Contribution aux Assises Nationales de la Refondation du Mali : Pour une IVe République parlementaire

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Le Plan d’Action du Gouvernement (PAG), présenté le 30 juillet 2021 par le Premier ministre, Choguel Maïga, insiste sur «[l]’impérieuse nécessité des Réformes pour rénover non seulement le cadre politique, adapter les textes fondamentaux de la République, mais aussi doter [le] pays d’institutions fortes et légitimes » afin d’assurer une « stabilité politique et une paix sociale durables ». Le désordre constitutionnel que supporte le Mali depuis que l’armée s’est installée au palais de Koulouba semble enfin reconnu par la junte et ses alliés. Depuis un an, il est vrai que de nombreux juristes dénoncent sans relâche cette catastrophe : la Charte inique mise en place par Assimi Goïta prévaut sur la Constitution de la IIIe République, mais cette dernière continue de s’appliquer. Du point de vue juridique, la situation est absurde ; par exemple, les deux textes organisent le pouvoir exécutif de façon très différente ; et, du point de vue politique, les alliances de circonstance et le clientélisme sont plus stimulés que la démocratie. Pour régler ces problèmes, Monsieur Maïga annonce la tenue des « Assises Nationales de la Refondation » visant à « donner la parole, sans censure, à l’ensemble des citoyens […] », et d’ajouter que « [l]es recommandations issues de ces assises seront exécutoires […] pour la période de Transition [et] les pouvoirs à venir ». Prenant au mot ces déclarations flatteuses et optimistes, il nous paraît intéressant d’expliquer en quoi ce « cadre de dialogue » devra tenir compte des propositions que nous présentons ici, avec modestie, quant à la question du régime politique du Mali : selon nous, l’élaboration d’un texte fondamental devra écarter les dispositions de la Constitution de la IIIe République en ce qui concerne le pouvoir exécutif. En effet, si le texte de 1992 organise un exécutif bicéphale (I), en période normale, le régime se présidentialise (II), tandis que la primature prend le dessus en temps de crise politique (III). Nous soutenons donc l’idée d’un régime parlementaire dans le cadre d’une IVe République.

  1. Un pouvoir exécutif bicéphale

L’article 55 de la Constitution du 25 février 1992 prévoit un Exécutif bicéphale, c’est-à-dire une répartition des compétences entre le président de la République et le Premier ministre, chef du gouvernement. Si le Président assure la continuité de l’État et la stabilité des institutions, selon l’article 29, il dispose de compétences propres, d’après l’article 51, et nomme le Premier ministre, conformément à l’article 38. Dans l’esprit du constituant, il ne doit pas gouverner directement, de sorte que c’est le Premier ministre, qui « dirige et coordonne l’action gouvernementale » au sens de l’article 55 de la norme suprême. L’exercice du pouvoir exécutif dépend donc d’une collaboration entre le chef de l’État et le chef du gouvernement. Le partage des compétences exécutives est prévu aussi par les articles 46, 53 et 54.

Cependant, le Premier ministre détient des fonctions très importantes. Ainsi, il a seul la faculté d’engager la responsabilité politique du gouvernement devant l’Assemblée nationale, d’après l’article 78, afin de s’assurer du soutien de la majorité parlementaire. Il détient donc une fonction politique et juridique, car il protège la fonction présidentielle selon les aléas politiques. De plus, il a un rôle de premier ordre dans l’équipe gouvernementale puisqu’il contribue à sa formation, en proposant au président de la République les membres qui la constitueront, et en contresignant les décrets présidentiels de nomination. Par le biais de circulaires et de réunions interministérielles, il assure également la coordination du gouvernement, afin de favoriser une ligne politique commune. Il se situe à la croisée des pouvoirs, des organisations politiques et de la société civile. Il est ainsi le principal collaborateur du président de la République, car il peut le suppléer pour la présidence du Conseil des ministres. En dehors du contreseing obligatoire, il peut également lui donner son avis concernant la dissolution de l’Assemblée nationale, la révision de la Constitution, ou l’application de pouvoirs exceptionnels. De plus, il joue le rôle d’interlocuteur de l’Assemblée nationale : sa présence lors des questions au gouvernement ainsi que ses discours devant les groupes parlementaires lui permettent expliquer l’action gouvernementale. Sa fonction est donc loin de se limiter à celle d’un coordonnateur ou d’un super-ministre légitimant la politique gouvernementale : il a également des pouvoirs normatifs. Le Premier ministre dispose ainsi, comme l’Assemblée nationale, d’un pouvoir d’initiative législative sous forme de projets de lois délibérés en Conseil des ministres. Aux termes de la Constitution, le Premier ministre, conformément à son statut de chef de l’administration de l’État, possède un pouvoir réglementaire. Il est ainsi chargé de l’exécution des lois et peut prendre certains décrets qui déterminent leurs modalités d’application. Il est bien entendu un protecteur de la Constitution, ce qui lui donne compétence pour saisir la Cour constitutionnelle en cas de doute sur la constitutionnalité d’une loi. Mais, en réalité, la pratique du pouvoir fait que le président de la République est le chef véritable de l’action gouvernementale en période normale.

  1. La présidentialisation du régime politique en période normale

Plusieurs facteurs expliquent la transformation du régime semi-présidentiel en régime présidentiel : aux termes de l’article 39 de la Constitution, le président de la République préside le Conseil des ministres ; il nomme le Premier ministre et les membres du gouvernement, au sens de l’article 38 ; et son élection au suffrage universel direct lui donne une légitimité écrasante. Par conséquent, si la Constitution attribue des fonctions importantes au Premier ministre, dans la pratique, le Président a souvent des prérogatives constitutionnelles plus fortes. D’une manière générale sous la IIIe République malienne, c’est le Président de la République qui décide de tout ; il gouverne seul et il est irresponsable politiquement devant l’Assemblée, contrairement au gouvernement. Il conduit la politique du pays ; à l’Assemblée nationale, la majorité parlementaire et la majorité présidentielle se confondent. Aussi les Présidents ont-ils nommé comme Premiers ministres leurs plus fidèles alliés afin de gouverner comme ils l’entendent et, au moment de crises socio-politiques, de s’en servir comme des « fusibles », mais parfois en vain, certains chefs de gouvernement refusant de soutenir l’idée d’un « exécutif monocéphale ».

  • La supériorité de la Primature en temps de crise politique

Toutefois, en période de crise politique, le Premier ministre n’est pas uniquement chef du gouvernement : il régule les relations entre les parties. Si certains Premiers ministres, tel Boubou Cissé, ont tenté de protéger le Président, d’autres lui ont fait concurrence dès leur nomination à la tête du gouvernement. Moussa Mara s’opposa par exemple au Président Ibrahim Boubacar Keïta. En tout état de cause, le Premier ministre sous la IIIe République n’exerce pas ses fonctions de la même façon en temps normal ou en période de transition politique. Tantôt il apparaît comme un super-administrateur de l’institution présidentielle, car il ne gouverne pas et n’est pas le véritable chef l’action gouvernementale ; tantôt il garantit la continuité et la stabilité de l’État, lui seul dirigeant le gouvernement de transition, les pouvoirs du Président étant quasi honorifiques.

En définitive, n’est-il pas préférable qu’un Premier ministre dispose des pleins pouvoirs ? Cette mesure éviterait la présidentialisation d’un régime semi-présidentiel qui aboutit à un blocage institutionnel.

Balla CISSÉ, docteur en droit public de l’Université Sorbonne-Paris-Nord et diplômé en Administration électorale de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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