Par principe, je suis contre tout changement de régime politique en dehors des élections. Mais au vu de la profondeur de notre dysfonctionnement général, nous avons enlevé tout sens à nos élections.
D’abord notre personnel politique, en complicité avec ceux qu’on nous présente comme nos leaders religieux, en a fait des moments de marché d’un bétail électoral largement acheté le temps d’une élection. Les dernières élections législatives sont encore allées plus loin dans le déni de nos principes démocratiques : le personnel politique s’est tout simplement partagé les postes politiques avec des alliances contre natures qui enlevaient toute possibilité à l’électeur malien de sanctionner démocratiquement le bilan d’IBK. On nous a par exemple proposé une alliance URD-RPM, etc., ou une alliance Sadi avec des partis de la majorité, etc. Et là où les alliances n’ont pas réussi ce partage dans certaines circonscriptions, des voies juridiques, via la Cour constitutionnelle, ont été utilisées pour l’imposer. Ceux qui ont été exclus de ce partage ont tout simplement pris le ressenti réel du peuple malien pour créer une crise politique.
Notre démocratie qui devrait être une compétition d’offres politiques a été transformée en un marché de partage de rentes publiques entrainant le discrédit de nos institutions. Conséquence ? Très peu de nos élections ont atteint un taux de participation de 25 % ; une défiance claire vis-à-vis de nos institutions s’est installée dans le grand public malien. Et chacun s’est installé dans la survie, avec la débrouillardise comme axe de fonctionnement, en dehors de toute règle. Nous avons même appris à négocier le “feu rouge“ de la circulation routière : zéro règle !
Je ne connais pas une ligne rouge qui n’a pas été atteinte dans notre dysfonctionnement général. La crise prévisible qui en est résulté devrait être une opportunité pour IBK d’inscrire le reste de son mandat dans une transition réfléchie vers une 4ème République, avec un Premier ministre qui pouvait avoir l’attention d’une large part de la société malienne. Nous aurions fait l’économie du banc de la communauté internationale. Malgré ses fautes, IBK se serait transformé en autorité morale parce que la grande capacité de résilience de la société malienne l’aurait permise. Enfin nous aurions pris le temps d’interroger objectivement le fonds de notre dysfonctionnement général.
C’était ça, une rupture institutionnelle réfléchie ou le chaos pour notre pays !
La rupture institutionnelle s’est naturellement imposée à nous. Les acteurs de ce processus, organisé au sein d’un CNSP, sont arrivés pour l’instant à lui donner une forme légale avec la dissolution de l’Assemblée nationale et la démission du Président de la République.
Mais chassez le naturel ! Il revient au galop ! Parce que des centaines de présidents d’associations en costumes cravates vont venir très vite nous “virusser“ notre environnement avec “leurs motions de soutien“, avec leurs “considérant que …“, leurs “vu que….“, etc. ; avec toujours comme seul objectif de se replacer dans le jeu du partage du gâteau. J’espère de tout mon cœur que les autorités qui vont émerger ne se laisseront pas séduire par ces flatteries !!
L’ampleur de notre dysfonctionnement ne doit souffrir d’aucun jeu. Le premier discours du CNSP, l’organe des acteurs de la rupture institutionnelle, semble se mettre en dehors des jeux politiques et des règlements de compte. Ce qui est une bonne nouvelle !
Je conseille aux membres du CNSP de ne pas se laisser divertir par les attaques personnelles qui viendront ; parce qu’il est presqu’impossible à cause de notre dysfonctionnement général de ne pas avoir de casseroles au Mali quand on a eu un minima de responsabilité. Ensuite qu’on nous présente très vite une équipe qui se mettra au travail pour construire un minima de confiance, restaurer l’ordre et inscrire le Mali dans une transition, très réfléchie et non copiée-collée, vers une quatrième République. Et le temps de le faire doit être pris en dehors de tout fétichisme institutionnel.
Au-delà, des urgences et de la mise en place de bases solides institutionnelles pour démarrer une quatrième République, cette forme de transition doit
Procéder à une franche rupture indispensable au renouveau :
Quels qu’ils soient, les chemins de l’avenir ne s’ouvriront pas sans que le pays ne se soigne d’un cancer qui empoisonne toutes les initiatives publiques ou privées : la corruption. Le mal est si profond, si répandu, si accepté ; il touche tellement de gens, du ministre au simple fonctionnaire, du simple fonctionnaire à sa lointaine cousine du village, que le remède doit être d’une nature complètement nouvelle. Cette sombre ardoise doit être effacée. Cela ne peut concrètement se faire sans un coup d’éponge sur le passé. Une amnistie générale des délits financiers et violences politiques du passé pourraient ainsi être proposée. C’est très injuste. Mais le mal est tellement profond qu’on ne peut l’éviter. C’est de cette façon que nous pourrons repartir sur de nouvelles bases, nous faire à nouveau confiance. Et une conférence nationale du pardon doit mettre en œuvre ce coup d’éponge du passé pour montrer clairement nos errements.
Construire le “hóron“ d’aujourd’hui, le citoyen malien du 21ème siècle :
Cette transition doit mettre en place les bases de la construction du “hóron” malien du 21ème siècle. Il est entrepreneur ou employé, sérieux, responsable, droit, courageux, autonome, solidaire, engagé pour la communauté, informé des enjeux de sa famille, de son quartier, de sa commune, de son pays et du monde. Il définit son présent par le futur à construire en commun et non par les errements du passé. Il sera la principale matière première de la société harmonieuse que nous rêvons pour le Mali
Inventer de nouvelles formes de solidarité ;
Il nous faudrait accepter que notre forme de solidarité, organisée à partir de la famille, des proches, de la religion, de l’ethnie …, a atteint ses limites. Elle est d’ailleurs une des sources acceptées de notre corruption. La corruption d’un cadre est facilement acceptable ou encouragée par la société elle-même quand il paie régulièrement les ordonnances médicales du cousin et autres connaissances. Le cadre honnête est facilement mis au banc de la société parce qu’il participera peu aux frais “sociaux“, malgré sa place. La transition doit proposer de sortir de cette situation ambivalente en renforçant les nouvelles formes de solidarité qui couvriront le maximum de corps de métiers et de sans-emplois : couverture médicale, retraite, etc.
Que de bonnes ondes pour notre pays !!!
Alioune Ifra NDiaye