- Introduction
1.1. Depuis quelques mois, le gouvernement du Mali, avec le concours d’une médiation internationale conduite par l’Algérie, est en négociation avec les groupes, armés ou non, signataires de la Feuille de route adoptée à Alger, le 24 juillet 2014, pour la conclusion d’un accord de paix et de réconciliation au Mali.
1.2. À l’issue de la première des rencontres qui doivent traiter des questions de fond et aboutir à la conclusion d’un accord, la Médiation algérienne, dans la perspective de la seconde, a communiqué aux parties un document intitulé « «Éléments pour un accord pour la paix et la réconciliation au Mali » sur lequel elles devaient organiser de larges consultations.
1.2.1. Le gouvernement du Mali, avant de procéder à ces consultations, s’est empressé d’affirmer qu’il trouvait que ledit document constituait « une bonne base de négociation » pour aller à la paix dans le cadre d’une « décentralisation poussée. »
1.2.2. Devant la levée de boucliers des acteurs politiques et des organisations de la société civile contre ledit document, le président de la République et le gouvernement ont fait marche arrière et déclaré qu’eux aussi le rejetaient.
1.3. À la reprise des pourparlers, les groupes armés et les mouvements qui leur sont affiliés ont remis leur revendication initiale sur la table des négociations : l’indépendance de l’Azawad ou, à tout le moins, la constitution d’une fédération regroupant le Mali et l’Azawad. Le gouvernement est resté sur « la décentralisation poussée », sans en préciser le contenu.
1.3.1. Pour tenter de concilier les exigences fondamentalement opposées des deux parties, la Médiation algérienne leur a proposé un nouveau document, le « Projet d’accord pour la paix et la réconciliation au Mali » (Version du 27 novembre 2014) à charge pour elles de formuler des observations et suggestions pour la prochaine rencontre prévue pour janvier 2015.
1.3.2. Le Parti de l’indépendance, de la démocratie et de la solidarité (P.I.D.S) a eu connaissance de ce document à travers la Presse.
1.3.3. Le P.I.D.S, respectueux de la Constitution du 25 février 1992, reconnaît qu’il est de la responsabilité de ceux qui exercent le Pouvoir, en l’occurrence le président de la République et le gouvernement, de conclure un accord pour ramener la paix et la sécurité dans les régions du Nord du Mali.
1.3.4. Il considère cependant qu’il est un devoir impérieux pour chaque Malien, chaque patriote de veiller à ce que cet accord sauvegarde les intérêts supérieurs du Mali et lui garde son caractère unitaire et l’intégralité de sa souveraineté sur son territoire actuel.
1.3.5. C’est dans ce cadre que le Bureau politique national du Parti de l’indépendance, de la démocratie et de la solidarité (P.I.D.S) a tenu, le 27 décembre 2014 à son siège, une réunion extraordinaire consacrée à l’examen du Projet d’accord pour la paix et la réconciliation au Mali (Version du 27 novembre 2014)
1.3.6. Après une analyse approfondie du contexte et du contenu du document, il est arrivé aux conclusions consignées dans la présente déclaration.
- Sur le contexte et la conduite des négociations
2.1. Le P.I.D.S estime que seules la situation sur le terrain, très défavorable au Mali et la stratégie adoptée par le gouvernement dans la conduite des négociations ont permis à la Médiation algérienne de proposer ce Projet d’accord qui a très peu souci du Mali.
2.1.1. Depuis la visite du Premier ministre à Kidal en mai 2014, les groupes armés ont repris cette ville et étendu leur contrôle sur sa région et une grande partie des régions de Gao et de Tombouctou et s’y sont substitués à l’Administration malienne qui n’a pu sérieusement y reprendre pied depuis les évènements du 1er trimestre 2012. L’Armée malienne, en reconstruction semble t-il, est absente du champ des opérations militaires, en tout cas très peu présente sur le terrain laissé aux forces étrangères. La présence de l’Armée française à Tessalit et Gao dans le cadre du dispositif Barkhane et des troupes de la MINUSMA, qui cantonnent dans les grandes agglomérations, n’a pu y faire revenir la sécurité. Les groupes djihadistes (et d’autres certainement) envahissent de nouvelles zones et y entretiennent l’insécurité par les attaques sporadiques, les attentats kamikazes et l’explosion de mines anti personnelles.
2.1.2. À cela s’ajoute que le Mali peine à trouver ses marques pour bien mener les négociations. Le dispositif mis en place laisse perplexe quant à son efficience et semble conçu pour une négociation internationale et non pour des pourparlers inter maliens inclusifs. Pour la première fois dans notre histoire, une négociation avec des groupes en rébellion n’est pas conduite par le ministre chargé de l’Intérieur. Le ministre en charge de la Réconciliation nationale auquel le décret fixant les attributions spécifiques des membres du gouvernement confie cette responsabilité, est écarté au profit du chef de la diplomatie malienne, le ministre des Affaires étrangères. Le président de la République est impliqué à travers son Haut Représentant. Ce qui, indubitablement, confère aux pourparlers d’Alger, l’allure d’une négociation internationale dont les groupes armés peuvent tirer un grand bénéfice.
2.1.3. L’impression dominante dans l’opinion est que les négociateurs gouvernementaux naviguent à vue, n’ont ni objectifs clairs ni stratégie, rien que des « lignes rouges » à ne pas franchir. Et qu’ils se contentent de réagir sur ce qui leur est proposé par le Médiateur algérien.
2.1.4. Le gouvernement hésite à faire participer à la formulation de ses positions ceux qui ne sont pas aux affaires, c’est-à-dire l’opposition politique et la société civile, et semble à la recherche de subterfuges pour faire croire le contraire. Il n’a pas créé un cadre formel de concertation avec les forces politiques et la société civile sur la question. Il se complait dans une gestion absolument solitaire.
- Sur le Projet d’accord
3.1. Le P.I.D.S constate que le Projet d’accord n’est qu’une version améliorée du document intitulé « Éléments pour un accord pour la paix et la réconciliation au Mali » contre lequel il s’est prononcé.
3.2. Le P.I.D.S estime que ledit Projet d’accord n’est pas bon pour le Mali parce qu’il :
– constitue des centres de pouvoirs et de décision autonomes prenant appui sur un communautarisme préjudiciable à l’unité nationale et au caractère unitaire et laïc de l’État du Mali ;
– reconduit, en les renforçant, les mesures administratives et militaires qui ont conduit au délitement de l’Etat et ouvert la voie à sa désagrégation, donc à la partition ;
– ne fait aucune allusion au maintien du caractère unitaire de l’État du Mali, comme si l’affirmation de l’attachement des parties à l’unité nationale et au respect de son intégrité territoriale suffisait à le garantir, alors que ce n’est pas du tout le cas.
3.2.1. La constitution de centres de pouvoirs et de décision autonomes résulterait :
– de l’entrée dans le domaine de compétence des collectivités territoriales en général et de la région en particulier de la sécurité, du maintien de l’ordre et de la protection civile ;
– de la création, au niveau desdits centres, d’une Force de sécurité intérieure (police territoriale) ;
– de la possibilité donnée à plusieurs régions de constituer des entités intégrées et de mettre en place les instances requises, afin de promouvoir leur développement économique et social dans les limites de leurs compétences ;
– du droit, pour elles et les régions intégrées, d’adopter la dénomination officielle de leur choix ;
– du renforcement de la légitimité et des pouvoirs des organes des collectivités avec l’élection au suffrage universel direct de leurs organes délibérants et l’érection de leur président en chef de l’Exécutif et de l’Administration ;
– du transfert aux collectivités des services déconcentrés de l’État exerçant dans leurs domaines de compétence ;
– de l’autorité du chef de l’exécutif des collectivités sur la Force de sécurité intérieure (police territoriale) dont la création est envisagée.
3.2.2. À tout cela s’ajoutent des mesures qui permettront aux régions du Nord du Mali de fédérer et d’acquérir un statut particulier qui sera le prélude à leur sortie du « giron malien » :
– possibilité donnée à toutes les régions de se regrouper en « régions intégrées » et à celles du Nord de constituer une « Zone de développement des régions du Nord du Mali » dotée d’un Conseil consultatif inter régional chargé de coordonner les efforts visant à accélérer leur développement socio-économique et régler d’autres questions connexes ;
– possibilité de concertation directe entre les autorités de la Zone et les partenaires techniques et financiers ;
– mise en place d’une Mission d’évaluation conjointe au Nord du Mali afin de procéder à l’identification des besoins en matière de relèvement rapide, de réduction de la pauvreté et de développement de cette zone et l’organisation d’une conférence d’appel de fonds pour le financement de la stratégie de développement des régions du Nord du Mali.
3.2.3. Le Projet introduit le communautarisme dans l’organisation de l’État avec les mesures suivantes :
– faire siéger les notabilités traditionnelles et religieuses dans une seconde chambre du Parlement (Sénat) à côté des représentants des collectivités territoriales et leur réserver un quota ;
– fixer un ratio député/habitants particulier pour les populations du Nord ;
– rendre « plus équitable » la représentation des ressortissants des communautés du Nord dans les institutions et grands services de la République (gouvernement, diplomatie, sociétés d’Etat) avec un nombre minimum de ministres, y compris dans les secteurs de souveraineté ;
– faire représenter les différentes communautés dans le Conseil national pour la RSS qui sera chargé de mener une réflexion approfondie sur une nouvelle vision de la sécurité et de la défense , examiner les politiques publiques de défense et de sécurité, les missions, l’organisation et le statut des forces, les mécanismes novateurs en ce qui concerne les nominations aux postes dans les grands commandements et services aux fins de renforcer la cohésion nationale ;
– valoriser le statut des autorités traditionnelles par la prise en charge et la prise en compte dans les règles de protocole et de préséance ;
– revaloriser le rôle des cadis dans la distribution de la justice, notamment dans la médiation civile, pour tenir compte des spécificités culturelles et religieuses ;
– déconcentrer le recrutement dans la fonction publique territoriale et réserver 50% des effectifs aux ressortissants des régions du Nord.
3.2.4. Le Projet introduit le communautarisme dans l’organisation des collectivités avec les mesures suivantes :
– la représentation de toutes les sensibilités sociales, y compris les femmes et les jeunes, dans les collèges consultatifs dont la création est envisagée à côté des organes des collectivités ;
– la représentation des communautés et des autorités traditionnelles dans les comités consultatifs locaux de sécurité (CCSL) regroupant les représentants de l’Etat et des autorités régionales, sous l’autorité du chef de l’Exécutif local ;
– l’augmentation du nombre des sièges dans les organes délibérants pour assurer notamment une meilleure représentation des communautés pastorales et agropastorales.
3.2.5. Nombre de ces mesures vont à l’encontre de l’unité nationale, de la cohésion nationale et des principes républicains de l’égalité des citoyens et de l’égal accès aux fonctions et emplois publics garantis par la Constitution.
3.2.6. Le Projet d’accord aggrave l’affaiblissement de l’Etat, consécutif à la réorganisation territoriale initiée par la Mission de Décentralisation dans les années 90, en lui enlevant toute possibilité de prendre véritablement part à l’administration du territoire national :
– le poste de gouverneur de région est supprimé. Un « délégué du gouvernement » représente l’État dans la région et, tout comme le préfet et le sous-préfet, il est réduit à préserver l’intérêt général et à relayer la politique du gouvernement sur les grands projets et les politiques de développement ;
– toutes les décisions des organes des collectivités sont exécutoires dès leur publication et transmission au représentant de l’État, sauf pour lui d’exercer un contrôle de légalité (contrôle a posteriori) sur certains actes administratifs pour s’assurer de leur légalité suivant les modalités définies par la loi ;
– l’approbation préalable de l’autorité de tutelle est totalement supprimée, alors qu’elle est actuellement prescrite notamment pour la réglementation en matière de police administrative, les projets de jumelage et les actions de coopération avec d’autres collectivités territoriales nationales maliennes et étrangères et le règlement intérieur du Conseil régional.
3.2.7. L’État doit respecter de nouvelles sujétions dans ses relations avec les collectivités :
– obligation de consulter la région pour la nomination des responsables de ses structures et l’exploitation des ressources naturelles, notamment minières ;
– obligation d’observer une démarche de concertation avec elles pour procéder à un redécoupage administratif ;
– obligation de rétrocéder aux collectivités concernées (donc à la région) un pourcentage des revenus issus de l’exploitation sur leur territoire, de ressources naturelles, notamment minières, selon des critères à définir d’un commun accord.
3.2.8. Sur le plan militaire, c’est-à-dire pour tout ce qui concerne les questions de défense et de sécurité, le Projet reconduit les démarches, les dispositions et dispositifs qui, parce qu’ils se sont avérés difficiles à mettre en œuvre ou ont révélé à des déserteurs potentiels les faiblesses de notre système de défense, ont cassé l’armature sécuritaire du Nord du Mali, permis l’installation à demeure des éléments djihadistes, favorisé la floraison de narcotrafiquants et l’affaissement des Forces de défense et de sécurité :
– le cantonnement dès la mise en place des conditions minimales nécessaires dans les sites retenus à cet effet, en tenant compte des impératifs liés à la sécurisation des villes par les forces en présence et à la conduite des patrouilles mixtes ;
– l’achèvement du processus DDRR au plus tard une année après la conclusion de l’accord ;
– la réintégration des éléments des groupes armés au sein des corps constitués de l’État y compris les forces de défense et de sécurité ou leur réinsertion dans la vie civile dans le cadre de projets de développement ciblés ;
– la réintégration des membres des mouvements anciennement officiers des FDSM, en clair les officiers déserteurs de l’Armée malienne, au moins aux mêmes grades ;
– le redéploiement progressif, sur une durée d’un an, des FDSM sur l’ensemble des régions Nord, mais hors des villes et de leurs environs immédiats où seront redéployées les Forces de sécurité intérieure présentées comme une police placée sous l’autorité des collectivités territoriales ;
– le maintien, en dehors des villes et de leurs environs immédiats, des forces de sécurité intérieure de l’État (Garde nationale, Gendarmerie et Police) dont les actions seront coordonnées en tant que de besoin avec la Police territoriale ;
– la conduite concomitante du redéploiement, du cantonnement et du processus de DDRR ;
– l’inclusion dans les forces redéployées d’un nombre significatif de ressortissants des régions du Nord du Mali ;
– la mise en place d’une Commission technique de sécurité (CTS) qui reprend les attributions de la Commission technique mixte de sécurité issue de l’Accord de Ouagadougou (CTMS) et poursuit ses missions jusqu’à la mise en place effective de la CTS ;
– la constitution d’équipes mixtes d’observation et de vérification (EMOVs) élargies, y inclus les antennes dans les régions, avec la participation effective des représentants du gouvernement et des mouvements à la CTS, au Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) et dans les patrouilles mixtes.
3.2.9. Les mêmes opérations avaient été prévues dans les accords de Tamanrasset de 1990, le Pacte national de 1992, les accords d’Alger de 2006 et l’accord préliminaire d’Ouagadougou et n’ont pas abouti pour des causes qui n’ont pas été encore corrigées. Et les accords d’Alger de 2006 ont été considérés comme portant une grave atteinte à l’unité nationale et, sauf erreur de notre part, ont fait l’objet d’un recours en annulation porté par le RPM devant la Cour constitutionnelle.
3.3. Les délais retenus pour la mise en œuvre desdites opérations sont, comme dans les accords précédents, très difficiles à tenir. Et, chaque fois que cela s’est avéré, des groupes en ont tiré prétexte pour reprendre les hostilités.
3.4. Le Projet entre en vigueur dès sa signature qui ouvre une période intérimaire d’une durée allant de dix-huit à vingt et quatre mois au cours de laquelle les mesures exceptionnelles pour l’administration des régions du Nord et les textes réglementaires, législatifs et constitutionnels permettant la mise en place du nouveau cadre institutionnel et politique, sécuritaire et de défense seront pris et des élections locales et régionales organisées dans un délai maximum de 18 mois.
- Conclusion-suggestions
4.1. Le P.I.D.S s’acquitte de son devoir patriotique en déclarant que le Projet d’accord pour la paix et la réconciliation au Mali (version du 27 novembre 2014) n’est pas satisfaisant et qu’en conséquence, le gouvernement ne peut obtenir son soutien s’il décidait de l’entériner.
4.2. Il souhaite que le gouvernement reprenne l’initiative et ne laisse pas à la Médiation internationale une responsabilité que le Peuple malien lui a confiée.
4.3. Il demande au gouvernement d’aller véritablement à l’écoute de tous ceux qui peuvent apporter leur concours à la recherche d’un bon accord pour le Mali.
4.4. Le P.I.D.S, sans préjuger du contenu de l’accord qui serait accepté par le gouvernement, souhaite ardemment que ce document, qui portera incontestablement sur une question d’intérêt national, soit, avant sa mise en application, soumis au référendum sur la base de l’article 41 de la Constitution du 25 février 1992.
Bamako, le 27 décembre 2014
Pour le Bureau politique national,
Le président
Daba DIAWARA
Officier de l’Ordre national