Contribution du Pr Issa N’Diaye : Que reste-t-il de l’esprit du 22 septembre 1960 ?

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Le 22 septembre 1960, l’ex Soudan français, à la suite de l’éclatement de la Fédération du Mali sous l’instigation de la France, proclama l’indépendance de la République du Mali suite à un congrès extraordinaire convoqué par le parti dirigeant de l’époque, l’Union Soudanaise RDA, sous la conduite de Modibo Keita.

A ce congrès extraordinaire, deux faits majeurs sont à retenir : la présence massive des organisations de jeunes  et des syndicats de travailleurs. Ce sont ces deux forces sociales qui étaient à la pointe de la lutte anticolonialiste, qui engagèrent, à l’époque, le destin du pays.

L’indépendance immédiate fût l’expression de leur volonté farouche et de leur désir de souveraineté nationale.

Pour y parvenir, jeunesse et syndicats engagèrent le pays dans le choix d’une voie de développement socialiste que l’USRDA ne pouvait que prendre en charge. Toutes les orientations prises et les mesures décidées portèrent leur marque que Modibo Keita sut traduire dans les faits. Il s’agit de la nationalisation des secteurs clés de l’économie nationale et création de sociétés et entreprises d’Etat, de la fermeture et de l’évacuation des bases militaires françaises du territoire national en janvier 1961. Il y a eu aussi, entre autres, la création du franc malien en juillet 1962 réforme de l’éducation en 1962.

Toutes ces mesures marquèrent le visage du Mali nouveau et contribuèrent à asseoir son prestige et sa renommée au plan africain et international et à en faire un exemple de décolonisation à travers le monde.

Le nouveau Mali indépendant contribua largement à la libération des peuples colonisés et opprimés à travers des soutiens multiformes au plan politique, diplomatique, militaire et financier. Le Mali de Modibo Keita fut la base arrière du Front de libération nationale de l’Algérie dont il parraina l’admission  à l’ONU. Des instructeurs maliens contribuèrent à la formation militaire des combattants des mouvements de libération nationale dans les colonies portugaises et en Afrique du Sud. Des passeports diplomatiques maliens furent mis à la disposition des responsables des mouvements de libération avec des moyens financiers conséquents. La voix du Mali résonnait sur la scène internationale en soutien à tous les opprimés de la terre. Le Mali fut un acteur essentiel de la Conférence de Belgrade et du Mouvement des non-alignés. Le Mali de Modibo Keita apporta une pierre décisive à la création l’Organisation de l’Unité Africaine.

Cette épopée largement travestie durant la longue dictature militaire de 1968 à 1991, commence à s’imposer à la conscience collective des populations maliennes. En témoignent les nombreuses initiatives de réhabilitation de Modibo Keita et des réalisations de la première république.

 

Mais de nos jours, que reste-t-il de tout cet héritage ?

N’est-il pas parti en fumée ? Où est aujourd’hui cette jeunesse consciente et patriote ? Que sont devenus les syndicats de travailleurs ?

Le désastre est évident. Les discours actuels des hommes politiques sur la grandeur et la fierté du Mali sonnent creux dans l’esprit des citoyens, faute d’exemplarité.  Le sentiment national et l’esprit patriotique semblent désormais se conjuguer au passé. Plus de projet national commun. Le gain individuel et le profit immédiat semblent être devenus le caractère distinctif du malien. Les valeurs de citoyenneté et de civilisation qui furent longtemps la marque du pays semblent s’être évaporées. Partout où on risque le regard, un sentiment de désolation.

Aujourd’hui le pays a perdu toute souveraineté. Hier craint et respecté, il est devenu un pays occupé par des armées étrangères au prétexte de la lutte contre le terrorisme. Les bases françaises fermées sous Modibo Keita se sont réinstallées et étendues. Des soldats européens et américains circulent comme en territoire conquis. Des troupes africaines, surtout de pays voisins aident à maintenir la présence étrangère et à dicter la volonté des puissances occidentales.

Main tout cela est arrivé du fait de la trahison et de la cupidité des maliens eux-mêmes. Certains devenus mercenaires au fil du temps sur des champs de bataille lointains, sont venus semer la désolation au nom de la théorie indépendantiste fabriquée dans des laboratoires de propagande étrangers. Des idéologies religieuses importées à coups de pétrodollars des monarchies du golfe s’y sont ajoutées, semant la confusion dans les esprits au nom d’un islam contrefait. L’appât du gain facile face aux incertitudes du lendemain, les trafics en tous genres, notamment de drogue, le bradage des ressources nationales avec la complicité des élites locales, le pillage et détournements des deniers publics, achevèrent la ruine matérielle et morale d’un pays désormais sans perspective. La corruption généralisée devint la philosophie de la débrouillardise de la société malienne.

 

Dans un tel contexte, à quoi peut servir de continuer à célébrer le 22 septembre 1960 ?

Malgré le désarroi, il faut y persévérer pour que les générations actuelles et surtout celles à venir puissent garder dans leur conscience collective qu’il eût un autre Mali différent du leur et que ce qui nous est arrivé et ce qui nous arrive aujourd’hui n’est point une fatalité. Les défis à relever sont certes, immenses. Mais ils sont à notre portée, à condition de se réarmer moralement et politiquement.

Construire un nouveau Mali sera le fait d’un nouveau citoyen malien, résolument patriote et tourné vers l’intérêt collectif. C’est dans la discipline collective et dans la solidarité effective que nous serons à même de nous en sortir. Ce ne sera pas chose facile. Mais cela est de l’ordre du possible. Mais, comme le disait Modibo Keita, « quand le propriétaire devient un spectateur, c’est le festival des brigands !»

Pr Issa N’Diaye.

Septembre 2018

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7 COMMENTAIRES

  1. Le festival des brigands a commencé après le 19 novembre 1968,a failli commencer sous MODIBO KEITA l’opération TAXI y a mis fin.
    Ce festival ne s’est pas arrêté le 26 MARS 1991 après la chute du tombeur de MODIBO KEITA ,s’est,au contraire,accentué expliquant la situation actuelle .
    Vingt trois ans de pratiques de perversions dans toutes les couches de la societé se traduisant par le népotisme,clientélisme ,la corruption…ont elles fait l’objet de réflexion par les acteurs du mouvement démocratique permettant de poser les bases d’une solution souhaitable pour le développement harmonieux du MALI?
    Ses résolutions ont elles ténu compte de la situation de perversion héritée du régime militaire?
    Il faut dire que les manifestants de la révolution avaient comme slogan principal le KOKADJE c’est à dire une transparence dans la gestion des deniers publics et les sanctions implacables contre les fauteurs.
    Le mouvement démocratique qui a dirigé le pays du lendemain du 26 MARS 1991 au 8juin 1992 a t’il mis en place des dispositions institutionnelles pour gêner ou empêcher le régime sorti des urnes de continuer les pratiques dénoncées par les martyrs de MARS 1991?
    Un pouvoir démocratique agit dans le cadre de la loi fondamentale qui réglemente les activités politiques des animateurs de l’ action politique.
    Elle a été calquée sur celle de la France sans tenir compte de nos réalités et des doléances des manifestants de MARS 1991.
    Pour être élu et être réélu pour un second mandat ou même permettre la stabilisation du régime,le maître du jour est obligé de fermer les yeux sur certaines pratiques frauduleuses permettant à ses adversaires de remplir les caisses de leurs partis et de s’enrichir aussi individuellement.
    CE CONSTAT A ETE FAIT DEPUIS L’AVÈNEMENT DE LA DÉMOCRATIE ET NE S’ARRÊTERA PAS TANT QU’ ON FONCTIONNE DANS LE CADRE DE LA CONSTITUTION DE 1992.
    Pendant le pouvoir intérimaire assuré par le mouvement démocratique auquel faisait partie le prof ISSA NDIAYE ,on aurait mis en place des institutions capables de mettre au pas des hommes politiques cupides,notre démocratie n’aurait pas le visage actuel.
    La démocratie est basée sur la séduction de l’ électorat pour accéder au pouvoir.
    Dans un environnement perverti par des années de dictature militaire féroces et malsaines ,une démocratie sans mesures de séparation réelle de pouvoir traduit exactement cette citation de MODIBO KEITA «quand le propriétaire devient un spectateur,c’est le festival des brigands »
    ZOUMANA SACHO ,MOUNTAGA TALL ,ISSA NDIAYE ,OUMAR MARIKO …qui tirent à boulets rouges sur certains hommes politiques qui ont exercé le pouvoir après eux,pensent qu’ ils ne sont pas responsables de cette situation.
    VOUS AVEZ MIS EN PLACE UNE LOI FONDAMENTALE QUI FAVORISE LES BRIGANDS.
    Un homme politique qui veut atteindre le sommet de L’ÉTAT est OBLIGÉ de composer avec eux.
    C’est une réalité de toute démocratie qui s’inspire de la loi fondamentale de la république française .
    Nos cousins francophones qui se sont aussi inspirés de cette constitution sont ils mieux lotis que nous?
    Abdou Diouf et Wade n’ont ils pas produit leurs milliardaires?
    Macky Sall et ses camarades qui étaient avec Wade ont fêté leur milliards avant d’accéder au pouvoir.
    Gbagbo n’a t’il pas produit ses milliardaires?
    Un rapport confidentiel de l’union européenne n’a t’il pas épinglé les proches de l’ actuel président de côte d’Ivoire ?
    Aucun des hommes politiques qui veulent réélement lutter contre la corruption,le népotisme…n’aura jamais le pouvoir dans le cadre de cette constitution.
    ON CONSTATE QU’ ILS SONT MÊME ENTRAIN DE DISPARAÎTRE DE LA SCÈNE POLITIQUE.
    Le mouvement actuel autour de SOUMAILA CISSE ,TIEBILE DRAME ,RAS BATH doit permettre soit d’imposer au pouvoir actuel le projet de réforme substantielle de notre constitution permettant de limiter le pouvoir des hommes politiques,soit provoquer le départ de ce pouvoir permettant de mettre en place un gouvernement de transition équivalent à celui de 1991 pour remettre en place une loi fondamentale progressiste.
    OSER LUTTER ,C’EST OSER VAINCRE!
    La lutte continue.

  2. Il est aisé de faire valoir sa pensée tant les interventions sont réfléchies . Je trouve que notre passé a été si glorifiée que la vérité fut étouffée . La gloire et l’honneur qui caractérisaient Modibo et ses compagnons les ont poussé dans la précipitation .

  3. Moussa Traore, le CMLN et l’UDPM ont une grande part de responsabilité dans ce chaos et la déliquescence de notre pays…Mais le Mouvement Démocratique qui a été le catalyseur du changement politique de Mars 1991 et qui a mis fin au régime fantoche de l’UDPM et dont Issa Ndiaye fut un acteur est pour beaucoup dans ce système de corruption généralisée.
    En effet, depuis la Transition gérée par le CTSP de ATT et Zoumana Sako, le Mali subit subit les affres de la mauvaise gouvernance….scandale de l’affaire du Trésor Publique où des milliards se sont volatilisés…Le “kokadjè” pour lequel nombre d’entre nous s’étaient engagés est reste un slogan. Zorro a beaucoup décu à cet égard. Il a fait venir dans le gouvernement ses copains qui n’avaient nullement participé à la lutte pour l’avènement de la démocratie au Mali et par conséquent sont vénus pour s’enrichir. ATT et Zou sont comptables de ce bilan désastreux de la Transition de mars 1991.
    Puis arrive le régime ADEMA de ATT, Dioncounda, Aly Diallo et IBK…Soumaila Cissé qui ont achevé le dépeçage du Mali. Je rappelle que Issa Ndiaye a été plusieurs fois Ministre de ce régime corrompu…pas forcément complice je dois le dire.
    Depuis cette période de 1992 à aujourd’hui la chute et la déliquescence continuent.
    La corruption, la gabégie, la surfacturation ne sont plus des délits puisque impunies.
    Les rapports du Vérificateur Général sont rangés dans les tiroirs, jamais de procès Pire ATT s’est même permis de dire qu’il ne veut pas salir l’honneur des corrompus…..quel mépris !!! Depuis quand un voleur a t il de l’honneur ? Ceci explique cela.
    Une autre révolution attend le peuple malien s’il veut espérer des jours meilleurs pour ses enfants. Un nettoyage à grande eau est nécessaire pour ce faire, on ne pourra pas faire l’économie d’un autre engagement citoyen et des sacrifices.
    Vive le Mali

  4. Pr Issa N’DIAYE, rien ne reste de cette première pensée du 22 septembre 1960, mais la posture du malien d’aujourd’hui est le fruit d’un long cheminement, un long parcours et une conjugaison de mauvais comportements des dirigeants des régimes successifs depuis Modibo KEITA jusqu’à IBK.
    Il faut retenir que ce régime socialiste de Modibo KEITA avait été imposé aux maliens en faisant fient des réalités socioéconomiques du pays de cette époque, seul Modibo KEITA lui-même était socialiste, tout le reste de son entourage était autre chose que socialiste, la preuve est que Modibo est mort sans rien, mais plusieurs dignitaires de son entourage était riche et très riche.
    Moussa TRAORE avec son régime militaire a d’ailleurs mis fin à toutes les valeurs laissées par Modibo en instaurant un système plus machiavélique que le régime passé en s’appuyant très fortement de sa belle-famille en traumatisant, en oppressant et en détruisant toutes les valeurs sociétales de ce pays.
    Quant à la période dite “démocratique”, le système Moussa TRAORE a été entretenu et renforcé avec plus d’indignité et de comportements éhontés, comportements que notre société n’accepterait même pas avec ses griots qui sont autorisés à faire certains comportements compte tenu de leur rang social.
    Seule une violence pourrait faire ramener le Mali sur ses rails de dignité comme ce fut le cas du Ghana sous le régime de Jerry Rowling, notre pays est parti trop à la dérive et cela ne serait pas corrigible avant cinq générations, car nous irions d’un système machiavélique à un autre système plus machiavélique encore, car les fossoyeurs de ce pays resterons toujours là entrain de tout mettre en œuvre pour poser des actes négatifs qui façonneraient le malien à leur faveur. Nous n’avons aucun échappatoire pour mettre tous les maliens dans la même grande direction, car c’est lorsque c’est mauvais que plusieurs faux types de ce pays y trouvent leur compte au détriment des autres maliens plus honnêtes et plus disciplinés quant au développement de ce pays.

  5. « Où est aujourd’hui cette jeunesse consciente et patriote » ?

    « Consciente » et « patriote » vous dites ? Professeur, je n’ai pas eu la chance de voir cette jeunesse consciente et patriote des années cinquante et soixante mais j’ai bel et bien vu celle des années 80 et 90. Elle n’avait de consciente que le ventre et patriote que de nom. Cette jeunesse consciente qui bravait la répression ne cherchait en réalité qu’à obtenir une place autour du banquet des brigands. Ladite jeunesse est le reflet de ce Mali où à quelques exceptions près, les intellectuels sont des malhonnêtes, les politiciens des corrompus, les riches des voleurs, les religieux sont opportunistes, les magistrats des ripoux,…….

    Ceux qui apparaissaient comme étant de la jeunesse consciente sont devenus aujourd’hui des griots zélés des imposteurs qui occupent le devant de scène. Ainsi, MARIKO qui devait être retenu par l’histoire comme étant la pierre angulaire de la démocratie Malienne est réduit à soutenir une meute de voyous drogués pour espérer une place de Premier Ministre. Par exemple SANKINGBA (sur ce forum) et K DIARRA sont devenus des griots zélés de IBK tandis que PPR et TIÉBILÉ flattent l’ego de SOUMAÏLA CISSÉ pour survivre. Des gens comme vous-même, VÍCTOR SY, V Zéro doivent faire profil bas pour ne pas apparaître comme quelqu’un qui parle HÉBREU aux Maliens. Des imposteurs comme IBK, Soumaïla, Alpha distribuent les points…..

    De facto le Mali est devenu la propriété des imposteurs où tout est bâti sur mensonge et par des menteurs, raison pour laquelle tout a dégringolé du jour au lendemain. Ceux qui se sont sacrifiés pour que l’on ait la liberté doivent vivre cachés. Les martyrs sont retenus par la conscience collective comme étant des maudits. Le peuple lui est devenu comme celui des tubercules dont les parties essentielles se trouvent sous la terre, ainsi nos héros ne sont que ceux comme CABRAL qui sont morts et les autres comme MANASSA se sont révélés être de vrais Zéros !

    Vous avez dit jeunesse, ……. consciente ?

  6. Pr NDIAYE, un autre Mali est possible. Mais il faut commencer par dire la vérité et toute la vérité. La mort inutile de Fily Dabo Sissoko, Hamadoun Dicko et Maraba Kassoum, les violations graves des droits de l’homme et les exactions commises au nord par Diby Silas Diarra ne doivent être nullement occultés. QUE l’Etat reconnaîsse ses crimes comme le fait aujourd’hui le jeune Macron. C’est cela qui peut nous faire avancer, Pr Issa NDIAYE, et non l’éternel éloge. MODIBO était un patriote SINCÈRE mais il a commis des erreurs. Reconnaissons-les d’abord.

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