L’ensemble de la communauté internationale vient de se réunir à Bamako pour se porter au chevet de notre pays et définir les grandes lignes de ce que doivent être les solutions aux crises qui nous accablent. Jamais dans son histoire, le Mali n’avait fait l’objet ni d’autant d’attentions ni d’autant de sollicitudes.
Les questions qu’il faut se poser sont désormais : sommes nous capables, nous les maliens, de nous mettre à la hauteur de cette attention et à sortir par le haut de ces crises ? Sommes-nous aptes à utiliser de manière féconde toutes ces énergies mobilisées pour nous sortir définitivement des zones de turbulence ? Avons-nous la vision indispensable de nous baser sur ces crises, avec l’accompagnement bienveillant de nos amis, pour refonder notre Etat afin de ne plus jamais retomber dans les travers du passé ?
Si notre pays, à travers ses leaders et les maliens, arrive à bien gérer les enjeux actuels et à profiter des opportunités ainsi offertes, le trou sans fond dans lequel nous naviguons à vue depuis presque une année, laissera la place à de véritables lueurs d’espoirs. La crise, au-delà des désagréments et des souffrances causés, deviendra une opportunité d’un nouveau départ, vers un nouveau Mali. A l’aune de ce qu’a été l’occupation du Mandé par le Sosso pour l’empire du Mandé ou encore de ce qu’a été l’arrestation des leaders maliens à Dakar en août 1960 pour le Mali naissant.
Nous faisons ainsi face à notre destin, avec tous les atouts dans notre manche. Nous devons nous mettre à la hauteur de l’histoire pour faire franchir à notre pays un bond qualitatif vers la prospérité. Pour ce faire, il est impératif de bien gérer les trois défis fondamentaux qui ressortent des questions posées ci dessus : sortir de la crise de manière honorable, poser les jalons d’une refondation de l’Etat servie par une démocratie de nouveau exemplaire et enfin s’orienter de manière stratégique vers la sécurité et la prospérité dans cette partie de notre continent avec l’accompagnement de nos amis.
Sortir définitivement et honorablement de cette crise
Les leaders maliens, classe politique et société civile, sont presque tous mobilisés en ce moment sur l’organisation des concertations nationales devant définir le cadre de la transition avec en filigrane, de profondes divergences entre eux. Certains souhaitent une remise à plat de la transition, au contraire d’autres qui désirent faire de ces concertations une simple occasion de dialogue autour de questions mineures. Certains estiment que ces assises doivent être souveraines comme une conférence nationale vers quasiment une nouvelle République, d’autres pensent au contraire qu’elles doivent faire simplement des propositions aux autorités de la transition. La division entre les acteurs de la crise constitue ainsi la seule constante au Mali depuis plusieurs mois. Si on ne la gère pas, les assises nationales risquent de déboucher sur plus de problèmes que de solutions.
La rencontre internationale de Bamako du vendredi 19 octobre n’a même pas fait allusion aux assises. C’est pour dire que pour la communauté internationale, les questions des organes de la transition ou encore du cadre de gestion de celle-ci sont déjà réglées et donc bien secondaires face aux enjeux des crises maliennes. Nous devons absolument intégrer cette donne. Nous devons travailler à la stabilisation institutionnelle de notre pays pendant cette période et lui donner tous les caractères d’un Etat normal géré aussi mieux que possible conformément à sa Constitution. Les assises peuvent aborder des questions relatives à des organes d’accompagnement (question des vices présidents, du conseil de la transition ou encore de la commission de négociation), de leur ancrage et de leur fonctionnement, comme indiqué dans le discours du Président de la République le vendredi 19 octobre dernier, mais on doit éviter tout changement au niveau de la Présidence de la République et de ses pouvoirs, du Gouvernement, du parlement et des autres institutions. Si on pouvait arriver à des consensus autour de ces questions, on ferait faire à notre pays un pas important vers la sortie de crise et on enlèverait une bonne épine du pied à nos amis de l’extérieur. Il est indispensable qu’on sorte de cette question des concertations d’ici la mi novembre 2012.
Les concertations nationales doivent permettre de doter notre pays d’une capacité de négociation lui assurant le leadership en la matière et amenant le médiateur officiel de la CEDEAO à jouer plutôt un rôle de facilitateur. La libération du Nord du Mali aura besoin des négociations comme elle aura sans doute besoin de la Guerre. Les deux actions ne sont pas contradictoires mais complémentaires. Il nous faut les mener parallèlement s’il y a lieu mais il nous faut nous organiser pour les mener et le plus rapidement possible. En ce qui concerne les négociations, nous devons mettre sur pied une équipe professionnelle, capable techniquement de mesurer toutes les dimensions de la question mais aussi disposant d’une envergure qui lui assure une forte crédibilité vis-à-vis des sujets à négocier. Notre équipe de négociation doit être munie d’un axe de négociation avec des objectifs à atteindre. Elle doit savoir les sujets qui ne sont pas négociables (intégrité territoriale, laïcité de la République, présence absolue de la République et de l’Etat partout sur le territoire, mobilité des serviteurs de l’Etat partout sur le territoire, justice pour tous les actes commis) et ceux qui peuvent faire l’objet de discussion (décentralisation accrue, déconcentration de l’Etat et des ressources publiques,…). Elle s’organisera en conséquence et pourra ensuite prendre contact avec tous les occupants du nord du pays soit directement soit par le facilitateur interposé ou par une autre forme. Les négociations pourront être entamées à l’extérieur du pays ou sur le territoire national (au sud ou au nord). Il est indispensable que nous posions des actes dans ce domaine avant la fin de l’année 2012. Les autorités se feront ensuite fort d’informer et de communiquer pour que les résultats éventuels des discussions soient endossés par l’ensemble du peuple malien.
La guerre sera indispensable pour récupérer le nord et l’arrimer définitivement au Mali. Elle le sera car une grande partie de ceux qui occupent ce territoire n’a pas d’agenda compatible avec un Etat moderne. Nous devons donc les chasser de leurs positions et les pourchasser pour qu’ils abandonnent définitivement le Mali !
Pour ce faire un chronogramme serré est indispensable et vient d’être enclenché avec la rencontre internationale de Bamako.
Nous devons maintenir la pression, mobiliser l’intelligentsia de l’armée et de la diplomatie, travailler avec la CEDEAO et l’Union Africaine, maintenir le contact avec les grandes puissances avec la France en première ligne pour obtenir enfin la résolution des nations unies à la fin du mois de Novembre ou en début décembre 2012 au plus tard. Parallèlement à cela, l’armée malienne poursuit ses activités de renforcement et devrait recevoir et travailler avec les armements acquis par le Mali (avions, pièces d’artilleries, blindés de transport et d’abordage, armes individuelles, munitions et équipements logistiques…) d’ici la fin du mois de décembre 2012. Cela pourra aussi se faire en collaboration avec les précurseurs de la CEDEAO et avec son soutien logistique, particulièrement des armées nigériennes et nigérianes. Ce dispositif doit permettre un démarrage des opérations militaires de reconquête à la fin de l’année 2012 ou au début de l’année prochaine, à la veille de la date anniversaire des attaques rebelles de 2012 (17 janvier). L’objectif premier sera de libérer les grandes agglomérations du nord (chefs lieux de régions et de cercles, villes significatives) en vue de les sécuriser et de protéger toutes les voies d’approvisionnement. L’idéal sera d’atteindre ces objectifs avant la fin du mois de mars 2013 (une année après le coup de force institutionnel) permettant d’entamer la phase de sécurisation proprement dite (avant la fin du mois de juin). C’est également vers le mois de mars que nous devrions voir l’opérationnalité complète du dispositif de la CEDEAO et de la communauté internationale en termes de présence de troupes sur le théâtre des opérations et au niveau de leurs bases, accompagnées par les bureaux de représentation de l’Union Africaine et des Nations Unies comme annoncé le vendredi 19 octobre dernier. A partir du démarrage de la phase de sécurisation on pourrait lancer le redéploiement de l’administration et encourager le retour des réfugiés pour amener progressivement la normalité au nord à compter d’avril 2013.
Il faut noter qu’une phase plus longue et plus harassante de la campagne militaire doit être lancée pour affaiblir de manière considérable les forces négatives au nord de notre pays. Elle durera plusieurs années avec au moins une année d’activités intenses (juin 2013 – juin 2014) qui vera nos forces et celles de nos amis porter les combats dans le camp des ennemis, sur leurs bases logistiques, dans le désert et le long des frontières avec les voisins pour les diminuer considérablement. L’armée malienne pourra enfin poursuivre les activités de démantèlement réduisant définitivement leurs menaces contre le Mali et le sahel de manière générale.
Les préparatifs des élections doivent être accélérés pour nous permettre de gagner du temps sur ce segment de la transition qui est suivi de manière attentive par la communauté internationale. Nous devons montrer notre bonne volonté pour organiser les meilleures élections possibles et sur l’ensemble du territoire national avec le maximum de nos compatriotes qui y participeraient. Nous devons trancher la question du fichier électorale avant la fin du mois de novembre 2012 et lancer ainsi le processus de sa fonctionnalisation. Il est impératif que le Mali ait un fichier électoral contenant des données biométriques d’ici un an soit avant novembre 2013. D’ici là nous devons régler la question de la CENI et de la loi électorale en nous entendant dessus (peut être à l’occasion des concertations nationales) d’ici la fin de l’année 2012 et en préparant une nouvelle loi électorale à soumettre à l’assemblée nationale lors de sa session d’avril 2013.
L’administration doit relancer l’idée du cadre de concertation avec les partis politiques, la réactiver et lui donner un minimum de contenu, dès le mois de novembre 2012. Par exemple un cadre formel qui se réunit une fois par mois avec un secrétariat tenu par le département en charge des élections rendant compte à ses mandants à l’occasion des réunions régulières. Le cadre doit prévoir la possibilité de rencontres extraordinaires et des missions spécifiques à confier aux uns et aux autres pendant la phase de préparation des élections. L’administration définira un chronogramme qui sera actualisé mois après mois à la suite de la réunion du cadre. Le Ministre rendra compte régulièrement aux partenaires techniques et financiers de l’avancement des préparatifs des élections. Le chronogramme tiendra compte des activités de reconquête du nord, de redéploiement de l’administration, du retour des réfugiés…pour que l’ensemble du pays soit prêt à des élections générales à la fin de l’année 2013. On pourrait également intégrer les élections communales prévues pour le printemps 2014.
Nous aurons besoin de l’assistance et de la bienveillance de tous nos amis pour faire face à ces différentes étapes de la sortie de crise. A ce titre, il faut saluer l’ouverture prochaine des bureaux de l’Union Africaine et de l’ONU pour accompagner notre pays au moins sur cinq ans dans cette activité de sécurisation de son territoire et d’enclenchement des reformes de fond qui serviront l’Etat vers la prospérité et le développement.
Refonder l’Etat malien servi par une démocratie exemplaire
L’accompagnement de nos amis sera nécessaire pour obtenir graduellement mais rapidement le retour du Mali au sein de la communauté internationale. A ce titre, la prochaine réunion du Conseil de paix et sécurité de l’Union Africaine, ayant à l’ordre du jour la fin de la suspension de notre pays, sera importante. Avec l’insistance de nos autorités on devrait obtenir notre réintégration dans la famille africaine. Dans la foulée, on doit poursuivre les efforts entrepris pour que la coopération bilatérale et la coopération multilatérale soient réenclenchées au bénéfice de notre pays. Ces avancées permettront aux autorités maliennes de prendre certaines initiatives souhaitables destinées à améliorer la démocratie, renforcer l’Etat, lutter efficacement contre les menaces à moyen terme et poser ainsi les jalons de la prospérité et du développement futur du pays. Nous entamerons ainsi, pendant la transition, quelques étapes de construction du Mali de demain, avec la bienveillante attention de nos partenaires et la forte implication des populations maliennes.
Le premier des chantiers est la restructuration de l’armée dont les aspects stratégiques doivent être définis. Les menaces auxquelles nous faisons face et auxquelles nous ferons face induiront l’armée dont nous aurons besoin, son organisation, son fonctionnement, ses équipements, ses ressources humaines (qualité et quantité), les interrelations avec la société civile et les citoyens ainsi qu’avec les autres composantes de la nation mais avec les armées voisines…Pendant la transition, le Mali doit disposer d’un cadre stratégie de reforme des forces armées, d’un chronogramme de mise en œuvre avec une identification claire des étapes, des rôles des différents acteurs, des résultats attendus….
Le deuxième chantier est l’administration du territoire, la décentralisation avec en toile de fond la question du partage des ressources publiques (présentes et futures) entre l’Etat central et les collectivités, les marges de manœuvre des collectivités en terme de développement…sont des éléments dont il faut convenir pendant la transition. Cela d’autant plus que certains de ces éléments entreront dans les négociations de libération des régions du Nord. Les réflexions conduites doivent nous amener à généraliser sur l’ensemble du pays, les approfondissements de la décentralisation consentis au Nord.
Le troisième chantier que nous devons aborder pendant la transition porte sur le type de démocratie souhaitable pour notre pays, la lutte contre la corruption et la promotion indispensable de la transparence comme gage de bonne gouvernance et de restauration de la confiance entre les populations et les élites. Des réflexions fécondes doivent être engagées, peut être au sein du conseil national de transition pouvant être mis en place à l’issue des concertations nationales avec des propositions d’actes à poser, soit pendant la transition, soit à soumettre au prochain pouvoir élu, pour faire franchir à notre démocratie une étape qualitative supplémentaire. Celle qui va l’ancrer définitivement dans l’esprit du malien transformant ce dernier en sentinelle et en défenseur vigilant. Des efforts restent à accomplir par le leadership. Il nous est indispensable de les identifier et d’en consentir certain le plus rapidement possible.
Le dernier chantier majeur qu’on doit aborder pendant cette période transitoire est celui de la promotion de valeurs traditionnelles et religieuses pour lutter contre les extrémismes religieux. La menace extrémiste, dans un monde en évolution avec la possibilité de chocs entre les civilisations, risque de se traduire par des confrontations idéologiques majeures dans notre société avec les risques que cela comporte pour la laïcité et la tolérance religieuse. Nous devons mener des réflexions de fond sur la promotion du fait religieux comme le garant contre les dérives intégristes. L’Etat doit engager des initiatives en la matière. Cela peut être le fait du Ministère en charge des cultes ou encore du conseil national de transition à créer, pouvant faire des propositions en la matière aux autorités.
La transition doit aussi être un moment de réflexion vers des actions positives pour le pays ou pour poser des actes utiles à moyen terme. Essayons de l’utiliser comme tel, en tirant les meilleures leçons possibles de ce qui nous arrive et en employant toutes les disponibilités qui nous sont offertes par nos compatriotes et nos amis de l’extérieur pour y arriver !
La vision d’un Mali prospère au cœur d’un sahel sécurisé et harmonieux
Le Mali, en rapport avec ce qui est dit précédemment, doit profiter de ces crises pour engager les actions de rétablissement de ses capacités d’anticipation et de sa vision stratégique. Le pays ne doit plus être myope ; il doit devenir stratège ! Il doit avoir une idée précise des menaces sur plusieurs décennies, développer une capacité publique et privée dans la prospective et les analyses stratégiques, poser les jalons des défis auxquels il fait et fera face et les gérer.
Les questions relatives à la gestion du territoire et à l’urbanisation, l’aménagement et l’organisation de l’espace pour qu’il soit une opportunité et non une contrainte ne peuvent souffrir d’une incapacité d’anticipation.
Les enjeux de la démographie dynamique et des questions de jeunesse, l’obligation de planification qu’ils imposent nécessitent que nous développions une capacité prospective en la matière.
De manière générale, les défis internationaux (changements climatiques, basculement du monde vers l’est et le rôle accru des pays émergents…) et leur évolution doivent être perçus correctement pour que le pays se positionne en fonction de ses intérêts en mettant en place des politiques appropriées pour toujours bénéficier de la bienveillance et de l’accompagnement des autres car se situant au cœur de leur agenda et de leurs intérêts.
Dans cette optique le sahel constituera une opportunité en soi pour le Mali. Aujourd’hui et demain, cet espace dont le nord de notre pays constitue le cœur restera dans l’agenda international comme l’une des zones à surveiller en raison des menaces qu’il est susceptible d’abriter. Nous devons nous orienter en fonction de cet intérêt et nous inscrire dans cet agenda pour y puiser des opportunités pour notre pays à moyen et long termes.
A ce titre, la question d’une base militaire importante sous statut international, gérée de concert avec les pays du champ, la CEDEAO avec un soutien et une collaboration avec une grande puissance internationale, mérite d’être posée. Cette base importante doit pouvoir servir de cadre à toutes les activités de surveillance, de sécurisation et d’interventions. Le Mali en rapport avec ses voisins doit y réfléchir. De même que nous devons rapidement réfléchir à la question de l’intégration des armées, préalable et inducteur de l’intégration des pays, en Afrique de l’Ouest ou dans la zone sahélienne…pour mutualiser les efforts, partager les risques et bénéficier ensemble des opportunités. Il n’y a pas de doute que l’intégration des forces de sécurité et de défense sera un puissant inducteur de l’intégration des pays !
Le Mali est inscrit en lettre rouge dans l’agenda international aujourd’hui. Contrairement à ce que certains de non compatriotes pensent, ce n’est pas forcement mauvais. Il s’agit pour nous de nous appuyer sur ce fait historique pour nous en sortir et bénéficier de toutes les bienveillances afin de donner à notre pays l’élan nécessaire vers le développement et la prospérité. Autrement dit, de nous inspirer quelque peu de l’exemple du Rwanda : s’appuyer sur une tragédie innommable, bénéficier de la bienveillance de la communauté internationale pour avancer sur certains chantiers importants en y étant exemplaire (vision stratégique, sécurité, autorité de l’Etat, bonne gouvernance, croissance économique, ouverture au Monde…) et améliorer ainsi le sort des citoyens.
Le Mali peut faire mieux en y ajoutant la démocratie et la liberté et en bénéficiant de meilleurs soutiens qui lui permettront d’utiliser de manière plus heureuse ses différentes potentialités. Le Mali doit s’employer dans ce sens, entraîner ses voisins et l’Afrique de l’ouest dans cette vision pour jeter les fondements d’un mieux être sur cette partie du continent.
Nous avons besoin d’un leadership fort vers ce nouveau dessein pour notre pays. Gageons que les dirigeants actuels et futurs se montreront à la hauteur de ces opportunités !
Moussa MARA
moussamara@moussamara.com