De la problématique de l’emploi des jeunes diplômés au mali

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Qu’il est loin l’époque où le jeune diplômé était adulé, courtisé et pouvait même se choisir un point de chute une fois le diplôme obtenu au sein de l’administration et des services de l’Etat, l’accès à la fonction publique étant libre. L’Etat dans toute sa plénitude assurait le « placement » du jeune en fonction de ses compétences. Une période faste où les soucis liés au chômage étaient inconnus et l’employabilité du jeune diplômé relevait du fonctionnement normal des institutions. Si l’offre n’était peut être pas supérieure à la demande, il était certain qu’un jeune au sortir des bancs pouvait prétendre à un emploi rémunéré. En ces temps là, c’est-à-dire de l’indépendance du Mali en 1960 au début des années 1980, l’option socialiste de la 1ère république ainsi que la relative croissance économique du pays permettaient un mieux être de la population dans son ensemble.

Les années quatre vingt marquées par la récession économique, la faiblesse du taux de croissance et la réduction de la richesse nationale furent le début d’une décadence incommensurable dans tous les secteurs de développement du pays. Les indicateurs macro et microéconomiques n’étant plus favorables à la poursuite d’une politique de « générosité » tous azimuts à l’endroit des masses populaires, il a fallu prendre des mesures drastiques, impopulaires pour une relance de l’économie. La mise en œuvre de ces politiques de redressement a conduit entre autres, à l’élaboration des programmes d’ajustement structurel initiés par les partenaires techniques et financiers à la tête desquels les institutions de Bretton woods (FMI, Banque Mondiale). Ces multiples programmes dictés de, et par l’extérieur, faisant fi des réalités locales et ignorant du coup le sort des couches les plus vulnérables furent imposés. L’aide publique au développement sera désormais conditionnée à une bonne gouvernance, une discipline budgétaire rigoureuse, mais aussi un assainissement de la fonction publique en termes de compression du personnel (départ volontaire à la retraite), de restriction pour ne pas dire de « fermeture » de l’accès à la fonction publique (organisation de concours d’entrée à la fonction publique avec un taux de recrutement plus qu’insignifiant). A partir de cette période la problématique de l’emploi des jeunes s’est posée avec acuité au Mali et jusqu’à présent aucune solution à même de résorber véritablement le phénomène n’a pu être trouvée, l’Etat Malien n’arrivant toujours pas à se dépêtrer de ce fléau inextricable.

Au Mali, l’emploi est devenu une chimère. Le chômage est endémique touchant durement et durablement les forces vives du pays que sont les jeunes diplômés ou non. La conjoncture qui a été à l’origine de ces mesures draconiennes n’a pas connu de changement positif, au contraire la situation s’est aggravée au fil du temps. Ainsi de conjoncturel, le chômage est devenu aussi structurel, car la capacité d’absorption des jeunes diplômés par les structures productives reste encore limitée.

Nous savons tous que le chômage des jeunes est un véritable fléau qui annihile l’effort de construction nationale. Comment expliquer qu’avec tout ce que l’Etat investit dans l’éducation et la formation du jeune, qu’une fois le diplôme obtenu, au moment où le jeune devient opérationnel qu’aucune opportunité ne s’offre à lui rendant du coup l’investissement nul ? Aujourd’hui, l’on étudie peut être par devoir, peut être pour l’acquisition des connaissances pour comprendre la marche du monde mais certainement pas pour se dire dès l’abord, un brin prétentieux qu’on le fait pour un emploi garanti après. Aucune certitude, l’horizon étant bouché. La règle, elle est connue, c’est le chômage après l’obtention du diplôme excepté quelques privilégiés et autres veinards qui grâce à leur relation, leur entregent arrivent à tirer leur épingle du jeu.

Dans notre pays, l’embauche se fait au compte goutte et l’organisation des différents concours d’entrée à la fonction publique se fait sur fond de magouille et de corruption. Les autorités sont interpellées face à cette situation injuste qui exclue certaines catégories de personnes malgré leur compétence. Il faut débourser pour être admis ou avoir un « parent haut placé » comme on le dit. Et l’impression générale qui se dégage est que cette situation honteuse ne heurte aucune conscience, les décideurs trouvant leur compte dans ce jeu malsain, la majorité silencieuse incapable à raison ou à tort de dire stop. Il est impératif pour l’Etat d’adopter une certaine transparence et une sincérité sans faille dans le recrutement au niveau de la fonction publique. Les principes d’égalité, de justice et d’équité doivent accompagnés toutes les actions liées à la problématique de l’emploi au Mali. Aussi, il n’est pas compliqué de comprendre qu’un concours n’est pas organisé pour recruter des cancres parce qu’ils ont donné du bakchich, ou par ce que leurs parents ont les bras longs. Le mérite doit prévaloir au risque de créer une autre situation liée au rendement et à l’efficacité dans le travail du fait de l’incompétence de la personne recrutée.

L’on me dira peut être que l’Etat n’a pas les moyens, mais une réflexion pourrait être menée aujourd’hui quant à la faisabilité de l’octroi d’indemnités de chômage au bénéfice des jeunes diplômés pour plus de justice sociale. Il est quand même curieux de remarquer que le statut d’étudiant est finalement meilleur à celui de jeunes diplômés chômeurs dans la mesure où les premiers bénéficient au moins des largesses de l’Etat en termes de bourses d’études. D’ailleurs, la peur de se retrouver dehors sans emploi et sans revenus pousse très souvent certains étudiants à trainer les pas (redoublement volontaire). Il est courant de voir aujourd’hui au Mali des étudiants de plus de 30 ans toujours en formation initiale. Des étudiants qui très souvent sont à la charge de leurs parents. Du coup à près de 40 ans d’âge, il n’est pas rare de voir un jeune diplômé toujours dans le cocon familial faute d’emploi. Une vraie tragédie sociale ! A se demander quand est ce que ce dernier sera dans la vie active, sachant par ailleurs que l’espérance de vie dans notre pays n’atteint pas les 60 ans ? Un réel retard dans la vie et sur la vie ! N’est-ce pas un échec après tant d’efforts que de se retrouver malgré soi dans une situation d’assisté, vivant aux crochets des bonnes âmes ? Cette vie du jeune diplômé sans emploi n’est pas des plus enviables loin de là et est inconcevable après toutes ces années passées à s’user et à user ses fonds de pantalon sur les bancs de l’école.

Les drames sociaux et autres phénomènes tels que l’exode et l’immigration des jeunes expliquent en partie cette situation de honte. Si avant, à 24 ans le jeune diplômé était responsable avec un emploi rémunéré une famille et vivait sa vie de manière digne et correcte, aujourd’hui la plupart des jeunes pour ceux qui ont de la chance entrent dans la vie active au delà de la trentaine. Une catastrophe pour l’épanouissement de la jeunesse, un frein à la croissance et un terreau fertile de la pauvreté. Chômage et pauvreté vont de pair. Qui dit chômage parle forcement de pauvreté dans la mesure où l’inactivité et le manque de ressources induisent fatalement l’idée de pauvreté.

L’Etat du Mali a inscrit la problématique de l’emploi au cœur de sa politique de développement économique et social. Depuis plus d’une décennie des efforts sont entrepris pour réduire le taux de chômage des jeunes avec des résultats encourageants même si beaucoup reste à faire. L’on ne fera pas la fine bouche sur les initiatives entreprises par l’Etat Malien à travers l’ANPE, l’APEJ, le FAFPA, etc. il y a eu de réelles avancées en termes de prise en charge des jeunes sans emploi (création d’emplois, renforcement des capacités, formation, recyclage, financement, encadrement, réorientation etc.) mais encore une fois il faut plus d’audace et de réalisme dans ce combat contre la précarité des jeunes. La mise en œuvre d’un schéma global de lutte contre le chômage prenant en compte les aspects techniques, juridiques, socio-économiques, structurels, financiers, prospectifs, communicationnels etc. avec une bonne synergie des acteurs concernés aboutira sans doute à un résultat satisfaisant. L’accent doit être mis sur la production de statistiques fiables du nombre de jeunes diplômés sans emploi, l’adéquation formation-emploi dans le sens d’une meilleure insertion professionnelle et la mise en œuvre de la promotion des secteurs primaire et secondaire pourvoyeurs d’emplois à travers l’orientation et la formation du jeune. Il faut également une meilleure connaissance du nombre des partants à la retraite pour une bonne lisibilité des besoins en termes de recrutement. Enfin l’Etat doit mieux organiser le secteur informel qui constitue un « dépotoir » où tous les jeunes chômeurs et autres catégories du genre ont trouvé refuge etc.

Le secteur privé n’est pas en reste. Grand pourvoyeur d’emplois, le secteur privé supplante l’Etat dans son rôle de recruteur initial. Toute chose qui participe d’une bonne croissance économique, et qui doit conduire l’Etat à encourager l’initiative privée. Ainsi Les entreprises citoyennes qui œuvreront dans le sens d’une meilleure réponse à la problématique de l’emploi doivent pouvoir bénéficier de l’appui de l’Etat par l’octroi des primes et des allègements fiscaux.

Les jeunes sont le moteur du développement économique. Le chômage des jeunes constitue un gâchis énorme susceptible de saper la stabilité même de la société. L’Etat est interpellé et se doit d’intervenir efficacement et en toute responsabilité.

Une contribution de Dr Makan DIALLO
Docteur en droit Privé
Avocat au barreau de Paris

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