“La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité“, Préambule de la Constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé, (OMS). La santé est un bien universel. Dans ce cadre, la tâche qui nous incombe tous, c’est de se saisir de cette crise pour redessiner les nouveaux contours des politiques de santé autour des trois axes prioritaires définis par l’OMS : le bien-être physique, mental et social.
Pour sortir de cette situation, au-delà d’un simple conseil scientifique renseignant les gouvernements sur le Coronavirus et les actions à mettre en place, l’exécutif de chaque pays doit mettre sur pied un groupe de chercheurs (anthropologue, économiste, historien, infectiologue, sociologue, virologue, etc.,) pour faire un travail prospectif sur les besoins de santé. Mais aussi sur l’accompagnement des populations malades et non malades sur les questions sanitaires, sociales et économiques.
Dans ce sens, au Mali, une véritable stratégie doit être envisagée, pas seulement un programme. Par définition, une stratégie permet d’esquisser des scénarii. Par exemple, pour l’après Covid-19, pour faire le point, un travail doit être entrepris territoire par territoire, région après région, cercle après cercle, commune après commune, village après village. Ce bilan seul permettra de recueillir les besoins et d’élaborer une véritable politique nationale de santé, efficace et innovante. Aujourd’hui, l’enjeu est de trouver des ressources (économiques et humaines) pour changer le visage de notre politique de santé. Le même exercice doit s’appliquer aux autres domaines de l’Etat. Mais ceci ne suffit pas.
Il y a un autre impact de la crise sanitaire, déjà entamée par la crise sécuritaire, c’est l’éducation, un des points aveugles des politiques publiques. Les différents pouvoirs ne savent toujours pas lui faire sa place. Pourtant, l’éducation est un des nerfs de la guerre : elle permet de former les réformateurs de demain, les corps médicaux futurs, mais aussi les citoyens promoteurs d’une démocratie forte et vivante. Aujourd’hui, à cause de la maladie du Coronavirus, les écoles et les universités sont fermées.
Le lien entre les élèves et les enseignants est coupé. La continuité pédagogique ne se fait quasiment plus, malgré les tentatives d’enseignement à distance. La conséquence immédiate de cette situation, ce sont des écoliers et des étudiants en partie livrés à eux-mêmes, qui s’ennuient et risquent de perdre une année d’études. Les déscolarisations de certains enfants, voire même d’embrigadement dans les milieux de la criminalité organisée, ne sont pas à exclure. Espérons que le développement du Coronavirus permettra la réouverture des écoles et des universités en juin 2020, tel que l’a annoncé le Premier ministre, ministre de l’Economie et des Finances, Dr. Boubou Cissé.
Pour y remédier et anticiper sur le futur, le gouvernement doit mettre en place un groupe d’experts pour explorer les pistes d’enseignement à distance. Il est inutile de dire que de tels dispositifs, la classe numérique par exemple, sont déjà à l’œuvre en Amérique du Nord ou en Europe. En France, par exemple, les parents d’élèves font l’école à la maison Ils reçoivent en début de semaine les devoirs et les passent à leurs enfants. Une communication régulière entre les familles et l’école se fait pour pallier les difficultés, et accompagner les familles qui en ont besoin. Pour les étudiants, les cours sont mis en ligne, et les contrôles continus se font par le même biais.
Certes, le contexte occidental n’est pas comparable au contexte africain, voire malien, mais on peut déjà commencer à mener une réflexion sur les possibilités d’occuper les enfants en attendant la réouverture des classes, car à l’heure de la révolution numérique, le champ des possibles est inépuisable. Le travail éducatif se fera de plus en plus différemment, mais en parfaite collaboration avec les enseignants. Et la clef de voûte de cette bifurcation éducative, grâce au numérique (développement et usage croissant des plateformes de communication à distance : Zoom, Teams, Slack…), c’est d’apprendre à travailler différemment en définissant avec les enseignants leur rôle et leur fonction. Il s’agit de s’organiser mieux.
Par exemple, les jeunes diplômés sans emploi, souvent dans les grins, peuvent être mobilisés pour aider les parents non lettrés à faire les devoirs de leurs enfants. Ces jeunes, que l’on peut nommer les relayeurs, feront le lien entre les familles et l’école. Un tel dispositif doit s’accompagner d’un budget éducatif conséquent pour équiper d’ordinateurs ou de tablettes les familles qui en ont besoin. On est en présence d’un cadre éducatif qui modifierait le rapport élève-enseignant dans l’apprentissage, et par conséquent nécessite un calendrier de communication permanent entre les enseignants, les relayeurs, les élèves et les familles durant la crise sanitaire.
La mise en application d’un tel cadre doit aussi créer l’autonomie sans tomber dans les rapports marchands, qui gangrènent déjà les sociétés africaines. L’idée n’est ni de remplacer les enseignants, ni de cheminer vers une éducation au rabais, mais d’avoir le sens de l’urgence (traitement prioritaire des crises) pour qu’à la sortie de la crise sanitaire, on ne replonge pas dans une crise éducative. Quant aux universités, aux grandes écoles, des sites Internet simples et efficaces pourraient faire l’affaire grâce à la mise en ligne des cours et des consignes de contrôle continus sur les plateformes. Chaque université, chaque grande école, chaque institut, dans le cadre d’une orientation nationale, doit élaborer, sa stratégie d’enseignement en ligne et sa validation.
Il va sans dire qu’un tel dispositif doit être soutenu par une réglementation pour parer aux éventuels problèmes tel que le plagiat. Ces différents dispositifs, dans un état d’esprit pragmatique, peuvent être le socle des nouvelles façons d’éduquer, de transmettre, et donc de travailler. Car au-delà de son aspect tragique, ce virus-là ne doit pas être celui de la résignation, mais plutôt celui de notre capacité à infléchir les systèmes de santé et d’éducation. Car il y va de notre bien être. Notre capacité à innover dans un contexte de crises sanitaire, politique (contestations post élections législatives), économiques (manque d’emploi, baisse de la croissance économique…), etc.
Le Coronavirus contrôlera la planète tant qu’un vaccin ou un remède n’est pas trouvé. Par contre, au-delà de sa virulence, il offre aussi à des pays comme le Mali l’occasion de de sortir d’une économie informelle (activités de biens et de services qui échappent à la fiscalité) pour cheminer vers une économie réelle par exemple. C’est aussi l’occasion de construire un nouveau monde, ancré dans une vision politique où la construction de la société ne se fait pas sur une réponse aux frustrations politiques, mais sur un volontarisme politique pour répondre aux préoccupations des Maliens. Pour finir, une vraie économie du travail ne se fera pas sans heurts. Le Mali a énormément de défis à relever : emploi des jeunes et des femmes, formalisation des métiers et culture du travail… Les populations sont de moins en moins assurées de gagner leur pain quotidien, et un déficit de démocratie est à l’œuvre. Les contestations actuelles contre une partie des résultats définitifs des législatives (résultats rendus par la Cour constitutionnelle) sont révélatrices de la crise d’un modèle socio-économique et politique.
Le Coronavirus révèle bien toutes ces incertitudes et ces fractures auxquelles les institutions doivent répondre pour un renouveau démocratique. Ce renouveau démocratique passera-t-il nécessairement par des cycles de violences ? Pourrons-nous œuvrer ensemble à la paix pour des conditions de vie dignes : manger, se soigner, se former, se cultiver, transmettre, travailler ?
Mohamed Amara
Sociologue-Essayiste
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