, épargnez-nous vos leçons de morale qui incitent notre opinion publique à se mêler aux combats des prédateurs. Kadhafi est devenu vulnérable le jour où il a commencé à traiter avec l’Occident. Sinon entre la décennie 1984-1994 où il se trouvait au banc des nations pour des accusations de terrorisme, il incarnait un guide populaire et l’unité nationale en Libye. C’est lui-même qui a renoué avec un Occident, berceau de la corruption en concluant des marchés pour renflouer ses caisses qui s’affaiblissaient avec le temps. Et c’est identique pour tous les autres dictateurs de Saddam à Kadhafi : ces prédateurs du monde qui sont l’Europe et les Etats-Unis profitent des erreurs des grands dictateurs pour redorer leur blason au près des peuples qui ne les ont jamais aimés compte tenu du rôle historique et récent qu’ils jouent dans l’appauvrissement, le pillage des ressources et même l’avènement au pouvoir de certains de ces dictateurs.

Concluons par un dernier silence qui pèse lourd dans l’équilibre national : l’accès au savoir de toute la jeunesse. Notre gouvernement à force de formater des pseudos intellectuels à leur solde qui gèrent les médias d’Etat, censure l’information de façon presque involontaire, car ces cadres sont spontanément plus animés à faire plaisir à l’exécutif et surtout au président de la République que d’informer honnêtement les citoyens. Pour preuve, les enseignants du supérieur sont en grève illimitée depuis plusieurs jours, ce qui est dangereux pour notre pays, mais aucun média d’Etat n’a abordé ce sujet comme si cela n’avait aucune importance.

Voici des raisons pour que les « gens », les citoyens maliens s’indignent mais hélas ce sont les problèmes des autres qui nous émeuvent plutôt que les nôtre. Techniques politiques de par le monde comme le précise Madame Konaré, sans doute vaut-il mieux stigmatiser le néocolonialisme de nos partenaires économiques et politiques, plutôt que de travailler sur la souveraineté de notre nation.
Faisons bon usage de notre courage pour l’avenir de notre pays au lieu de le pervertir pour des intérêts immédiats qui ne servent qu’aux autres. On a bien le droit d’être pessimiste en jetant un regard sur certaines pratiques et certains comportements quotidiens mais aller jusqu’à dire que c’est impossible d’être honnête dans ce pays, relève–t-il du cynisme ou du défi ?

SidyLamine BAGAYOKO
Université de Bamako, FLASH, BP E 3637
Courriel : sidylaminebagayoko@yahoo.com
Tél : 76427609

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