On le sait l’intégrisme islamiste est dangereux et nocif à l’Islam et les intégristes par leur comportement n’aident pas à servir la bonne cause de la religion qu’ils prétendent défendre ou répandre. « La ikraha fi d-dini » (Nulle contrainte en religion) dit le verset 2 :S-256 qui continue en disant « car le bon chemin s’est distingué de l’égarement. Donc quiconque mécroit au Rebelle tandis qu’il croit en Allah saisit l’anse la plus solide, qui ne peut se briser. Et Allah est Audient et Omniscient ».
Vouloir imposer par les armes des pratiques religieuses à des musulmans est totalement contraire à l’esprit islamique même du temps de ceux qui ont combattu au début pour à la fois leur survie et l’expansion de l’Islam. Qui cherche-t-on à convertir à l’Islam dans les villes occupées si cela est vrai que c’est au nom de l’Islam que l’on prend les armes ? Les islamologues pourront nous édifier sur des cas éventuels ou des musulmans des premiers temps ont eu à combattre d’autres pas pour des intérêts partisans mais l’expansion de la religion. Dans un excellent essai intitulé Islamisme contre l’Islam (Introduction) publié en 1986, l’Egyptien Muhammad Saïd Al-Achmawi, haut magistrat de son état, situe clairement la problématique en ces termes « Dieu voulait que I’islam fût une religion, mais les hommes ont voulu en faire une politique. La religion est générale, universelle, totalisante. La politique est partielle, tribale, limitée dans l’espace et dans le temps. Restreindre la religion à la politique, c’est la confiner à un domaine étroit, à une collectivité, une région et un moment déterminés. La religion tend à élever l’homme vers ce qu’il peut donner de meilleur. La politique tend à éveiller en lui les instincts les plus vils. Faire de la politique au nom de la religion, c’est transformer cette dernière en guerres interminables, en divisions partisanes sans fin, c’est réduire les finalités aux positions recherchées et aux gains escomptés ». Si l’on parle de financement du djihadisme ce n’est pas pour rien. Des individus souvent en perte de repères croient se rattraper de quelques pêchés qu’eux même ont du mal à imaginer la compensation ou la rémission « divine » en se lançant dans une entreprise que des esprits malins leur indiquent comme l’une ou la seule issue pour entrer dans les bonnes grâces d’Allah. Ces individus ou groupes manipulateurs rentrent dans un jeu à l’issue incertaine pour eux-mêmes. « Pour des raisons, la politisation du religieux ou la sacralisation du politique ne peuvent être que le fait d’esprits malveillants et pervers, à moins qu’ils ne soient ignorants. L’une et l’autre reviennent à fonder dans la religion l’opportunisme et la cupidité, à trouver des justifications coraniques à l’injustice, à entourer la délinquance d’une aura de foi et à faire passer pour un acte de jihâd le sang injustement versé. » C’est ce que nous rappelle Al-Achmawi dans son essai.
Des méthodes de recrutement à peine sous couvert
Peut-on valablement et de façon convaincante dire que nos « services » de la Sécurité D’Etat n’ont pas vu venir la montée de l’Islam radical au Mali et même dans la sous région ? A partir de 1990, il suffisait de fréquenter les lieux de prières publiques (mosquées) pour se rendre compte des méthodes subtiles de recrutement des djihadistes d’aujourd’hui sous le couvert du « don de soi à Allah ». Jon ba yère di Allah ma ? (qui veut se donner -physiquement- à Allah ?), c’est la question qui termine généralement les prêches dont l’objectif n’est autre que de recruter des jeunes généralement désœuvrés et qui trouvent refuge dans la religion. Ce qui en soit est un bon refuge au regard de tout ce qu’il y a comme chemin néfaste pour la société que ces jeunes pourraient emprunter. Ceux qui acceptaient de se donner à Dieu se retrouvaient en da’wa c’est-à-dire en retraite spirituelle de trois à quatre semaines dont l’objectif est une sorte de lavage de cerveau. A Bamako, il y avait un centre à cet effet à Faladié, à l’époque dans les années 90, confie un jeune qui y a fait un court séjour. Ceux qui passaient cette étape était soumis à un entrainement sommaire avant d’être envoyés vers des centres de formation..
Cela n’a pas pu passer inaperçu
En 1993, un jeune homme que nous appellerons M. a voulu faire un virage en passant de la drogue et l’alcool et se retrouvait dans la mosquée. ‘Je ne ferai jamais confiance à ce type’, nous confiait son jeune frère pour qui son frère ne changerait jamais. ‘Il est capable de tout‘. M. était à la mosquée toutes les heures de prières de la journée. Dans la mosquée où il effectuait ses prières avait eu lieu tous les soirs un prêche. Les prêcheurs se succédaient et souvent il y avait ce que les jeunes musulmans appelaient entre eux “l’embouteillage”, c’est-à-dire que plusieurs prêcheurs de différents horizons se rencontraient et il fallait négocier pour laisser l’un ou un groupe prêcher.
Souvent, des groupes venaient faire des retraites de 7 à 15 jours dans la mosquée où ils dormaient et dans la journée ils écoutaient soit “le maître” ou sillonnaient les quartiers pour faire comme des “rabatteurs” pour convaincre des jeunes désœuvrés à les rejoindre dans la voie de Dieu, le “Jihad“. Cette “chasse” aux “combattants” d’Allah est récompensée soit en numéraire soit par une promotion interne qui a aussi ses avantages ici bas, nonobstant les récompenses dans l’au delà . Le soir, c’était les prêches entre les deux prières du soir ( Maghreeb et Ich’a) et chaque prêche se termine toujours par la même formule: jon ba yèrè di Allah ma? Ainsi M. se laisse tenter par l’aventure qui constituait pour lui une aubaine pour tourner définitivement dos à la débauche et à la drogue et se racheter une virginité spirituelle.
M. qui avait à l’époque environ 25 ans s’embarque, une fois la retraite des visiteurs terminée, pour la da’wa. Pendant plus d’un mois personne n’avait de ses nouvelles, même pas sa famille. On savait seulement qu’il était allé à la da’wa. Un beau jour, M. débarque à la maison en «musulman convaincu». “J’ai échappé à une situation dangereuse car ces gens sont dans des choses qui sont contraires à la ‘shari’a’“, dit-il tout simplement comme réponse aux multiplient questions que l’on ne cessait de lui poser. C’est plusieurs années plus tard qu’il nous révéla qu’il aurait pu être «actuellement soit en Afghanistan, en Algérie ou un autre terrain de la Jihad».
Le jeu malsain de la religion politique
Si l’on voit la composition des groupes dits islamiques au Nord Mali, on se rend compte que ce sont des ‘Jihadistes’ des pays de la sous région qui ont tous été plus ou moins recrutés de cette manière. Ce n’est pas seulement les promesses du Paradis mais le soutien financier qui a permis à plusieurs d’entre les jeunes recrues de subvenir à leurs besoins de ce monde. C’est une véritable stratégie mise en place et exécutée par des gens qui n’usent de l’Islam que comme un bon prétexte. Rien n’est fait au hasard et tout est exécuté depuis des décennies selon un plan qui de notre point de vu, ayant vu tout cela évolué, n’a pas pu passer inaperçu à nos gouvernants. C’est vrai que l’on est dans un domaine très sensible du religieux. Ajouté à cela que peu de musulmans se donnent le temps d’apprendre les principes de base et la vraie histoire de leur religion, le terrain est libre pour ceux qui le veulent d’agir avec une ‘certaine impunité’. Sinon, l’histoire du monde musulman nous apprendrait à échapper à certaines déviations que ceux qui manipulent le religieux à des fins politiques ont imposé comme voie de conduite à leur coreligionnaire. Cela puise sa source dans l’ignorance et la paresse intellectuelle des musulmans. “En limitant le conflit politique au seul champ politique et en lui donnant son véritable nom, nous pouvons situer les choses en termes de vérité et d’erreur: le gouvernant, ou l’opposant, est soit dans le vrai, soit dans l’erreur. Mais dès que l’on introduit la dimension religieuse dans ce débat, il se déplace vers le terrain extrêmement sensible du licite (halal) et de l’illicite (harâm).” dit Al-Ashmawi dans son essai avant de poursuivre que “C’est ainsi que tous les grands conflits politiques de l’histoire islamiques ont reçu une formulation religieuse qui occulte leur caractère essentiellement politique”. Sinon, comment comprendre que des gens connaissant l’Islam et respectueux de ses principes de base puissent penser un seul instant à faire des enlèvements à des fins de chantage mercantile. Al-Ashmawi nous dit qu’au moment où les musulmans ont fait de la religion une politique “même les interdits les plus sacrés furent violés, comme celui qui entoure les morts“; ainsi “les valeurs et les idéaux du Coran s’éclipsèrent sous le discrédit et la falsification“.
Pour ceux qui ont eu à côtoyer “ les maîtres du jeu” au nord Mali, ils se rendent compte que ce sont nos frères et souvent même rencontrent des amis d’enfance. Ce fut le cas de ce jeune soldat capturé lors des combats d’invasion de la ville de kidal qui retrouvera parmi ses ‘geôliers’ un camarade avec lequel il faisait le jeu de belote à Bamako quelques années plutôt. ‘Il est resté très humain avec lui‘, nous dit un parent du jeune militaire ‘car il faisait des plaisanteries de sinankouya (cousinage à plaisanterie)“. « Il avait disparu soudain sans que personne ne sache où il était parti. Maintenant on le sait», nous dit notre interlocuteur qui se rappelle qu’étant au chômage, le jeune Peuhl (islamiste) avait commencé à fréquenter assidûment la mosquée où il a certainement été séduit par le discours radical.
Le devoir de prudence et la nécessité de grande vigilance
La situation actuelle au Mali est plus dangereuse de mon point de vue qu’au moment de la grande confusion de mars à juillet 2012. On a l’impression qu’une solution pointe à l’horizon et tous les ‘illusionnistes’ croient avoir des ‘pouvoirs de faiseurs de paix’. Il faut pourtant de la grande prudence et ne pas saper l’espoir qui commence à poindre. Laissons le gouvernement mis en place trouver avec les acteurs appropriés les voies appropriées de solutions à la crise. Chercher à imposer des voies d’actions inappropriées ne peut réserver que des lendemains sans espoirs car ‘faire de la politique au nom de la religion, c’est transformer cette dernière en guerres interminables, en divisions partisanes sans fin, c’est réduire les finalités aux positions recherchées et aux gains escomptés.’ Est ce de cela dont le Mali à besoin? Je ne le crois pas, même si l’accompagnement de tous les Maliens est nécessaire et souhaité!
Sidi COULIBALY
Journaliste/ chargé de Communication